Coocoo, Charles conference bronfman
Title
Coocoo, Charles conference bronfman
Subject
éléments inter-reliés; cercle; animal; humain; végétal; minéral; cycle des saisons; gestion circulaire; cycle naturel; création de l'univers; origine cosmique; époque glacière; société d'aujourd'hui; hutte à sudation; loi naturelle; sept grands principes; vibration; nature vibratoire; résonance; sept grand-pères; big bang; quatre grandes force de l'univers; quatre portes; grande ourse; grande tortue; mammouth; placenta; viol collectif; massacres; traumatisme historique; prophétie des sept feux; décolonisation; conscience; tambour; harmonie; hochet; spiritualité
Description
conference bronfman
Relation
Language
Français
Type
vidéo | video
Format
Mp4 1 hre. 41 min.
Original Format
vidéo | video
Transcription
Charles Coocoo1
NOTRE CULTURE EST BONNE POUR LE MONDE
Quand on m’invite à faire une conférence, j’aime bien prendre le temps de lire une citation. C’est ce que je
vais faire. Je vais lire une citation que je trouve importante et qui est le sujet de cette conférence :
Dans le cercle de la vie, l’Iriniw [l’être humain] n’a pas de place privilégiée. Qu’il s’agisse des quatre
éléments : air, terre, eau, feu; du monde végétal, du monde animal et de l’être humain; chacun a un
rôle primordial à jouer. Tous sont interreliés et dépendent les uns des autres. Si un de ces éléments
est en déséquilibre, il s’ensuivra nécessairement une fragmentation du cercle, donc une indubitable
impossibilité d’harmonie. Par conséquent, il n’y a pas de concept hiérarchique, il n’y a pas d’élément
qui occupe une place à un degré au-dessus. L’être humain ne surpasse pas les autres êtres vivants.
Il les complète. L’animal est un être vivant faisant partie intégrante de la création avec un instinct
de survie, une manière de se comporter et d’agir et une connaissance intuitive. L’animal transmet
aux êtres humains les enseignements appartenant à la nature sensible, au monde physique; des
valeurs et des principes d’ordre moral. Cette relation étroite avec l’animal émane du lien spirituel qui
nous lie avec lui et que nous qualifions de relation symbiotique. Nous sommes conscients que ce
rapport provient d’une origine commune et nous ressentons une profonde relation de parenté. […]
Étant donné que chaque être vivant est en interrelation, que chacun a sa raison d’être, nous avons à
cœur de maintenir cet équilibre. Pour y parvenir, nous avons observé attentivement les mœurs des
animaux et nous avons établi une gestion circulaire de notre territoire de chasse pour qu’il y ait une
régénération naturelle de la faune. Nous pratiquons une gestion de l’espèce végétale de manière à
ne pas déséquilibrer l’habitat naturel de l’animal. Nous obéissons au cycle des saisons qui détermine
chez l’animal ses périodes de reproduction et de mise à bas, son comportement alimentaire et ses
déplacements. Nous faisons confiance aux êtres prédateurs et aux phénomènes climatiques comme
faisant partie du cycle naturel. Nous n’épuisons ni ne déplaçons une espèce de son milieu. Nous ne
tuons pas les bébés qui sont nés au printemps et nous épargnons toute femelle. Enfin, l’essentiel
est de laisser à chaque être vivant sa liberté que nous considérons comme un droit fondamental
(Relations, 2 août 2001)2.
1 Notes sur l’auteur : M. Charles Coocoo, de son vrai nom Manto Tosowin Iriniw, ou « celui qui dirige les cérémonies », en langue
atikamekw, est un aîné de la communauté de Wemotaci. Né en 1948, il est l’un des pères spirituels des Atikamekw Nehirowisiwok.
Il a reçu les enseignements des Ancien.ne.s et a consacré sa vie à les partager aux jeunes générations et au public. Son parcours
est imprégné d’un amour profond pour les Premiers Peuples et d’un engagement soutenu pour la protection des terres (aski)
ancestrales et du vivant. Il est aussi poète; son livre Broderies sur mocassins est d’une profonde et vibrante beauté.
C’est un texte que j’aime beaucoup. C’est une personne de l’Europe qui me l’a envoyé à la suite d’une
rencontre de discussion. Alors, c’est un texte qui vient de ma part, et c’est pour ça que j’ai considéré qu’il
était important de diffuser ce message. Voilà pour la citation.
Il y a quatre sujets qui vont être à développer : la création de l’univers, l’origine cosmique, l’époque glaciaire
et la société d’aujourd’hui. Ce sont les quatre thèmes que j’aborderai avec vous durant les heures qui sont
mises à notre disposition.
1. La création de l’Univers
Il existe beaucoup d’écrits sur la création de l’univers de la part des écrivain.e.s autochtones et des penseur.
euse.s autochtones, qui parlent énormément de l’importance de la création de l’univers. Ces récits permettent
à l’être humain de se reconnecter dans des situations difficiles. En temps de pandémie par exemple, nous
pensons que nous sommes complètement déraciné.e.s de notre réalité—déraciné.e.s au niveau de la terre,
de l’environnement, de la biodiversité—et c’est ce déracinement qui amène certaines personnes à une forme
de détresse psychologique, à une certaine détresse spirituelle, et ça, c’est important de le mentionner. C’est
dans ce sens que le sujet de la création de l’univers permet à l’être humain de se reconnecter à l’essence
première, à son origine spirituelle. C’est cette histoire-là que je vais vous raconter : la création de l’univers.
Souvent, j’ai entendu cette histoire de la création de l’univers quand je participais avec les Aîné.e.s aux
cérémonies de la hutte à sudation. Parce que la hutte à sudation, c’est aussi comme un édifice; c’est un
lieu où toutes les histoires vont être racontées pour permettre aux personnes qui participent de sentir
réellement les composantes de la création de l’univers et les éléments constituants de la cérémonie, tout
autant que les participant.e.s. Cela permet aux êtres humains de prendre conscience de l’univers et de
l’interconnectivité de toutes ses composantes.
Alors, c’est dans ce sens-là que cette histoire de la création a son importance. Des Aîné.e.s l’ont toujours
transmise aux nouvelles générations pour qu’elles aussi puissent utiliser ces enseignements-là pour leur
développement et pour s’équilibrer dans leur cheminement personnel. C’est le sens de l’histoire que je vais
vous raconter. Dans l’histoire, il est aussi question de la présence du son ou du bruit qui a résonné avant
et après le Big Bang et après la création de l’univers. Ce son et ce bruit, ils sont invisibles. C’est ce qu’on
appelle les atomes. Les atomes, avec leur présence et d’autres éléments de cette composante de l’univers,
émettent aussi des sons ou des bruits. Quand on raconte l’histoire de la création de l’univers, on commence
toujours avec le hochet. C’est le bruit des sept directions de l’univers. Les Ancien.ne.s me reviennent alors
en mémoire, d’avoir participé et aussi écouté leurs histoires. C’est dans cet esprit que je vais vous raconter
l’histoire de la création de l’univers.
