Moar, Clifford
Title
Moar, Clifford
Subject
chef; infrastructure Mashteuiatsh; agent de la faune; services territoriaux; jeux autochtones
Description
Administration Mashteuiatsh;
Creator
Moar, Clifford (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)
Source
Production Manitu inc.
Publisher
Production Manitu inc.
Rights
Production Manitu inc.
Relation
Clifford Moar from CRC Uetshit Takuaimatishun on Vimeo.
Language
Français
Coverage
Entretien à Mashteuiatsh
Type
vidéo | video
Format
Mp4 17 min. 25 s.
Original Format
vidéo | video
Transcription
Évelyne : Tu es chef. C’est ton quatrième mandat, tu disais ?
Clifford : Au niveau politique, c’est mon troisième mandat. C’est mon deuxième mandat en tant que chef. J’ai été conseiller au début des années 90. Chez nous, ce sont des mandats de trois ans, donc c’est ma quatrième année que je débute à la chefferie au niveau de Mashteuiatsh.
Évelyne (00:21): Qu’est-ce qui se passe ici à Mashteuiatsh?
Clifford : Première des choses, je pense que c’est un peu ce qu’on vit dans toutes les autres communautés. On essaie de trouver une formule qui nous ressemblerait plus au niveau des prises de décisions. Les gens veulent qu’on se prenne en main. Ils veulent qu’on décide de notre avenir. J’ai toujours cru que dans le passé, mon peuple, c’était un peuple qui était heureux, qui était en santé, qui était prospère et qui était bien. Finalement, ce que je vois pour l’avenir, c’est un peu ça. Je vois mon peuple qui va redevenir en santé. Je vais les voir les vrais sourires d’être bien, d’être heureux, d’être fiers de qui ils [les gens de la communauté] sont et également d’être prospère. Je pense que la prospérité, c’est quelque chose que nous avions et qu’on a perdu. Je me rappelle aussi des histoires de mon père et de mon grand-père qui comptaient que n’était pas facile. Il fallait travailler. Il fallait travailler fort, même très très fort. Mais je pense que si on veut être prospère pour l’avenir, il va falloir également travailler très fort et se remettre au boulot comme on dit. Il faut faire les efforts nécessaires pour atteindre cette prospérité-là.
Évelyne (01:47): Ici, au village, vous avez toutes les infrastructures: santé, l’éducation. Il y a aussi les agents territoriaux. J’en ai entendu parler...
Clifford : Ici [Mashteuiatsh], c’est quand même particulier au niveau de la location et du lieu de la communauté. On est au Lac-St-Jean, donc on est entouré de beaucoup de communautés non autochtones. Ça a eu des impacts. Un des impacts, c’est sûr que nous, il a fallu se développer au niveau des infrastructures pour être capable de répondre aux besoins de la communauté. La communauté, elle est également fondée et constituée à partir d’une diversité. On a des gens qui viennent du Nord, on a des gens qui viennent de l’Est, on a des gens qui viennent de l’Ouest et on a des gens qui viennent du Sud. Donc, tous ces gens-là se sont regroupés voilà plus d’un siècle ici dans la communauté. Ça fait que c’est un endroit assez particulier. Qu’est-ce que ça eu comme impact, c’est que oui, on s’est développé au niveau des infrastructures, mais on a payé un prix pour au niveau linguistique. Au moment où on se parle, on est seulement 30% de la communauté qui maitrise d’une façon correcte la langue innue. C’est sûr que le pensionnat a eu des effets envers certaines générations sur la perte de la langue. Présentement pour nous, on fait des efforts pour justement maintenir ce 30%, voire même à le développer pour que peut-être, dans l’avenir, on puisse retrouver une communauté qui sera peut-être majoritairement parlant innu. Toute cette démarche a eu comme impact aussi c’est qu’on avait beaucoup de gens qui étaient en territoire et il y avait peu de ressources, il y avait peu d’aide. Plus que les années avançaient, plus qu’il y avait des interventions des tiers, donc des autres gouvernements, des compagnies forestières surtout avec les nouvelles technologies. Avant ça, il y avait une communication. Moi, j’ai entendu parler de nos ainés qu’avant ça quand la compagnie forestière arrivait, ils pouvaient travailler avec la compagnie forestière. Ça leur donnait des ressources financières additionnelles. Et il y avait une façon qu’ils coupaient le bois qui respectait, si on peut dire un peu, la façon de vivre [de la communauté]. Aujourd’hui, avec la technologie, on a plus ça. Ceux qui étaient en territoire se sentaient vraiment brimés à l’intérieur de leurs droits. Nous, qu’est-ce qu’on a fait c’est qu’on a mis en place un service qui s’appelle les Services territoriaux Je crois, mais peut-être que je me trompe, qu’on est les seuls qui ont ce service-là. C’est un service qui n’est pas dispensé par les subsides gouvernementaux. C’est vraiment de l’investissement que nous on prend à partir de nos fonds, des surplus qu’on a et on les utilise pour le développement de ce service-là. C’est d’aider les gens à occuper et à pratiquer des activités traditionnelles encore en forêt. Ce n’est pas parfait parce que ça manquerait beaucoup d’autres choses. Aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui ont changé. Nous, on doit s’adapter à la réalité d’aujourd’hui également.
