Bellefleur, Céline

Title

Bellefleur, Céline

Subject

histoire innue; récit de vie; Mani-utenam; éducation; village de Moisie

Description

Céline Vollant/Bellefleur est née à Moisie, Québec en 1943, un village métissé situé près de Sept-Iles. Céline a fait ses études primaires au pensionnat indien de Sept-Iles. De 1963 à aujourd’hui, celle-ci est impliquée à 100% dans le monde de l’éducation. En 1987, elle est enseignante de langue innue au secondaire et conceptrice d'un programme de matériel pédagogique pour ce cours. De 1991 à 1997, Céline est directrice adjointe des écoles primaires de Uanamen shipu et Mani utenam, et marraine de Etap/manitu, un programme d'enseignement à travers la culture innue. Depuis 2016, c’est la présidente de Production Manitu inc. Entretien à Mani Utenam (Québec, Canada).

Creator

Bellefleur, Céline (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Production Manitu inc.

Publisher

Production Manitu inc.

Date

2000

Rights

Production Manitu inc.

Language

Innu

Coverage

Née à Moisie, Québec, Canada

Type

récit de vie | oral history

Format

MP4, 55 min 10 s

Original Format

vidéo | video

Thème FR

récit de vie

Transcription

Traduction par Anne-Marie André

Évelyne : Bonjour Céline, je suis heureuse de te rencontrer.
Céline : Moi de même.
Évelyne : Je sais que ça fait longtemps que tu es enseignante, combien d’années ?
Céline : J’ai commencé en 1963, j'ai enseigné à La Romaine. Après mes études, je n'ai pas pu enseigner ici, il y avait des religieuses.
Évelyne : Et tu as enseigné longtemps, combien d’années ?
Céline : On peut dire ce que ça fait 37 ans que je suis dans l'éducation et je n'ai pas toujours été dans l’enseignement.
Évelyne : Mais tu aimais plus enseigner l’innu, je crois ?
Céline : Oui, c'est la matière que j'aime mais le plus et si je devais revenir dans l'enseignement, c'est en innu que je vais enseigner. À mes débuts j'avais 19 ans, j’enseignais en français, nous n'avions pas le droit de parler l’innu aux élèves. À l'église tout se faisait en innu et on nous et on nous demandait d’enseigner les prières en français. J’ai dit à mon supérieur : "Pourquoi leur faire apprendre les prières en français quand on les récite à l'église en innu ?" J'avais refusé. Mon cas a été repéré à un plus haut niveau. Également, je n'ai pas voulu enseigner intégralement l’histoire du Canada, car je n'étais pas intéressé à conter l'histoire des indiens tel que décrit dans le livre. Et on m'a permis d'enseigner l’innu et ce fut le début pour moi de l'enseignement de innu.
Évelyne : Quel fut l’Innu qui a été ton superviseur ?
Céline : Aurélien Gill.
Évelyne : Il était inspecteur ?
Céline : On le nommait au Maine, le superviseur des écoles.
Évelyne : Ensuite, tu as enseigné en français ?
Céline : Oui, jusqu’en 1984 lors de la prise en charge de l'éducation. J'étais directrice, mais je n'aimais pas ça. On m'a demandé d'enseigner l’innu et je n'avais pas l'expérience, je ne savais pas écrire l’innu. J'ai appris à lire l’innu en lisant un livre. On est libre dans la méthode d'enseigner mais il faut suivre les règles, les objectifs du MEQ. Et en innu, on n'est pas régi par le MEQ. On m'a demandé d'envoyer au MEQ les résultats d'examens des élèves pour qu'ils attribuent des crédits. C'est dans cette matière que j'ai découvert ma vraie vocation d'enseignante. Je ne voulais pas participer au régime du gouvernement dans son objectif d'assimiler les Innus à son groupe. Une des raisons pourquoi j'aime enseigner l’Innu, j'ai même assigné l’Innu au niveau collégial.
Évelyne : Tu as même participé au projet pilote ?
Céline : Oui on avait fait cela à Betsiamites. C'était un niveau un, deux et trois au primaire. On enseignait en innu et un peu en français, moi j'avais la deuxième année. En voyant que les jeunes aimaient quand on leur enseignait l’innu, moi j'étais plus motivé à enseigner. Je m'en rappelle lorsque le jeune ne comprenait pas les maths, il ne savait pas le dire, tandis que s'il ne comprenait pas en innu, il pouvait le dire à quel endroit il a manqué. Là, je pouvais reculer où ils ont manqué. Pour ce qui est des maths, ils ne te le faisaient pas savoir. C'est regrettable, car les décisions prises pour l'arrêt du projet pilote furent des décisions politiques. Quand ils avaient des difficultés, ils pouvaient l'exprimer en innu ce qui n'était pas le cas avec le français. Ils sont à l’aise lorsque nous leur enseignons en innu. Le MEQ oblige les cours de français, de maths, d'anglais, de religion et s’il n'y a pas d'échec, il va passer son année. Un jeune m'a dit : "J’aime éducation, mais ce qu'on m’enseigne, je n'aime pas. Le français, j’ai de la difficulté à l'apprendre, ils veulent m’inculquer cette matière, j'aimerais qu'ils me montrent un métier afin de travailler en innu aitun." Des travaux manuels, car il était habile avec ses mains. On lui demandait de faire faire des dessins, tout le monde aimait travailler avec lui et personne n'a jamais dit qu'il n'était pas bon. Ce qui manque dans nos écoles, laisser nos jeunes développer leurs talents.