Dans cet univers, seule l’obscurité était totale, et dans cette obscurité, un son se fit entendre [son du
hochet]. Les Ancêtres répondirent à cet appel et se mirent à danser en cercle. Ils dansèrent en cercle. Plus
ils dansèrent, plus le cercle prit de la vitesse. Les Ancêtres dansèrent de plus en plus vite. Pendant qu’ils
dansaient, apparut dans cette obscurité un feu qui émit la clarté dans cette noirceur de l’univers. Dans la
langue atikamekw, dans les huttes à sudation, pour décrire cette réaction atomique qui est appelée le Big
Bang, les Aîné.e.s utilisent beaucoup plus le mot « feu » en atikamekw, ickote. Nous disons que l’étymologie
de ickote vient du mot « femme », qui vient du mot « création ». Les femmes ont toujours porté cette définition
en donnant la vie, en nourrissant la vie et en nourrissant de cette grande médecine qui est appelée l’amour,
la nourriture spirituelle que les femmes ont toujours donnée aux êtres humains. À la venue d’un enfant sur
cette terre, c’est l’amour de la maman qui le nourrit avec cette médecine qui est appelée l’amour. L’étymologie
du mot « amour », je la comprends très bien, en français; j’ai lu quelques dictionnaires et autres pour faire
des recherches sur le thème de l’amour. Dans la langue atikamekw, l’interprétation est différente par rapport
au français : l’étymologie du mot sakihitowin, qui veut dire amour, renvoie à « la source ». C’est ce que nous
avons compris, tout à l’heure, de cette brève histoire de la création de l’univers; c’est ça, la source. C’est la
source de l’univers, c’est la source de l’amour, sakihitowin. C’est une question d’équilibre et de bien-être, et
cet équilibre doit être appliqué au quotidien. Quand nous allons retourner à notre origine qui est l’univers, il
sera important de se retrouver en équilibre. Ces équilibres au niveau de la conscience de l’univers et de la
conscience de l’être humain (l’Iriniw) vont s’unir, et c’est ce qui est appelé dans la langue française « s’unir
à Dieu », s’unir à une dimension transcendantale.
Chez les Atikamekw Nehirowisiwok et d’autres communautés, d’autres groupes, c’est un grand principe.
C’est quelque chose qui s’est formé lors de la réaction du Big Bang, dans ce premier feu, dans l’immensité
de cette obscurité. Et l’amour permet que nous nous développions, que nous puissions nous développer
dans la lumière au lieu de la noirceur. Dans la médecine occidentale, le déséquilibre est considéré comme
un stress, une dépression, une tendance au suicide, parce que la personne est déconnectée de ses racines
au niveau de l’univers, au niveau de la terre. Il n’a plus de références pour se reconnecter, il n’a plus les
racines spirituelles. C’est un peu ce que nous vivons actuellement avec la situation sociale. Et c’est comme
ça que l’expansion de l’univers s’est mise en place et que les composantes des atomes se sont elles aussi
projetées dans les sept directions. C’est comme ça aussi que les étoiles sont apparues, et petit à petit,
avec le mouvement, les composantes, la matière et les planètes. Et nous sommes constitué.e.s de ces
composantes; nous sommes constitué.e.s de lumière et de vibrations. Quand nous déclarons à nos enfants
que nous leur portons une attention, un amour, quand nous portons pour nos niwikimakan (compagnes)
de vie cet amour, c’est l’unité, c’est cette lumière qui se condense et qui devient matière. C’est le son que
nous émettons quand on dit « amour » ou sakihitowin. Cette expression n’est pas de l’être humain; elle est
l’expression de l’univers aux premières réactions du Big Bang, au premier feu de l’univers.
Quand on est en forêt, il est aussi important de considérer cette conscience de la nature. La nature a une
conscience, la Mère-Terre a une conscience, les animaux, eux aussi, ont une conscience. Aller dans la forêt
permet de se reconnecter, de dialoguer avec toute cette présence naturelle. Cette image-là que nous mettons
en pratique, on la retrouve dans la terre, dans l’humus où les arbres poussent et d’autres feuillus, des plantes
médicinales, des arbustes qui eux aussi ont besoin de cette interconnexion. Ils ont établi cet échange entre
différentes sortes d’arbres. Il y a comme des filaments qui sont à l’intérieur de l’humus, c’est comme ça qu’eux
aussi communiquent. Eux aussi s’échangent, dans leur interconnectivité, cette expression qui veut dire l’amour.
Quand on dit « l’amour », on a tendance à vouloir comprendre cette notion comme une propriété humaine.
Seuls les êtres humains auraient développé cette relation qui est appelée l’amour. Or, c’est plutôt une
médecine. Faire la hutte à sudation, être à l’intérieur de la hutte à sudation avec les sept grands-pères qui
sont au centre, c’est l’image de l’univers. Nous vivons cette réalité qui est appelée la création de l’univers
à l’intérieur de la hutte à sudation, avec la présence de l’eau, du feu, de l’air et de la terre. Et une vibration
se propage. Cette vibration-là incite à redonner, à recréer une nouvelle fois le corps humain. Les rôles de
la vibration et du son sont favorables pour aider les gens, mais aussi pour avoir une certaine norme de
santé positive. Le son qu’elle émet est comme ondulatoire; elle permet de rétablir une personne qui a des
problèmes de santé mentale ou de santé physique. La vibration permet aussi de rétablir un équilibre. C’est
quelque chose qu’on ne peut pas rejeter; elle fait partie de l’être humain, elle en est une composante. Dans
la hutte à sudation, les Ancêtres viennent s’asseoir dans le cercle et nous pouvons entendre chanter. Les
Ancêtres sont là pour encourager un développement positif. Ce n’est pas de l’imagination que je suis en
train de décrire. C’est une réalité dans la hutte à sudation.
Beaucoup de personnes, des jeunes surtout, font un retour aux valeurs de la hutte à sudation et aux valeurs
de la nature. Et quand les grands-pères rentrent, il y a sept grands-pères qui rentrent, on appelle ça nimocom :
ça veut dire « nos grands-pères ». Nous considérons ces pierres, ces roches, nos grands-pères. Ce sont
ces grands-pères qui se sont développés en premier dans le processus de l’expansion de l’univers, qui ont
travaillé avec la matière, pour les planètes, et c’est le même processus au niveau de la terre. Il arrive qu’une
mère de famille amène son bébé ou sa petite fille, son petit garçon de deux, trois ans ou quatre ans, pour
leur faire vivre leur première cérémonie dans la hutte à sudation. Et quand les enfants entrent, il y a une
réaction d’unité. Les gens qui sont à l’intérieur, les participant.e.s, vont applaudir ces enfants qui entrent.
C’est aussi un rappel à la communauté de recréer l’unité familiale, de fortifier cette unité familiale, de leur
donner de la tendresse. La tendresse est tout aussi importante. Nous recevons la tendresse de la Terre-Mère
par l’environnement, qui prend soin de nous. Nous aussi, nous devons agir vis-à-vis de nos enfants, d’autres
personnes, de nos Aîné.e.s, des kokom, des mocom. À partir de cette réaction de la création de l’univers, les
lois aussi se sont établies et l’une de ces lois, c’est la loi naturelle, la loi de l’univers. La loi naturelle, c’est
l’égalité. Cette égalité est exprimée par la connaissance biologique de la constitution générale de toute
forme de vie, de tout élément de la matière. C’est ça, la loi naturelle. Et dans la loi naturelle, il y a sept grands
principes. Le premier grand principe, on pourrait le nommer « l’amour ».
Quand nous faisons la hutte à sudation, et quand nous prenons l’eau pour asperger les grands-pères,
nous disons « grands-pères, accordez-nous la connaissance de la médecine qui est appelée l’amour ».
On asperge alors les grands-pères, et il y a une évaporation. Avec la vapeur, les pores de la peau s’ouvrent,
et c’est comme ça que les toxines, les éléments négatifs sortent. Et pendant que les pores s’ouvrent, ces
toxines s’évacuent et l’air entre. L’humidité entre par les pores pour purifier les corps; c’est ce qu’ils nous
disent souvent, nos Aîné.e.s.