Évelyne (05:05): C’est comme des agents de la faune?
Clifford : C’est plus que des agents de la faune. Ce sont des agents qui vont souvent soit essayer d’atténuer un conflit qui aurait sur deux utilisateurs soit quand les pêcheurs sportifs arrivent ou les chasseurs sportifs. Ils essaient de trouver des façons pour faire en sorte que les gens puissent être bien. Les Services territoriaux ont fait beaucoup de concertations et consultations avec les gens qui occupent le territoire. Ils ont formé des codes d’éthique sur la pratique de nos activités traditionnelles. Ça, c’est nouveau pour nous autres parce qu’on doit écrire des choses qui avant étaient enseignées oralement et qui étaient respectées par tout le monde. Dû au fait qu’on vit dans un monde contemporain, je ne dis pas que c’est la meilleure façon, mais pour l’instant, on doit écrire ces codes de pratiques-là pour s’assurer qu’on respecte notre façon d’être et la façon dont nous sommes. Pour moi, c’est un peu ça les Services territoriaux, c’est un peu d’essayer d’aider un peu les personnes à être libres dans la pratique des activités traditionnelles, mais également d’être respectueux des bases de notre culture. Pour nous, c’est vraiment important. J’espère que dans l’avenir, on pourra trouver une formule où les gens pourront vivre encore comme nos anciens vivaient. Chez nous, on ne voit plus personne partir pendant neuf mois parce qu’il y a trop de routes. Tout le territoire, il y a plein de routes, donc les gens montent pour un mois et reviennent. Donc, ça a changé le transport. Le canot, on l’utilise moins qu’on l’utilisait avant. On monte en avion, on monte en auto [automobile]. Donc, on est en train de perdre la façon de naviguer. Il y a des éléments que je pense qui sont importants qu’on en prenne conscience et de voir si on est capable de trouver une façon de...
Évelyne (06:56) : Mais il y en a du monde qui monte en forêt?
Clifford : Ah, oui! C’est très important, mais c’est sûr que si on ne fait rien et qu’on ne s’entend pas avec les gouvernements, ça peut mettre en danger ce mode de vie-là.
Évelyne (07:13): Est-ce que les jeunes...Comment ils vivent ça la relation avec la forêt?
Clifford : Je peux te conter une petite histoire ?