Évelyne : Est-ce qu'on va avoir un jour une école ou l'enfant va aimer travailler ?
Céline : Je pense que oui. Si on suit les désirs des enfants. Il va certainement avoir des étudiants qui vont se rendre à un plus haut niveau, mais ce n'est pas tous les jeunes qui vont se rendre jusque-là. Car si tous se rendent là où allons-nous prendre des plombiers pour les réparations ? Il va falloir encore s'adresser aux blancs pour les travaux manuels. C'est ça qui nous manque, une formation professionnelle, leur montrer des métiers.
Évelyne : Je crois qu'on va se diriger vers la formation professionnelle dans notre école ?
Céline : Oui, cette année. Pour débuter, quatre cours seront donnés localement pour les fins de Uashat et Malio. Dans le recrutement, les jeunes qui ont arrêté en secondaire 2 seront éligibles pour suivre cette formation. Quand les jeunes veulent travailler, il faut qu'ils aient un secondaire 5 mais, ils ne peuvent le faire. C'est la raison pour laquelle, ceux qui auront terminé leur secondaire plus bas que la cinquième et qu'ils ne peuvent se rendre jusque-là pourraient s'inscrire à la formation professionnelle. Et nous en avons plusieurs qui se trouvent dans cette situation.
Évelyne : Quels sont les quatre métiers que tu as mentionné tout à l’heure ?
Céline : L'ébénisterie, la mécanique pour les Skidoo, pour les appareils ménagers, la peinture, innu aitun. Ils vont apprendre à fabriquer des canaux et des raquettes. Pour les filles, il va y avoir de la couture avec les pots d'animaux afin d'identifier les nous. Dans le conseil de bande, il y a Jean-Louis Fontaine qui va axé la formation sur l'emploi et moi, ça va être le côté de l'éducation. Les jeunes vont avoir l'occasion de développer leurs talents artistiques, manuels et formateurs.
Évelyne : Et que penses-tu du jeune dans l'éducation dans le mode de vie traditionnel, penses-tu qu'il soit un peu mêlé là-dedans ?
Céline : Il est égaré, quand les profs utilisent leur livre leur façon de penser parce qu'il n'y a pas beaucoup de profs qui enseignent l’innu. Tous les profs, dans la façon d'enseigner, utilisent celle qu'ils ont eu de leurs parents et leurs profs quand ils étaient jeunes. Aucun non-autochtone ne peut transmettre à nos jeunes innus ce qu'ils n'ont jamais vécu ou connu de nos coutumes. Un jeune se cherche car il voit la différence de l'éducation familiale et celle de l’école.
Évelyne : Peut-on mettre les deux entités, innu et non-innu dans l’éducation sans que ça dérange le jeune ?
Céline : Oui, car lorsqu'un prof nous enseigne une matière non-innu, le jeune se sent bien avec son prof, il aime cela. Nos jeunes vivent à l'instant même, si son crayon à besoin d'être aiguisé il va y aller. S’il a envie d'aller à la toilette, il va y aller, ce n'est pas le cas avec un jeune non-autochtone, parce qu’eux, ils ont un temps pour les besoins naturels, ils vont aiguiser cinq crayons à l'avance parce qu’ils savent, selon leurs règles, ils ne pourront pas y aller durant le cours. Le jeune innu n'a jamais connu ça et il a de la difficulté à s'adapter aux nouvelles règles car, nous ne les élevons pas de cette façon. Regarde, du côté blanc, un nouveau-né à des heures fixes pour manger tandis que de notre côté, on va donner à manger à notre enfant lorsqu’il a faim. Les blancs utilisent beaucoup l’heure. Moi, durant la semaine, je fais de même mais les fins de semaine, j'enlève ma montre, j'en ai plus besoin.
Évelyne : Les profs innus peuvent-ils transmettre leurs pensées innue quand ils enseignent en français ?
Céline : Oui, lorsqu'ils apprennent à l’université, ils prennent les connaissances, lesquelles vont leur servir quand viendra le moment de le transmettre aux jeunes à l'école. Mais ils ont toujours en eux les apprentissages acquis de leurs parents à la maison. Tu ne peux pas enseigner sans te servir de la pensée innue.