En parlant de cette cérémonie, la mémoire que j’ai et ce que j’ai vécu entrent en communication. Je sens
alors cette énergie à l’intérieur de la hutte à sudation qui recommence à rétablir un équilibre—la sensation
de bien-être que je retrouve dans la hutte à sudation, cette sensation de bien-être de la même qualité, de
la même douceur que j’ai eue dans la hutte à sudation, c’est quelque chose qui va toujours être en moi. Ça,
c’est l’histoire et le son de l’univers. Le son est avant tout une vibration. Ce principe est très important parce
qu’il nous fait comprendre comment le son organise la matière selon ses fréquences. Le savoir que je suis
en train de vous partager, c’est la science humaine, c’est la science de la nature, c’est la science de l’univers.
Le savoir, en premier lieu, nous confirme que le réel est de nature vibratoire. Tout élément existant sur la
terre a une vibration et produit des ondes magnétiques. Cela fait que notre propre corps est en quelque
sorte ondulatoire. La notion de résonnance entre en scène. Toutes les cellules de notre corps vibrent à une
certaine fréquence; c’est ce que je viens de décrire. Parce qu’elle est ancrée; elle est dans mon être, dans
ma mémoire, dans tous les sens qui s’activent. C’est une vibration des cellules du corps. Selon la médecine
traditionnelle, les sons réorganisent le corps, stimulent le corps, et font vibrer nos molécules. Cela permet
d’induire une nouvelle organisation physiologique. Le chant de guérison émet un son qui peut nous soigner.
Quand on participe dans la hutte à sudation avec les sept grands-pères, il y a un chant, un chant de bienvenue,
un chant de guérison et ces sons se chantent comme ceci avec le hochet [son du hochet et chant].
C’est un chant d’accueil. Quand nous avons de la visite à la maison, même si ce sont des personnes qu’on
rencontre pour la première fois, c’est important de les accueillir. Accueillir des personnes, c’est aussi une
question d’égalité; il ne faut pas oublier cette loi naturelle. Ce sont les grands principes qui sont importants
comme les sept grands-pères : l’amour, la sagesse, la vérité, la rectitude, le cœur, le courage et le respect.
Ce sont toutes des composantes de la loi naturelle. Quand on établit une société, ce sont ces principes qui
sont nécessaires pour se mettre au diapason de l’ensemble des composantes.
Et dans la grande réaction nucléaire, le Big Bang, la lumière, la dispersion de cet univers dans les sept
directions, ce sont de grandes forces appelées électromagnétisme, gravitation, nucléaire fort, et nucléaire
faible. Ce sont les quatre grandes forces qui composent l’univers et qui contribuent à son développement. Ce
sont ces forces de l’univers que nous utilisons actuellement en science; nous avons cette lumière électrique.
Alors, ce sont les quatre forces primaires, parce qu’elles sont représentées comme venant directement de
la création dans l’expansion de l’univers.
La création continue à s’équilibrer, et au centre, c’est la toute-puissance. Ce symbole des quatre forces est
formé d’un croissant en « x ». Les quatre forces se déplacent toutes d’ouest en est. Et quand on regarde, quand
le temps est très clair durant la nuit, on voit les étoiles, mais on voit aussi notre cosmos qui tourne. Il y a quatre
forces qui dépassent un peu, et ce sont ces forces qui font tourner, qui contribuent au développement de la vie.
Dans la forme de la hutte à sudation, il y a quatre portes, ce qui fait huit perches. Entre les deux portes, il y a
une autre perche, il y a une perche supplémentaire, ce qui en fait douze. Les quatre perches supplémentaires
représentent les quatre formes de l’univers : électromagnétisme, gravitation, nucléaire fort et nucléaire
faible. Symboliquement, c’est ce que ces quatre perches représentent. Quand on fait la hutte à sudation et
qu’on est à l’intérieur, c’est de cette façon que le mouvement se vit à l’intérieur, et quand la hutte se ferme,
elle forme un croisé en « x », et non pas comme une croix. Les Aîné.e.s ont toujours parlé d’un symbole en
« x », de la puissance de l’univers en « x ». Dans toutes les cérémonies, le « x » est présent. Durant l’été, il y a
des branches croisées, et c’est là que sont placés les grands-pères. Durant l’hiver, quand nous faisons le
feu qui réchauffera les grands-pères, il y a toujours quatre bûches ou quatre branches sur la terre.
2. L’origine cosmique
Parlons maintenant de l’origine cosmique. Quand la terre a été créée, il y avait un gardien, un jardinier qui
veillait sur la terre, pour qu’il y ait harmonie dans la diversité. Il s’est aperçu qu’il manquait quelque chose de
très important pour que la terre soit plus complète. Il se mit à réfléchir et alla voir le grand esprit. Le Créateur
lui dit : « J’ai toujours confiance en toi. Réalise ce qui est sublime ». Alors, il partit vers la constellation de la
Grande Ourse, dans l’une de ces planètes. Une femme était alors en train de faire son travail, de ramasser les
bleuets, de faire le pâté de bleuets. Il s’approcha de cette femme, l’esprit de la terre, en lui disant « Il manque
quelque chose de sublime, de magnifique pour réaliser la beauté de la terre, et c’est l’être humain. » Et la
femme savait qu’il s’agissait des directives du Créateur, et ils partirent en direction de la terre. Arrivés sur
cette terre, ça a été difficile de se retrouver, l’esprit et la femme. C’est le peuple de l’ours, et la femme, c’était
une ourse. Puis, ils se sont rencontrés, ils ont fait connaissance durant un mois, et quand ils se sont séparés,
ils se sont donné rendez-vous dans neuf mois quand le printemps sera là, au même endroit. Quand ils se
sont rencontrés, la femme avait deux petits : l’un avait un manteau de poil d’ours, et l’autre n’avait pas de
manteau d’ours. Et la femme dit à l’esprit, qui s’appelait Wiskejak : « Tu vas t’occuper de ton fils », et Wiskejak
prit son fils puis ils partirent. À un moment donné, ils s’arrêtèrent et il dit à son fils :
Fils, ta mère, ce n’est pas la femme ourse. Ta mère, c’est la Terre-Mère. C’est la Terre-Mère
qui va te nourrir de la médecine et de tout ce dont tu auras besoin. Tu dois respect à la
Terre-Mère, tu dois respecter la dignité de la Terre, toutes les composantes de la Terre.
Le jeune s’est développé et il a rencontré la jeune fille, et c’est la jeune fille qui est devenue humaine, et c’est
comme ça que le peuple de l’ours s’est développé. C’est l’histoire que les Ancien.ne.s nous racontent : que
nous sommes un peuple de l’ours et que nous sommes venus de notre origine cosmique, la constellation
de la Grande Ourse. C’est quelque chose qui nous tient; c’est quelque chose aussi qui nous forme à avoir
la force. Ça, c’est l’histoire de l’origine cosmique, et c’est la femme que l’esprit a initiée aux cérémonies :
comment faire la hutte à sudation, quel genre de branches utiliser, comment mettre de l’écorce, et l’esprit
l’observât. Et l’esprit est rentré quand tout a été terminé. Il s’est assis du côté nord. Il recommanda à la
femme de couper une branche et de l’amener à l’intérieur de la hutte à sudation. C’est ce qu’elle fit. Et l’esprit
prit la branche et la femme ourse rentra le mocom à l’intérieur de la hutte à sudation. Il appela la femme
à se mettre à genou près de la porte de la hutte à sudation et à pencher la tête et l’esprit prit la branche,
toucha le mocom (la roche), et l’autre bout toucha le dessus de sa tête, qu’on appelle fontanelle. Et quand
la femme releva la tête, l’esprit offrit la pipe. Ce sont les porteuses de pipe. Les hommes ont toujours la
prétention de porter la pipe, alors que c’est la femme qui doit la porter. C’est elle qui enseigne à l’homme
comment utiliser la pipe.