Évelyne (07:24): Oui
Clifford : Parce que pour moi, c’est vraiment important. Des enseignements, tu as des temps où que tu peux recevoir des enseignements. Chez nous, 50% de notre population a moins de 25 ans. Et dans cette population-là de 50%, 75% a moins de 18 ans. Donc, on a un potentiel qui est vraiment grand. Sauf qu’il faut respecter la jeunesse aussi. Il faut leur laisser le temps de vivre leur jeunesse, il faut leur laisser le temps d’être heureux pendant ce stade-là de leur vie. Mais qu’est-ce qui est dur, moi je suis parent, c’est quand tu essais d’enseigner quelque chose et que les jeunes ne t’écoutent pas. Souvent, on doit faire face à la nouvelle technologie. Il y a beaucoup de parents qui sont comme moi. Quand votre jeune a les « Walkman » [baladeur cassette] sur les oreilles, c’est très difficile de leur enseigner quelque chose. Donc, il faut s’adapter. Il faut trouver de nouvelles façons pour les intéresser. Et il faut avoir confiance aussi en eux. Pour moi, c’est quelque chose. Quand je parlais de la prospérité, c’est ça que je vise aussi au niveau de la jeunesse. On a beaucoup de souffrance dans nos communautés. Moi, ça vient me chercher tout le temps cette souffrance-là. C’est sûrement parce que j’ai souffert quand j’étais jeune. J’ai été séparé de ma famille pendant plusieurs années et ça prend du temps à guérir ça. Mais des fois ici, j’ai vécu des choses dans la communauté aussi qui sont difficiles : beaucoup de violence, beaucoup d’abus au niveau de l’alcool et des drogues. Tranquillement, on est en train de se prendre en main. Je pense que les seuls qui vont trouver la formule qui va être capables de guérir, de se prendre en main et d’amener cette vision de prospérité, c’est nous autres avec l’aide de la nature. Aujourd’hui, on est dans un endroit assez spécial vous savez. Tous les arbres sont différents, mais regarde comment c’est beau. Le feuillage est différent entre les feuillus et les résineux. C’est ça la beauté. La diversité je pense, c’est quelque chose qui est fort chez nous et qu’il faut développer un peu plus et respecter. Le respect c’est à deux et je pense que la communication c’est très important aussi. C’est bien « l’fun » parler, mais c’est aussi important d’écouter que parler. Je pense qu’on doit retrouver un peu ces caractéristiques-là qui étaient propres à nous autres, il y a quelques générations passées.
Évelyne (09:53): Je vois que tu es très spirituel dans ta démarche. On va revenir dans la réalité. Au niveau administratif, est-ce qu’il y a beaucoup d’autochtones qui sont dans la direction ?
Clifford : Présentement, au niveau des directions, de la direction générale et les directions des services, donc on a cinq grands services : les services d’éducation, les services santé et sociaux, le développement communautaire, l’administration et finances et la sécurité publique. Ce sont tous des gens de la communauté sauf que c’est quatre femmes et un gars. C’est un peu spécial de notre communauté. Il y a beaucoup d’implication. On est une organisation où un grand pourcentage d’employés sont des femmes de la communauté. C’est sûr qu’il y a encore des endroits où il y a des non autochtones qui viennent remplir des postes qui ne sont pas encore remplacés par les gens de la communauté, mais c’est juste une question de temps. Les gens sont en train de se former. On fait beaucoup de formations. On a beaucoup de gens formés dans la communauté. Présentement, la plupart de nos postes c’est vraiment des gens de la communauté. Ici, c’est sûr que c’est particulier dans la communauté parce que le nombre, on parle d’à peu près 4700 membres pour la communauté de Mashteuiatsh. La plupart [des gens] vivent à l’extérieur de la communauté. La plupart [des gens] vivent à l’extérieur pour plusieurs raisons. Une de celle-là c’est vraiment le travail. Il y a eu une pénurie de travail il y a quelques générations et les gens, il a fallu qu’ils aillent travailler à l’extérieur sur les différents projets de développement régional. C’est un peu ça qui est arrivé. Mais il va falloir trouver une formule un peu pour trouver un équilibre dans tout ça et aussi qu’on puisse garder les racines, mais même si je ne suis pas vraiment d’accord avec ça, vous savez que les communautés autochtones, ce n’est pas notre création. C’est une création d’une loi qui s’appelle la Loi sur les Indiens, mais il faut s’y adapter et je pense que toutes les bases des enseignements doivent venir du territoire et de la communauté. Maintenant, les gens sont invités à revenir et se replonger, si on peut dire, dans la réalité autochtone. C’est comme les défis qu’on a en éducation. On dit à nos gens qu’il faut performer dans les institutions académiques d’aujourd’hui, c’est-à-dire quand vous aller partir d’ici, il va falloir que vous soyez capables de prendre la relève dans les autres institutions à l’extérieur de la communauté. Mais en même temps, on leur dit : « N’oubliez pas qui vous êtes. N’oubliez pas d’où vous venez. N’oubliez pas la fierté que vous avez ». Donc, on a repris la possession de notre histoire parce que l’histoire que j’ai reçue, et probablement toi, est un peu biaisée en tout cas à notre égard. Donc là, on essaie de reprendre ces éléments-là et je peux vous dire au niveau des jeunes, il y a beaucoup de fierté qui est en train de se développer. Maintenant, j’aimerais ça être capable de vous dire ce qui va arriver, mais malheureusement je ne peux pas. Je peux vous dire, c’est que j’ai beaucoup confiance aux jeunes. Ils s’en viennent très bien et ils sont très fiers.