Évelyne : J’ai été une fois à l'école et un prof nous a simplement parler en français et il faisait de même avec ses élèves. Ça ne lui convenait pas du tout.
Céline : Tu sais, au début, un enseignant qui sort d'université essaye le plus d’utiliser la méthode qu'il a appris. Mais avec l'expérience, comme moi j'ai acquis, je peux utiliser ma méthode d'enseigner. Ce qui manque, il faut que le prof donne son enseignement dans la méthode ou il se sent le mieux. À partir de là, il pourra parler à ses jeunes en innu. Un enfant ne comprend pas seulement un mot dans une phrase et il bloque. Tu lui dis le mot en innu et c'est correct.
Évelyne : Je sais que tu as été impliqué à l'église et dans les livres concernant l’innu.
Céline : J’ai répondu positivement à l'invitation du curé pour le livre rouge parce que j'ai pensé que les aînés serais plus intéressés à assister aux offices religieux s'il comprenait ce qu'on dit dans les prières. Car les livres avaient été écrits par les curés et ils traduisaient selon sa vision, sa pensée. J'ai même eu des divergences d'opinion avec un certain curé. À l’église, j'ai été invité à faire la lecture et de temps en temps je faisais des corrections. Les Innus ont trouvés que c'était plus compréhensif. Il y avait un curé qui voulait traduire mot à mot du français en innu et ça ne se fait pas. Souvent, on a eu des prises de bec. J'ai travaillé 15 ans pour la production de Missel Romain que le curé se sert pour sa messe. Les travaux de Kaianuet m’aident dans celui que je fais à l’église.
Évelyne : Penses-tu qu'on va perdre notre langue ?
Céline : On a difficultés avec notre langue. Les jeunes comprennent l’innu mais, on dirait que parler le français leur convient le plus. Il faut qu'on leur parle constamment en innu. Dans les 4 ans, quelques jeunes parlent français et le prof les ménage et leur parle français.
Évelyne : Doit-on faire beaucoup d'efforts pour garder notre langue ?
Céline : On le doit. Parce qu'on rencontre beaucoup de défis aujourd’hui. Il y a aussi des nouveaux mots qui arrivent avec le développement. Pour les nouveaux mots, Kaianuet décide avec l'approbation des représentants de chaque communauté innue les mots vont être utilisés. J'ai enseigné l’innu au niveau collégial à des adultes.
Évelyne : En parlant du cégep, qu'est-ce que tu penses du programme, il y avait la langue innue, l’histoire innue et même un séjour d'apprentissage dans le bois, qu’est-ce que tu penses de ça ?
Céline : Les élèves sont mieux placés que moi pour répondre à ça. Mais, nous avons monter le cours, je leur ai dit : "Qu'est-ce que moi, j'ai appris du vécu de l’Innu, son histoire ?" La seule chose que j'ai appris de l'histoire du Canada est que nous les Montagnais étaient une nation pacifique qui ne faisait pas la guerre. On ne m'a jamais dit comment vivaient les Innus. Qu'est-ce qu'on a appris, rien. Nous avons mis sur pied ce programme en espérant qu'il y aurait parmi le groupe, un ou des élèves qui vont transmettre les connaissances à d’autres.
Évelyne : Allez-vous répéter l’expérience ?
Céline : Il y en aurait s’il y avait d'autres Innus d’autres communautés qui participent. La majorité provenait de Mani-utenam. Ce serait intéressant d'ajouter un cours sur ces endroits où les Innus de chaque communauté ont chassée. Parmi les élèves, il y avait Noella, Sylvestre… J’espère qu'il y aura beaucoup de profs innus. Ce qui manque, c'est notre fierté d’être innu. Le blanc passe souvent dans les nouvelles, le côté néfaste des Innus. Lorsque nous jouions au Cowboys, personne ne voulait jouer le rôle d'un indien parce que, dans les films, il perdait toujours.
Évelyne : Quel message tu donnerais aux jeunes ?
Céline : D’y croire et d'avoir confiance en eux dans ce qu'ils font, d'aller loin même quand leurs parents ne sont pas là. De persévérer afin d'atteindre leurs objectifs. De faire un travail qu'on aime et non regarder le salaire qui s’y rattache. De passer à travers les obstacles pour réussir. Même s’ils ne sont pas à l'école, de parler innu en tout temps. D'accepter les corrections d’un aîné lorsqu'ils se trompent.
Évelyne : Je te remercie Céline.

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Bellefleur, Céline (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), and Malenfant, Eddy (cinéaste), “Bellefleur, Céline,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed September 22, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/367.

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