3. L’époque glaciaire
Ça, c’est l’histoire cosmique, et [maintenant] les grands glaciers. Quand les grands glaciers, il y a 17 000
ans, ont commencé leur cheminement vers le Nord, une étendue d’eau s’est ramassée dans l’océan. À cette
époque, le peuple vivait à 300 kilomètres plus loin que l’océan actuel, parce que l’eau a remonté à 100 mètres
quand les glaciers ont fondu. Le peuple qui vivait à cette époque-là, c’était un peuple heureux, un peuple qui
s’enracinait dans la loi naturelle, l’égalité, c’était une société, et non un État, comme la plupart des autres
pays. C’était l’égalité et c’est comme ça que la société s’est développée, par cette composante des sociétés.
De temps en temps, les sept groupes de sociétés Anishnabe se rassemblaient pour discuter, pour les
cérémonies et pour d’autres activités. Et un jour, ils virent quelque chose d’étonnant dans le Pacifique,
et ils commencèrent à l’observer. C’était une lumière qui reflétait, à partir du reflet du soleil, il y avait une
autre lumière dans l’océan qui se reflétait, et c’est comme ça qu’ils se sont posé la question « Qu’est-ce que
c’est ? » Et la lumière se rapprochait de plus en plus. Ils se sont aperçus que c’étaient les grandes tortues.
À cette époque, il y avait encore des animaux considérés comme préhistoriques, comme les mammouths,
le tigre aux dents de sable, les grands ours. Et ces grandes tortues ont débarqué sur le rivage et ont
commencé à déposer leurs œufs, et les Ancêtres ont observé comment elles faisaient, et elles continuaient
leur voyage vers l’océan. Et c’est comme ça que la grande tortue a nourri le peuple qui ramassait les œufs
pour la consommation. Les œufs des grandes tortues étaient très riches. Une grande tortue vivait 500 ans,
il y avait toujours ce retour.
Les Ancêtres attendaient continuellement les grandes tortues à la même époque. Ils et elles savaient
que les grandes tortues allaient revenir et donner les enseignements. Les tortues ont donné beaucoup
d’enseignements au niveau des médicaments. Un jour, les glaces ont commencé à fondre, l’eau de l’océan
a monté. Les Ancêtres ont attendu les grandes tortues, mais les grandes tortues n’arrivaient pas. Et un jour,
les enfants crièrent : « Regardez, regardez! ». C’était le retour des grandes tortues, mais elles ne venaient
plus au rivage. Elles continuaient leur voyage. Les Ancêtres se posèrent la question lors d’un cercle pour
la discussion : « Qu’est-ce qui se passe avec les grandes tortues qui ne viennent plus nous voir ? ». Ils et
elles comprirent que quelque chose se passait, et l’eau continuait à monter. C’est à ce moment que tout le
monde a entendu les premières prophéties, la prophétie des sept feux. Alors les premières personnes qui sont parties, ce sont justement les Atikamekw Nehirowisiwok, qui ont
mis leurs canots d’écorce à l’eau et ont commencé à ramer, à suivre les tortues jour et nuit. Et à un moment
donné, avant l’aube, elles virent une étendue de lumière, une longue colonne de lumière. Elles se dirigèrent
dans cette direction, et c’étaient les grandes tortues qui se reflétaient en montant vers le rivage, l’eau qui
coulait sur leur carapace, le reflet de lumière. C’est la même chose au niveau de l’océan, c’est le reflet sur
le dos des grandes tortues. Il s’avère que les tortues offraient au peuple atikamekw une nouvelle terre, une
nouvelle terre qui commençait tranquillement à pousser. Dans ce groupe qui avait débarqué, il y avait une
jeune femme qui, le lendemain matin, allait accoucher. Et toutes les kokom (grand-mères), la société des
kokom, ont aidé la jeune fille, et l’accouchement s’est très bien passé, et elles ont mis de côté le placenta.
Et les kokom ont discuté pour savoir quoi en faire. C’est comme ça qu’elles se sont souvenues que les
grandes tortues avec leurs pattes de derrière faisaient un trou et envoyaient leurs œufs. C’est dans cette
vision-là que la culture s’est développée, une culture riche de l’importance des femmes, de l’importance
de l’accouchement, de l’importance de l’enfant qui vient au monde. Une réunion a eu lieu et le cercle des
kokom a expliqué la vision des grandes tortues. C’est la première fois que le placenta sera mis à la terre.
C’est aussi un consentement, c’est aussi un engagement, c’est aussi une responsabilité que cette nouvelle
terre va être protégée. C’est par l’engagement de la remise du placenta à la terre, de prendre soin de cette
nouvelle terre qui poussait. C’est là la constitution qu’établirent les kokom.
Et le groupe s’est dispersé le long du Saint-Laurent quand l’apparence a changé. Tous les vestiges, les
artéfacts le long du Saint-Laurent, ce sont les Atikamekw Nehirowisiwok qui y ont habité. On y retrouve des
sites funéraires. Les archéologues et anthropologues ont trouvé à l’Anse d’Amour un site funéraire. C’était
un jeune enfant de 12, 13 ou 14 ans. Il y avait des pointes de flèche qui l’accompagnaient et aussi la couleur
de l’ocre rouge qui était dispersée autour la tête. Ce groupe avait mis au-dessus de son dos une pierre. Les
anthropologues et archéologues n’en savent pas la signification, pourquoi ont-ils mis cette grosse pierre ?
Est-ce qu’il a été assassiné ? Des préjugés culturels se sont déployés. La pierre a été mise sur le dos parce
que le corps était couché, c’est l’image de la grande tortue. Les personnes de ce site funéraire se souvenaient
des cadeaux, se souvenaient de la grande tortue, et ont mis la pierre au-dessus. Cela répondait exactement
à une loi naturelle. Elles savaient que l’être qu’elles mettaient en terre allait partir comme les petites tortues,
mais au niveau de la conscience de l’esprit. C’est la même vision avec les grandes tortues.
Et un jour, elles virent un grand bateau à voiles. Elles étaient tous surprises de voir ce grand bateau. Et
les Ancêtres ont commencé, méfiant.e.s, à aller dans la direction du rivage du Saint-Laurent, parce que le
peuple campait dans la région qu’on appelle aujourd’hui Québec. C’était la première rencontre. Les historien.
ne.s du Québec et le peuple québécois ont toujours applaudi l’arrivée de ces grands bateaux, parce qu’il
y a des histoires biaisées qui racontent que tout a été beau pour nous, les rencontres par rapport à des
conquistadores et d’autres. C’est ce qu’on raconte dans l’histoire. Mais l’histoire des Autochtones est
différente, parce que les ancêtres ont été témoins de ces faits historiques.
Lors de la première rencontre, en 1534, et c’est confirmé par certain.e.s auteur.rice.s, il y a eu un viol collectif.
Des matelots, parce que c’était tous des hommes, ont commis un viol collectif. C’est le premier traumatisme
historique que mes ancêtres ont vécu. Il y a eu aussi la décapitation des membres de sept nations à qui on a
coupé la tête, les bras et les jambes. C’est le deuxième traumatisme historique. Selon le domaine de la neurologie,
le traumatisme historique laisse des traces à l’intérieur du cerveau. Alors, vous pouvez vous imaginer un peu le
résultat de la société actuelle par rapport aux Autochtones. Mais ils ne sont pas encore intégrés dans l’histoire,
ces faits réels. Ça va être surement des écrivain.ne.s autochtones qui vont écrire cette histoire. Du nord jusqu’au
sud, tous les peuples ont été violés, tous les peuples ont été massacrés, et les ancêtres avaient dit : « Mais ce
ne sont pas des êtres humains que nous rencontrons, qui sont-ils ? Ce ne sont pas des êtres humains. » C’est
ce qu’ils ont dit, parce que le traumatisme était énorme. C’était une autre culture, d’autres agissements, une
autre société, qui venait de l’Inquisition où les femmes ont été là-bas aussi massacrées, éliminées, considérées
comme quasiment non humaines, alors elles aussi portent des traumatismes historiques. Est-ce que c’est
cela, la réconciliation qui doit être travaillée ? Je vous laisse avec la question.