Évelyne (13:20) C’est quoi t’aimerais dire aux Innus ? Plus aux Innus…
Clifford : La première des choses c’est qu’il faut se faire confiance je pense la première des choses. On est un beau peuple. Il faut être fier. Écoute, je dis ça et je vois des gens sont déjà fiers, sont déjà beaux, mais je pense qu’il faut relever les défis de demain. Dans l’adaptation qu’on a eu avec la communauté, on a développé des mauvaises habitudes sociales. C’est seulement nous autres qui avons la capacité de remédier à cette situation-là. C’est de retrouver nos valeurs ancestrales et les vivre. Je vois les anciens de ma communauté et même des autres communautés. Ils dégagent un esprit de respect et le respect, c’est très fort. J’aimerais ça que le respect revienne aussi pour nos anciens et nos jeunes parce que le respect, c’est des deux côtés. Il faut que les anciens respectent aussi les jeunes qui s’en viennent et même les enfants. Les enfants, c’était tellement important. Je pense que les moments qu’ils vivent quand ils sont jeunes sont vraiment importants. Moi, j’adore le bois pour la simple raison que j’ai vécu là avec mes parents et quand je reviens en forêt, qu’est-ce que je veux vivre, c’est d’être heureux comme quand j’étais jeune. Et en faisant ça, je le transmets à ma famille. Donc, je sais qu’ils vont revenir également et je pense que c’est ça qui est important.
Évelyne (14:52) : C’est très beau. C’est très intéressant. Avais-tu autre chose à dire...?
Clifford : Qu’est-ce que je voudrais dire c’est d’être fiers de qui nous sommes et de reconnaitre toute la richesse qu’on a. On est un peuple riche. On est un peuple prospère. On est un peuple qui doit être en santé et qui doit être fier et ça, j’espère qu’on va être capable de l’offrir pour les générations à venir.
Évelyne (15:30) : C’est la dixième édition des Jeux autochtones?
Clifford : Oui, c’est une activité, pour nous, qui est très importante. L’initiative des Jeux a débuté ici par des jeunes qui sont allés à l’extérieur vivre une expérience sportive au niveau des autochtones. Il y avait des Jeux autochtones nationaux et [les participants de la communauté] sont revenus avec une médaille au niveau du volleyball. Ils ont décidé qu’ils aimeraient ça partager ce type d’expériences-là avec les jeunes et que les jeunes devraient vivre ça. Ils ont commencé à mettre en place des Jeux autochtones. Et maintenant, ça fait dix ans. Ça fait six ans que les Jeux se font ici. Il y a eu quatre autres fois où ça s’est fait dans d’autres communautés : deux fois à Uashat, une fois à Pessamit et une fois au lac Mistassini. Je pense que c’est vraiment une occasion spéciale pour que les jeunes puissent se voir. C’est vraiment une fête de fraternité, même s’il y a des compétitions sportives. Il y a de plus en plus de gens qui vont intégrer les activités culturelles et ça c’est important parce que les gens voient un peu de quelle façon ça se fait et souvent, qu’est-ce qu’on garde dans notre mémoire reste pour nous pour la vie. C’est sûr que c’est pour contrer tous les aspects néfastes, qu’on peut dire, qu’on connait dans la société aujourd’hui concernant l’abus de drogues et d’alcool. C’est de montrer aux jeunes qu’ils sont capables de vivre des expériences vraiment le « fun » sans avoir besoin de ces dimensions-là [consommation de drogues et/ou d’alcool] et je pense qu’ils le vivent vraiment bien. Il y a des sourires et pour nous, c’est drôle de dire ça, en tout cas pour moi, c’est vraiment un moment où on peut s’énergiser et aller chercher beaucoup d’énergie quand les jeunes sont là.
Évelyne (17:22) : Merci
Clifford : Au niveau politique, c’est mon troisième mandat. C’est mon deuxième mandat en tant que chef. J’ai été conseiller au début des années 90. Chez nous, ce sont des mandats de trois ans, donc c’est ma quatrième année que je débute à la chefferie au niveau de Mashteuiatsh.
Évelyne (00:21): Qu’est-ce qui se passe ici à Mashteuiatsh?
Clifford : Première des choses, je pense que c’est un peu ce qu’on vit dans toutes les autres communautés. On essaie de trouver une formule qui nous ressemblerait plus au niveau des prises de décisions. Les gens veulent qu’on se prenne en main. Ils veulent qu’on décide de notre avenir. J’ai toujours cru que dans le passé, mon peuple, c’était un peuple qui était heureux, qui était en santé, qui était prospère et qui était bien. Finalement, ce que je vois pour l’avenir, c’est un peu ça. Je vois mon peuple qui va redevenir en santé. Je vais les voir les vrais sourires d’être bien, d’être heureux, d’être fiers de qui ils [les gens de la communauté] sont et également d’être prospère. Je pense que la prospérité, c’est quelque chose que nous avions et qu’on a perdu. Je me rappelle aussi des histoires de mon père et de mon grand-père qui comptaient que n’était pas facile. Il fallait travailler. Il fallait travailler fort, même très très fort. Mais je pense que si on veut être prospère pour l’avenir, il va falloir également travailler très fort et se remettre au boulot comme on dit. Il faut faire les efforts nécessaires pour atteindre cette prospérité-là.
Évelyne (01:47): Ici, au village, vous avez toutes les infrastructures: santé, l’éducation. Il y a aussi les agents territoriaux. J’en ai entendu parler...
Clifford : Ici [Mashteuiatsh], c’est quand même particulier au niveau de la location et du lieu de la communauté. On est au Lac-St-Jean, donc on est entouré de beaucoup de communautés non autochtones. Ça a eu des impacts. Un des impacts, c’est sûr que nous, il a fallu se développer au niveau des infrastructures pour être capable de répondre aux besoins de la communauté. La communauté, elle est également fondée et constituée à partir d’une diversité. On a des gens qui viennent du Nord, on a des gens qui viennent de l’Est, on a des gens qui viennent de l’Ouest et on a des gens qui viennent du Sud. Donc, tous ces gens-là se sont regroupés voilà plus d’un siècle ici dans la communauté. Ça fait que c’est un endroit assez particulier. Qu’est-ce que ça eu comme impact, c’est que oui, on s’est développé au niveau des infrastructures, mais on a payé un prix pour au niveau linguistique. Au moment où on se parle, on est seulement 30% de la communauté qui maitrise d’une façon correcte la langue innue. C’est sûr que le pensionnat a eu des effets envers certaines générations sur la perte de la langue. Présentement pour nous, on fait des efforts pour justement maintenir ce 30%, voire même à le développer pour que peut-être, dans l’avenir, on puisse retrouver une communauté qui sera peut-être majoritairement parlant innu. Toute cette démarche a eu comme impact aussi c’est qu’on avait beaucoup de gens qui étaient en territoire et il y avait peu de ressources, il y avait peu d’aide. Plus que les années avançaient, plus qu’il y avait des interventions des tiers, donc des autres gouvernements, des compagnies forestières surtout avec les nouvelles technologies. Avant ça, il y avait une communication. Moi, j’ai entendu parler de nos ainés qu’avant ça quand la compagnie forestière arrivait, ils pouvaient travailler avec la compagnie forestière. Ça leur donnait des ressources financières additionnelles. Et il y avait une façon qu’ils coupaient le bois qui respectait, si on peut dire un peu, la façon de vivre [de la communauté]. Aujourd’hui, avec la technologie, on a plus ça. Ceux qui étaient en territoire se sentaient vraiment brimés à l’intérieur de leurs droits. Nous, qu’est-ce qu’on a fait c’est qu’on a mis en place un service qui s’appelle les Services territoriaux Je crois, mais peut-être que je me trompe, qu’on est les seuls qui ont ce service-là. C’est un service qui n’est pas dispensé par les subsides gouvernementaux. C’est vraiment de l’investissement que nous on prend à partir de nos fonds, des surplus qu’on a et on les utilise pour le développement de ce service-là. C’est d’aider les gens à occuper et à pratiquer des activités traditionnelles encore en forêt. Ce n’est pas parfait parce que ça manquerait beaucoup d’autres choses. Aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui ont changé. Nous, on doit s’adapter à la réalité d’aujourd’hui également.