4. Questions
4.1 Les personnes qui furent attirées au son du hochet au début de la Création et qui se sont mises à
danser, dansent-elles encore ?
Réponse : C’est une bonne question. Cette danse est encore présente dans les communautés, c’est ce qui est
appelé les pow-wow, où tous les gens de la communauté participent à cette danse. C’est l’image cosmique
de la première danse, quand les ancêtres ont contribué à la création de l’univers. Alors, durant l’été, il y a
d’autres communautés qui continuent leur danse qui est appelée pow-wow. C’est une définition, je ne sais
pas d’où vient cette définition de pow-wow. Dans ma langue maternelle, nous appelons ça opwakininan
cinowin. C’est le terme naturel de cette danse. Ce sont les opwakan qui dansent. Et les opwakan sont des
composantes de la nature, les êtres humains ont aussi des opwakan. Les personnes disent souvent : « Mon
gardien, ma gardienne, c’est ça, c’est ça ». Elles parlent des opwakan. Cette danse naturelle est encore
appréciée dans nos communautés.
4.2 Quelle est la situation, aujourd’hui, avec les jeunes ?
Réponse : La situation avec les jeunes commence à favoriser un développement positif, comme une prise
en charge personnelle au niveau de ces jeunes-là. Il y a une autonomie qui apparaît. Parce que dans les
écoles, de plus en plus, l’histoire et l’artisanat font partie de la matière, et d’autres activités culturelles sont
intégrées à l’intérieur de l’école. Les parents et les jeunes apprécient ce genre de collaboration familiale et
communautaire à l’école. C’est ce qu’il leur permet de persévérer dans leur développement, mais aussi à
l’école. C’est très important d’intégrer la culture et les traditions comme l’apprentissage de la langue. Ces
traditions et éléments culturels sont très importants.
4.3 Tu as parlé de la prophétie des sept feux. Où sommes-nous situés en ce moment ?
Réponse : Selon les Aîné.e.s, et aussi selon les personnes qui tiennent compte de ces prophéties (ça leur
permet en même temps d’être prévoyants, d’être prêts au moment opportun de cette prophétie) on est
rendus à la septième prophétie. J’ai demandé tout à l’heure : « Est-ce que la réconciliation peut se faire ? ».
Elle fait partie de la septième prophétie. Et, ce qu’on a vu aussi dans les mouvements sociaux, dans les
contestations, la jeunesse québécoise et les autres embarquent dans ce mouvement; le nationalisme
est dépassé, et c’est ça qui est important de mentionner sur cette question de la septième prophétie.
La septième prophétie, c’est aussi la situation que nous vivons, de réfléchir à une nouvelle direction, à
une nouvelle société. Est-ce que nous voulons développer une nouvelle société parce qu’on ne peut plus
revenir en arrière ? La société que nous avons connue est en train de s’effondrer, tout se bouleverse. Alors
nous avons encore cette septième prophétie qui favorise une communion commune vis-à-vis de la terre.
Quand je dis une communion commune, je parle de toutes les composantes de l’être humain, que ce soit
de l’Europe ou de nos amis les peuples africains, tout ça, le mouvement va sûrement s’amorcer pour une
nouvelle direction. C’est la septième prophétie, nous la vivons actuellement.
4.4 Peut-on parler de la décolonisation dans nos relations dans la société en général ?
Réponse : En ce qui concerne la décolonisation, il y a des étapes à considérer. La première étape, c’est la
décolonisation de l’être humain. Ça, c’est une démarche extrêmement importante. Parce que le colonialiste a
intégré les faits de son ambition à l’intérieur du cerveau, et quand il reste le colonialisme au cerveau, on a de
la misère à changer, on a de la misère à se développer harmonieusement. La question actuelle à l’international
et au Canada, dans les statistiques autochtones, c’est négatif, et on sait ce qui se passe. C’est pour ça qu’il
faut premièrement se décoloniser dans la tête, se décoloniser en premier, rétablir notre être, le supporter
vers le positif, bien nourrir, bien exprimer sa langue, bien connaître son histoire. Quand des personnes ne
connaissent pas bien leur histoire, il y a des personnes qui disent qu’un peuple qui n’a pas son histoire est
un peuple qui n’existe pas. C’est ce qu’elles disent. L’histoire est importante : commencer à réécrire l’histoire
de la nation, l’histoire de l’univers. C’est ça dont les jeunes ont besoin pour se rétablir, pour dépasser des
situations difficiles d’autodestruction. C’est l’histoire, aussi, qui va contribuer à un développement, à un
équilibre de soi, mais aussi de la nation. Cet équilibre doit être aussi considéré. Après, quand on s’est mis
en situation positive, on peut aller vers la société et commencer aussi à porter le message, à sensibiliser
les gens, à les amener à se poser des questions nous-mêmes par rapport au racisme systémique, par
rapport à la haine. C’est une démarche très, très importante, et les Autochtones doivent aussi contribuer à
cette sensibilisation. Et c’est ça la question du système de décolonisation. N’oubliez pas que les personnes
colonisattrices, ce sont des êtres humains aussi. Ça, c’est un rapprochement, mais c’est aussi comme une
démarche de réconciliation.
4.5 Expliquez le terme de waskamatisiwin
Réponse : Waskamatisiwin a aussi un rapport à la conscience. Quand nous développons waskamatisiwin,
ou « aller vers la lumière », waskama, ou « luminosité », ça c’est un éveil de conscience. Prendre conscience
que notre capacité, que notre force et ses composantes sont un moteur qui est mis à la disposition par la
conscience pour développer des façons équilibrées, habiles, d’aimer, de valoriser la vie en famille, pour que les
enfants soient aussi dans waskamatisiwin. Les enfants vont embarquer carrément dans cette démarche de
waskamatisiwin. Pour être conscient au réveil, l’une des premières choses que les mocom préconisent c’est
de s’énergiser de premiers rayons du soleil. Parce qu’en dormant, le corps astral ou l’esprit a fait le voyage
et le corps est resté là, la vie, la respiration, les composantes essentielles, mais la conscience est partie et
elle revient réintégrer le corps après s’être bien reposée. Au matin, il y a des exercices pour s’énergiser de
premiers rayons du soleil. L’esprit ou la conscience a réintégré le corps, et c’est cette nouvelle énergie qui va
contribuer à un développement plus harmonieux. C’est ça, l’enseignement, quand on parle de waskamatisiwin.
Ce n’est pas toujours de courir après les psychiatres ou les psychologues, mais aller, premièrement, voir les
personnes qui peuvent parler avec les personnes qui ont besoin de soutien. Il y a des méthodes d’équilibrage
au niveau des guérisseurs, un de ces équilibrages pour être conscient waskamatisiwin, comme quand la
personne est étendue et que l’autre transporte le hochet sur tous les points sublimes où l’énergie passe.
La personne sent réellement qu’elle avait besoin de cet équilibrage au niveau de sa colonne vertébrale.
J’offre du tabac à la personne qui demande un équilibrage. La personne va utiliser le tabac; ça fait partie
des protocoles. C’est important d’être en équilibre, waskamatisiwin, d’être conscient.
4.6 Chez les Anishinabek, le tambour grand-père est la responsabilité des hommes, et les plus petits
tambours de diamètre de moins de 24 pouces peuvent être portés par tous les gens, selon leurs
intérêts. Est-ce que c’est la même chose chez les peuples à l’est de la rivière Outaouais ?
Réponse : C’est la même culture. Peut-être qu’avec les époques certaines traditions ont changé mais,
fondamentalement, le point central, c’est toujours la responsabilité de l’homme d’être en charge d’un grand
rassemblement, et les femmes contribuent en nourrissant leur peuple comme elles nourrissent leurs enfants.
Alors le tambour est extrêmement important dans l’histoire, dans les cérémonies Wapano. Les peuples
de l’Est sont plutôt une société de visionnaires. Les Anishnabe savent que ceux qui sont à l’Est sont une
société de visionnaires, parce que c’est le peuple de Wapano. La société visionnaire est une question de
Wapano. C’est la cérémonie de Wapano et chez les Anishnabe, c’est la cérémonie Medewin. Ce sont plutôt
des enseignements du bon cœur, avoir un bon cœur, écouter, parce que le cœur c’est aussi la place du
Créateur, c’est à partir du cœur que le Créateur communique avec nous, nous supporte, nous encourage,
nous connaissons les grands principes. C’est important, la place des hommes, comme les tambours, les
chanteurs dans les pow-wow, mais il y a aussi beaucoup de femmes qui chantent et qui dansent.
4.7 Parlez de l’importance des pratiques culturelles lorsqu’il s’agit de conservation et d’autodétermination
d’un peuple.
Réponse : Quand on parle de l’auto-détermination, beaucoup de ces expressions, de ces principes-là, sont une
question de responsabilité. Quand on parle de l’autodétermination, il est aussi question d’établir le système
traditionnel, parce que dans la société, il y a des mouvements et des personnes qui réfléchissent et qui se
positionnent pour un nouveau développement de la société. Elles sont souvent appelées des anarchistes,
et il y a des regroupements comme ça qui essaient d’éveiller les gens, de leur faire prendre conscience qu’il
y a aussi d’autres systèmes qui sont bons pour la société.
4.8 Que pensez-vous du huitième feu ?
Réponse : En suivant l’histoire et les prophéties de la nation Anishnabe, les prophéties se terminent à la
septième. J’ai entendu parler de cette huitième prophétie. La huitième prophétie, c’est un système de
communication : rentrer vers l’autre, discuter de ce qui est humain, la société qui doit changer. C’est ça,
le système du huitième feu. Le défunt grand-père William Commanda a été l’initiateur de cette rencontre
internationale, il y a quelques années, et c’est là qu’il avait parlé d’une vision qu’il avait reçue d’établir une
nouvelle prophétie du huitième feu. Il y avait beaucoup de gens à ce rassemblement qui étaient aussi à la
recherche d’une source, de l’identité spirituelle. C’est ça le huitième feu.
4.9 Est-ce que vous souhaitez nous parler de l’impact des compagnies forestières et autres formes
d’extractivisme sur les milieux naturels de vos territoires ?
Réponse : C’est vraiment une question qui me concerne, parce que la famille a pris la décision de rétablir
dans leur territoire traditionnel une aire protégée. Nous n’appelons pas ça une aire protégée, nous référons à
notre culture, à notre philosophie, à notre compétence pour établir ce que nous appelons masko cimakanic
Aski, mais pour le moment, ce n’est pas très favorable au développement, que ce soit concernant l’aire
protégée ou autre, villégiature ou des promenades. Ce n’est pas avec la décision politique du gouvernement
actuel, qui n’a aucune valeur morale, qui n’a aucune valeur environnementale, et qui n’a aucune valeur pour
le peuple québécois. Il se fiche pas mal du peuple québécois et des regroupements qui veulent conserver
l’environnement, la forêt. Il se fiche pas mal de ces groupes. Nous aussi, on reçoit déjà des informations
au sujet des coupes futures que nous allons voir sur le territoire de chasse, mais aussi sur le territoire des
trois communautés, que ce soit Manawan, Obedjiwan ou Wemotaci. La plupart de ces territoires ont déjà
été coupés, surtout ceux liés à la communauté du Nord, Obedjiwan. On ne sait pas comment… Je suis
favorable à l’autodétermination. Si le gouvernement ne veut pas tenir compte de la présence des Autochtones,
de leur territoire, c’est de formuler, de pouvoir travailler sur l’autodétermination. Il y a des gens qui me
disent : « Tu peux déjà l’appliquer », mais il y a toujours l’autre main en direction du gouvernement, pour la
dépendance, pour de l’argent pour des projets dans ta communauté. Pour moi, l’autodétermination ce n’est
pas la dépendance envers un gouvernement. C’est d’arriver à discuter de mon autodétermination, et de dire : « Voilà [ce qu’il faut] pour qu’un développement harmonieux se mette en place ». J’aimerais aussi qu’on
me considère comme un participant légal qui a le droit à des royautés. Ça, ce n’est pas une dépendance,
c’est un accord, Mais il faut aussi pouvoir prendre conscience des limites qu’on pourrait déterminer à ce
développement. L’autodétermination est toujours à l’intérieur de ma réflexion commencer à propager
l’idée de l’autodétermination au niveau de ma communauté : « Est-ce qu’on le fait ? ». C’est toujours dans
l’actualité. Beaucoup de mouvements se lèvent pour contrer les politiques du gouvernement, essayer aussi
de redevenir humain, et de reconnaître que la nature a aussi ses valeurs, sa dignité, et aussi les composantes
du territoire comme la vie animale, les plantes médicinales, tout ce que sont les beautés de la nature, c’est
ça dont il faut aussi tenir compte.
4.10 Comment peut-on rétablir nos principes traditionnels face aux conseils de bande qui négocient notre
culture pour de l’argent ?
Réponse : C’est une bonne question qui fait du bruit, et aussi qui fait des mécontentements au niveau du
pouvoir. C’est le conseil de bande qui détient le pouvoir, surtout à partir de la définition de la Loi sur les
Indiens. Il est au service des deux gouvernements pour toutes les questions concernant le développement.
L’autre mouvement, ce ne sont pas des contestataires, ce sont plutôt des gens qui se préoccupent, comme
d’autres groupes, de l’environnement; c’est une question de santé, c’est une question aussi de protection,
et aussi c’est une question de qualité de vie. C’est ça qui entre en ligne de compte quand on parle des lois
naturelles, quand on parle des grands principes que détient le peuple des communautés. Alors c’est aussi
comme une personne qui m’avait informée que quand un mouvement un peu plus prononcé se met en place,
automatiquement, les Autochtones sont considéré.e.s comme des personnes louches ou criminelles. Ça a
toujours été comme ça. Le gouvernement Harper, à l’époque, a toujours considéré les personnes autochtones
comme des contestataires du développement économique. Il les a considérées comme des terroristes,
des illégales face à la ressource naturelle. C’est important de le mentionner. J’ai lu un article par rapport à
cette situation, un développement caché où ils veulent enterrer au Québec tous les déchets radioactifs, et
ce, sans demander, sans informer. C’est malhonnête. On peut dire qu’ils détruisent la belle province au profit
des multinationales et que le peuple souffre de cette situation. J’aimais bien quand Michel Chartrand prenait
la parole. Tout le monde a connu Michel Chartrand à une époque où sa présence était formidable, quand il
disait des choses réelles en pleine face. C’était un homme toujours apprécié au niveau des communautés.
5. Mot de la fin sur la décolonisation
Je lis beaucoup de journaux alternatifs ou de revues alternatives pour des questions qui m’intéressent. En
Europe, il y a des regroupements qui commencent à se poser cette question : « Comment devons-nous nous
décoloniser ? Comment doit-on enlever, en tant que personne européenne, cet esprit du colonialisme ? ». C’est
important, et c’est la même chose au Québec : comment les Premiers Peuples doivent-ils se décoloniser ?