Évelyne (05:05): C’est comme des agents de la faune?
Clifford : C’est plus que des agents de la faune. Ce sont des agents qui vont souvent soit essayer d’atténuer un conflit qui aurait sur deux utilisateurs soit quand les pêcheurs sportifs arrivent ou les chasseurs sportifs. Ils essaient de trouver des façons pour faire en sorte que les gens puissent être bien. Les Services territoriaux ont fait beaucoup de concertations et consultations avec les gens qui occupent le territoire. Ils ont formé des codes d’éthique sur la pratique de nos activités traditionnelles. Ça, c’est nouveau pour nous autres parce qu’on doit écrire des choses qui avant étaient enseignées oralement et qui étaient respectées par tout le monde. Dû au fait qu’on vit dans un monde contemporain, je ne dis pas que c’est la meilleure façon, mais pour l’instant, on doit écrire ces codes de pratiques-là pour s’assurer qu’on respecte notre façon d’être et la façon dont nous sommes. Pour moi, c’est un peu ça les Services territoriaux, c’est un peu d’essayer d’aider un peu les personnes à être libres dans la pratique des activités traditionnelles, mais également d’être respectueux des bases de notre culture. Pour nous, c’est vraiment important. J’espère que dans l’avenir, on pourra trouver une formule où les gens pourront vivre encore comme nos anciens vivaient. Chez nous, on ne voit plus personne partir pendant neuf mois parce qu’il y a trop de routes. Tout le territoire, il y a plein de routes, donc les gens montent pour un mois et reviennent. Donc, ça a changé le transport. Le canot, on l’utilise moins qu’on l’utilisait avant. On monte en avion, on monte en auto [automobile]. Donc, on est en train de perdre la façon de naviguer. Il y a des éléments que je pense qui sont importants qu’on en prenne conscience et de voir si on est capable de trouver une façon de...
Évelyne (06:56) : Mais il y en a du monde qui monte en forêt?
Clifford : Ah, oui! C’est très important, mais c’est sûr que si on ne fait rien et qu’on ne s’entend pas avec les gouvernements, ça peut mettre en danger ce mode de vie-là.
Évelyne (07:13): Est-ce que les jeunes...Comment ils vivent ça la relation avec la forêt?
Clifford : Je peux te conter une petite histoire ?