L’échange avec les personnes européennes qui sont sensibles à cette question est à envisager pour avoir
plus de positions.
Ces éléments qui ont été développés ici appartiennent à l’humanité. L’environnement est aussi une question
à travailler et envers laquelle s’impliquer. Je suis très content de ce dernier partage. Cela va nous permettre
d’apprécier davantage la vie et de participer à une relation harmonieuse des différents peuples de la terre,
de partager cette vision commune. Mataci.
Je vous dis en atikamekw : Kitci-mikwetc.
NOTRE CULTURE EST BONNE POUR LE MONDE
Quand on m’invite à faire une conférence, j’aime bien prendre le temps de lire une citation. C’est ce que je
vais faire. Je vais lire une citation que je trouve importante et qui est le sujet de cette conférence :
Dans le cercle de la vie, l’Iriniw [l’être humain] n’a pas de place privilégiée. Qu’il s’agisse des quatre
éléments : air, terre, eau, feu; du monde végétal, du monde animal et de l’être humain; chacun a un
rôle primordial à jouer. Tous sont interreliés et dépendent les uns des autres. Si un de ces éléments
est en déséquilibre, il s’ensuivra nécessairement une fragmentation du cercle, donc une indubitable
impossibilité d’harmonie. Par conséquent, il n’y a pas de concept hiérarchique, il n’y a pas d’élément
qui occupe une place à un degré au-dessus. L’être humain ne surpasse pas les autres êtres vivants.
Il les complète. L’animal est un être vivant faisant partie intégrante de la création avec un instinct
de survie, une manière de se comporter et d’agir et une connaissance intuitive. L’animal transmet
aux êtres humains les enseignements appartenant à la nature sensible, au monde physique; des
valeurs et des principes d’ordre moral. Cette relation étroite avec l’animal émane du lien spirituel qui
nous lie avec lui et que nous qualifions de relation symbiotique. Nous sommes conscients que ce
rapport provient d’une origine commune et nous ressentons une profonde relation de parenté. […]
Étant donné que chaque être vivant est en interrelation, que chacun a sa raison d’être, nous avons à
cœur de maintenir cet équilibre. Pour y parvenir, nous avons observé attentivement les mœurs des
animaux et nous avons établi une gestion circulaire de notre territoire de chasse pour qu’il y ait une
régénération naturelle de la faune. Nous pratiquons une gestion de l’espèce végétale de manière à
ne pas déséquilibrer l’habitat naturel de l’animal. Nous obéissons au cycle des saisons qui détermine
chez l’animal ses périodes de reproduction et de mise à bas, son comportement alimentaire et ses
déplacements. Nous faisons confiance aux êtres prédateurs et aux phénomènes climatiques comme
faisant partie du cycle naturel. Nous n’épuisons ni ne déplaçons une espèce de son milieu. Nous ne
tuons pas les bébés qui sont nés au printemps et nous épargnons toute femelle. Enfin, l’essentiel
est de laisser à chaque être vivant sa liberté que nous considérons comme un droit fondamental
(Relations, 2 août 2001)2.
1 Notes sur l’auteur : M. Charles Coocoo, de son vrai nom Manto Tosowin Iriniw, ou « celui qui dirige les cérémonies », en langue
atikamekw, est un aîné de la communauté de Wemotaci. Né en 1948, il est l’un des pères spirituels des Atikamekw Nehirowisiwok.
Il a reçu les enseignements des Ancien.ne.s et a consacré sa vie à les partager aux jeunes générations et au public. Son parcours
est imprégné d’un amour profond pour les Premiers Peuples et d’un engagement soutenu pour la protection des terres (aski)
ancestrales et du vivant. Il est aussi poète; son livre Broderies sur mocassins est d’une profonde et vibrante beauté.
C’est un texte que j’aime beaucoup. C’est une personne de l’Europe qui me l’a envoyé à la suite d’une
rencontre de discussion. Alors, c’est un texte qui vient de ma part, et c’est pour ça que j’ai considéré qu’il
était important de diffuser ce message. Voilà pour la citation.
Il y a quatre sujets qui vont être à développer : la création de l’univers, l’origine cosmique, l’époque glaciaire
et la société d’aujourd’hui. Ce sont les quatre thèmes que j’aborderai avec vous durant les heures qui sont
mises à notre disposition.
1. La création de l’Univers
Il existe beaucoup d’écrits sur la création de l’univers de la part des écrivain.e.s autochtones et des penseur.
euse.s autochtones, qui parlent énormément de l’importance de la création de l’univers. Ces récits permettent
à l’être humain de se reconnecter dans des situations difficiles. En temps de pandémie par exemple, nous
pensons que nous sommes complètement déraciné.e.s de notre réalité—déraciné.e.s au niveau de la terre,
de l’environnement, de la biodiversité—et c’est ce déracinement qui amène certaines personnes à une forme
de détresse psychologique, à une certaine détresse spirituelle, et ça, c’est important de le mentionner. C’est
dans ce sens que le sujet de la création de l’univers permet à l’être humain de se reconnecter à l’essence
première, à son origine spirituelle. C’est cette histoire-là que je vais vous raconter : la création de l’univers.
Souvent, j’ai entendu cette histoire de la création de l’univers quand je participais avec les Aîné.e.s aux
cérémonies de la hutte à sudation. Parce que la hutte à sudation, c’est aussi comme un édifice; c’est un
lieu où toutes les histoires vont être racontées pour permettre aux personnes qui participent de sentir
réellement les composantes de la création de l’univers et les éléments constituants de la cérémonie, tout
autant que les participant.e.s. Cela permet aux êtres humains de prendre conscience de l’univers et de
l’interconnectivité de toutes ses composantes.
Alors, c’est dans ce sens-là que cette histoire de la création a son importance. Des Aîné.e.s l’ont toujours
transmise aux nouvelles générations pour qu’elles aussi puissent utiliser ces enseignements-là pour leur
développement et pour s’équilibrer dans leur cheminement personnel. C’est le sens de l’histoire que je vais
vous raconter. Dans l’histoire, il est aussi question de la présence du son ou du bruit qui a résonné avant
et après le Big Bang et après la création de l’univers. Ce son et ce bruit, ils sont invisibles. C’est ce qu’on
appelle les atomes. Les atomes, avec leur présence et d’autres éléments de cette composante de l’univers,
émettent aussi des sons ou des bruits. Quand on raconte l’histoire de la création de l’univers, on commence
toujours avec le hochet. C’est le bruit des sept directions de l’univers. Les Ancien.ne.s me reviennent alors
en mémoire, d’avoir participé et aussi écouté leurs histoires. C’est dans cet esprit que je vais vous raconter
l’histoire de la création de l’univers.