Évelyne (07:24): Oui
Clifford : Parce que pour moi, c’est vraiment important. Des enseignements, tu as des temps où que tu peux recevoir des enseignements. Chez nous, 50% de notre population a moins de 25 ans. Et dans cette population-là de 50%, 75% a moins de 18 ans. Donc, on a un potentiel qui est vraiment grand. Sauf qu’il faut respecter la jeunesse aussi. Il faut leur laisser le temps de vivre leur jeunesse, il faut leur laisser le temps d’être heureux pendant ce stade-là de leur vie. Mais qu’est-ce qui est dur, moi je suis parent, c’est quand tu essais d’enseigner quelque chose et que les jeunes ne t’écoutent pas. Souvent, on doit faire face à la nouvelle technologie. Il y a beaucoup de parents qui sont comme moi. Quand votre jeune a les « Walkman » [baladeur cassette] sur les oreilles, c’est très difficile de leur enseigner quelque chose. Donc, il faut s’adapter. Il faut trouver de nouvelles façons pour les intéresser. Et il faut avoir confiance aussi en eux. Pour moi, c’est quelque chose. Quand je parlais de la prospérité, c’est ça que je vise aussi au niveau de la jeunesse. On a beaucoup de souffrance dans nos communautés. Moi, ça vient me chercher tout le temps cette souffrance-là. C’est sûrement parce que j’ai souffert quand j’étais jeune. J’ai été séparé de ma famille pendant plusieurs années et ça prend du temps à guérir ça. Mais des fois ici, j’ai vécu des choses dans la communauté aussi qui sont difficiles : beaucoup de violence, beaucoup d’abus au niveau de l’alcool et des drogues. Tranquillement, on est en train de se prendre en main. Je pense que les seuls qui vont trouver la formule qui va être capables de guérir, de se prendre en main et d’amener cette vision de prospérité, c’est nous autres avec l’aide de la nature. Aujourd’hui, on est dans un endroit assez spécial vous savez. Tous les arbres sont différents, mais regarde comment c’est beau. Le feuillage est différent entre les feuillus et les résineux. C’est ça la beauté. La diversité je pense, c’est quelque chose qui est fort chez nous et qu’il faut développer un peu plus et respecter. Le respect c’est à deux et je pense que la communication c’est très important aussi. C’est bien « l’fun » parler, mais c’est aussi important d’écouter que parler. Je pense qu’on doit retrouver un peu ces caractéristiques-là qui étaient propres à nous autres, il y a quelques générations passées.
Évelyne (09:53): Je vois que tu es très spirituel dans ta démarche. On va revenir dans la réalité. Au niveau administratif, est-ce qu’il y a beaucoup d’autochtones qui sont dans la direction ?
Clifford : Présentement, au niveau des directions, de la direction générale et les directions des services, donc on a cinq grands services : les services d’éducation, les services santé et sociaux, le développement communautaire, l’administration et finances et la sécurité publique. Ce sont tous des gens de la communauté sauf que c’est quatre femmes et un gars. C’est un peu spécial de notre communauté. Il y a beaucoup d’implication. On est une organisation où un grand pourcentage d’employés sont des femmes de la communauté. C’est sûr qu’il y a encore des endroits où il y a des non autochtones qui viennent remplir des postes qui ne sont pas encore remplacés par les gens de la communauté, mais c’est juste une question de temps. Les gens sont en train de se former. On fait beaucoup de formations. On a beaucoup de gens formés dans la communauté. Présentement, la plupart de nos postes c’est vraiment des gens de la communauté. Ici, c’est sûr que c’est particulier dans la communauté parce que le nombre, on parle d’à peu près 4700 membres pour la communauté de Mashteuiatsh. La plupart [des gens] vivent à l’extérieur de la communauté. La plupart [des gens] vivent à l’extérieur pour plusieurs raisons. Une de celle-là c’est vraiment le travail. Il y a eu une pénurie de travail il y a quelques générations et les gens, il a fallu qu’ils aillent travailler à l’extérieur sur les différents projets de développement régional. C’est un peu ça qui est arrivé. Mais il va falloir trouver une formule un peu pour trouver un équilibre dans tout ça et aussi qu’on puisse garder les racines, mais même si je ne suis pas vraiment d’accord avec ça, vous savez que les communautés autochtones, ce n’est pas notre création. C’est une création d’une loi qui s’appelle la Loi sur les Indiens, mais il faut s’y adapter et je pense que toutes les bases des enseignements doivent venir du territoire et de la communauté. Maintenant, les gens sont invités à revenir et se replonger, si on peut dire, dans la réalité autochtone. C’est comme les défis qu’on a en éducation. On dit à nos gens qu’il faut performer dans les institutions académiques d’aujourd’hui, c’est-à-dire quand vous aller partir d’ici, il va falloir que vous soyez capables de prendre la relève dans les autres institutions à l’extérieur de la communauté. Mais en même temps, on leur dit : « N’oubliez pas qui vous êtes. N’oubliez pas d’où vous venez. N’oubliez pas la fierté que vous avez ». Donc, on a repris la possession de notre histoire parce que l’histoire que j’ai reçue, et probablement toi, est un peu biaisée en tout cas à notre égard. Donc là, on essaie de reprendre ces éléments-là et je peux vous dire au niveau des jeunes, il y a beaucoup de fierté qui est en train de se développer. Maintenant, j’aimerais ça être capable de vous dire ce qui va arriver, mais malheureusement je ne peux pas. Je peux vous dire, c’est que j’ai beaucoup confiance aux jeunes. Ils s’en viennent très bien et ils sont très fiers.
Évelyne (13:20) C’est quoi t’aimerais dire aux Innus ? Plus aux Innus…
Clifford : La première des choses c’est qu’il faut se faire confiance je pense la première des choses. On est un beau peuple. Il faut être fier. Écoute, je dis ça et je vois des gens sont déjà fiers, sont déjà beaux, mais je pense qu’il faut relever les défis de demain. Dans l’adaptation qu’on a eu avec la communauté, on a développé des mauvaises habitudes sociales. C’est seulement nous autres qui avons la capacité de remédier à cette situation-là. C’est de retrouver nos valeurs ancestrales et les vivre. Je vois les anciens de ma communauté et même des autres communautés. Ils dégagent un esprit de respect et le respect, c’est très fort. J’aimerais ça que le respect revienne aussi pour nos anciens et nos jeunes parce que le respect, c’est des deux côtés. Il faut que les anciens respectent aussi les jeunes qui s’en viennent et même les enfants. Les enfants, c’était tellement important. Je pense que les moments qu’ils vivent quand ils sont jeunes sont vraiment importants. Moi, j’adore le bois pour la simple raison que j’ai vécu là avec mes parents et quand je reviens en forêt, qu’est-ce que je veux vivre, c’est d’être heureux comme quand j’étais jeune. Et en faisant ça, je le transmets à ma famille. Donc, je sais qu’ils vont revenir également et je pense que c’est ça qui est important.
Évelyne (14:52) : C’est très beau. C’est très intéressant. Avais-tu autre chose à dire...?
Clifford : Qu’est-ce que je voudrais dire c’est d’être fiers de qui nous sommes et de reconnaitre toute la richesse qu’on a. On est un peuple riche. On est un peuple prospère. On est un peuple qui doit être en santé et qui doit être fier et ça, j’espère qu’on va être capable de l’offrir pour les générations à venir.
Évelyne (15:30) : C’est la dixième édition des Jeux autochtones?
Clifford : Oui, c’est une activité, pour nous, qui est très importante. L’initiative des Jeux a débuté ici par des jeunes qui sont allés à l’extérieur vivre une expérience sportive au niveau des autochtones. Il y avait des Jeux autochtones nationaux et [les participants de la communauté] sont revenus avec une médaille au niveau du volleyball. Ils ont décidé qu’ils aimeraient ça partager ce type d’expériences-là avec les jeunes et que les jeunes devraient vivre ça. Ils ont commencé à mettre en place des Jeux autochtones. Et maintenant, ça fait dix ans. Ça fait six ans que les Jeux se font ici. Il y a eu quatre autres fois où ça s’est fait dans d’autres communautés : deux fois à Uashat, une fois à Pessamit et une fois au lac Mistassini. Je pense que c’est vraiment une occasion spéciale pour que les jeunes puissent se voir. C’est vraiment une fête de fraternité, même s’il y a des compétitions sportives. Il y a de plus en plus de gens qui vont intégrer les activités culturelles et ça c’est important parce que les gens voient un peu de quelle façon ça se fait et souvent, qu’est-ce qu’on garde dans notre mémoire reste pour nous pour la vie. C’est sûr que c’est pour contrer tous les aspects néfastes, qu’on peut dire, qu’on connait dans la société aujourd’hui concernant l’abus de drogues et d’alcool. C’est de montrer aux jeunes qu’ils sont capables de vivre des expériences vraiment le « fun » sans avoir besoin de ces dimensions-là [consommation de drogues et/ou d’alcool] et je pense qu’ils le vivent vraiment bien. Il y a des sourires et pour nous, c’est drôle de dire ça, en tout cas pour moi, c’est vraiment un moment où on peut s’énergiser et aller chercher beaucoup d’énergie quand les jeunes sont là.
Évelyne (17:22) : Merci
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Moar, Clifford (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), and Malenfant, Eddy (cinéaste), “Moar, Clifford,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed November 21, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/350.