Dans cet univers, seule l’obscurité était totale, et dans cette obscurité, un son se fit entendre [son du
hochet]. Les Ancêtres répondirent à cet appel et se mirent à danser en cercle. Ils dansèrent en cercle. Plus
ils dansèrent, plus le cercle prit de la vitesse. Les Ancêtres dansèrent de plus en plus vite. Pendant qu’ils
dansaient, apparut dans cette obscurité un feu qui émit la clarté dans cette noirceur de l’univers. Dans la
langue atikamekw, dans les huttes à sudation, pour décrire cette réaction atomique qui est appelée le Big
Bang, les Aîné.e.s utilisent beaucoup plus le mot « feu » en atikamekw, ickote. Nous disons que l’étymologie
de ickote vient du mot « femme », qui vient du mot « création ». Les femmes ont toujours porté cette définition
en donnant la vie, en nourrissant la vie et en nourrissant de cette grande médecine qui est appelée l’amour,
la nourriture spirituelle que les femmes ont toujours donnée aux êtres humains. À la venue d’un enfant sur
cette terre, c’est l’amour de la maman qui le nourrit avec cette médecine qui est appelée l’amour. L’étymologie
du mot « amour », je la comprends très bien, en français; j’ai lu quelques dictionnaires et autres pour faire
des recherches sur le thème de l’amour. Dans la langue atikamekw, l’interprétation est différente par rapport
au français : l’étymologie du mot sakihitowin, qui veut dire amour, renvoie à « la source ». C’est ce que nous
avons compris, tout à l’heure, de cette brève histoire de la création de l’univers; c’est ça, la source. C’est la
source de l’univers, c’est la source de l’amour, sakihitowin. C’est une question d’équilibre et de bien-être, et
cet équilibre doit être appliqué au quotidien. Quand nous allons retourner à notre origine qui est l’univers, il
sera important de se retrouver en équilibre. Ces équilibres au niveau de la conscience de l’univers et de la
conscience de l’être humain (l’Iriniw) vont s’unir, et c’est ce qui est appelé dans la langue française « s’unir
à Dieu », s’unir à une dimension transcendantale.
Chez les Atikamekw Nehirowisiwok et d’autres communautés, d’autres groupes, c’est un grand principe.
C’est quelque chose qui s’est formé lors de la réaction du Big Bang, dans ce premier feu, dans l’immensité
de cette obscurité. Et l’amour permet que nous nous développions, que nous puissions nous développer
dans la lumière au lieu de la noirceur. Dans la médecine occidentale, le déséquilibre est considéré comme
un stress, une dépression, une tendance au suicide, parce que la personne est déconnectée de ses racines
au niveau de l’univers, au niveau de la terre. Il n’a plus de références pour se reconnecter, il n’a plus les
racines spirituelles. C’est un peu ce que nous vivons actuellement avec la situation sociale. Et c’est comme
ça que l’expansion de l’univers s’est mise en place et que les composantes des atomes se sont elles aussi
projetées dans les sept directions. C’est comme ça aussi que les étoiles sont apparues, et petit à petit,
avec le mouvement, les composantes, la matière et les planètes. Et nous sommes constitué.e.s de ces
composantes; nous sommes constitué.e.s de lumière et de vibrations. Quand nous déclarons à nos enfants
que nous leur portons une attention, un amour, quand nous portons pour nos niwikimakan (compagnes)
de vie cet amour, c’est l’unité, c’est cette lumière qui se condense et qui devient matière. C’est le son que
nous émettons quand on dit « amour » ou sakihitowin. Cette expression n’est pas de l’être humain; elle est
l’expression de l’univers aux premières réactions du Big Bang, au premier feu de l’univers.
Quand on est en forêt, il est aussi important de considérer cette conscience de la nature. La nature a une
conscience, la Mère-Terre a une conscience, les animaux, eux aussi, ont une conscience. Aller dans la forêt
permet de se reconnecter, de dialoguer avec toute cette présence naturelle. Cette image-là que nous mettons
en pratique, on la retrouve dans la terre, dans l’humus où les arbres poussent et d’autres feuillus, des plantes
médicinales, des arbustes qui eux aussi ont besoin de cette interconnexion. Ils ont établi cet échange entre
différentes sortes d’arbres. Il y a comme des filaments qui sont à l’intérieur de l’humus, c’est comme ça qu’eux
aussi communiquent. Eux aussi s’échangent, dans leur interconnectivité, cette expression qui veut dire l’amour.
Quand on dit « l’amour », on a tendance à vouloir comprendre cette notion comme une propriété humaine.
Seuls les êtres humains auraient développé cette relation qui est appelée l’amour. Or, c’est plutôt une
médecine. Faire la hutte à sudation, être à l’intérieur de la hutte à sudation avec les sept grands-pères qui
sont au centre, c’est l’image de l’univers. Nous vivons cette réalité qui est appelée la création de l’univers
à l’intérieur de la hutte à sudation, avec la présence de l’eau, du feu, de l’air et de la terre. Et une vibration
se propage. Cette vibration-là incite à redonner, à recréer une nouvelle fois le corps humain. Les rôles de
la vibration et du son sont favorables pour aider les gens, mais aussi pour avoir une certaine norme de
santé positive. Le son qu’elle émet est comme ondulatoire; elle permet de rétablir une personne qui a des
problèmes de santé mentale ou de santé physique. La vibration permet aussi de rétablir un équilibre. C’est
quelque chose qu’on ne peut pas rejeter; elle fait partie de l’être humain, elle en est une composante. Dans
la hutte à sudation, les Ancêtres viennent s’asseoir dans le cercle et nous pouvons entendre chanter. Les
Ancêtres sont là pour encourager un développement positif. Ce n’est pas de l’imagination que je suis en
train de décrire. C’est une réalité dans la hutte à sudation.
Beaucoup de personnes, des jeunes surtout, font un retour aux valeurs de la hutte à sudation et aux valeurs
de la nature. Et quand les grands-pères rentrent, il y a sept grands-pères qui rentrent, on appelle ça nimocom :
ça veut dire « nos grands-pères ». Nous considérons ces pierres, ces roches, nos grands-pères. Ce sont
ces grands-pères qui se sont développés en premier dans le processus de l’expansion de l’univers, qui ont
travaillé avec la matière, pour les planètes, et c’est le même processus au niveau de la terre. Il arrive qu’une
mère de famille amène son bébé ou sa petite fille, son petit garçon de deux, trois ans ou quatre ans, pour
leur faire vivre leur première cérémonie dans la hutte à sudation. Et quand les enfants entrent, il y a une
réaction d’unité. Les gens qui sont à l’intérieur, les participant.e.s, vont applaudir ces enfants qui entrent.
C’est aussi un rappel à la communauté de recréer l’unité familiale, de fortifier cette unité familiale, de leur
donner de la tendresse. La tendresse est tout aussi importante. Nous recevons la tendresse de la Terre-Mère
par l’environnement, qui prend soin de nous. Nous aussi, nous devons agir vis-à-vis de nos enfants, d’autres
personnes, de nos Aîné.e.s, des kokom, des mocom. À partir de cette réaction de la création de l’univers, les
lois aussi se sont établies et l’une de ces lois, c’est la loi naturelle, la loi de l’univers. La loi naturelle, c’est
l’égalité. Cette égalité est exprimée par la connaissance biologique de la constitution générale de toute
forme de vie, de tout élément de la matière. C’est ça, la loi naturelle. Et dans la loi naturelle, il y a sept grands
principes. Le premier grand principe, on pourrait le nommer « l’amour ».
Quand nous faisons la hutte à sudation, et quand nous prenons l’eau pour asperger les grands-pères,
nous disons « grands-pères, accordez-nous la connaissance de la médecine qui est appelée l’amour ».
On asperge alors les grands-pères, et il y a une évaporation. Avec la vapeur, les pores de la peau s’ouvrent,
et c’est comme ça que les toxines, les éléments négatifs sortent. Et pendant que les pores s’ouvrent, ces
toxines s’évacuent et l’air entre. L’humidité entre par les pores pour purifier les corps; c’est ce qu’ils nous
disent souvent, nos Aîné.e.s.
En parlant de cette cérémonie, la mémoire que j’ai et ce que j’ai vécu entrent en communication. Je sens
alors cette énergie à l’intérieur de la hutte à sudation qui recommence à rétablir un équilibre—la sensation
de bien-être que je retrouve dans la hutte à sudation, cette sensation de bien-être de la même qualité, de
la même douceur que j’ai eue dans la hutte à sudation, c’est quelque chose qui va toujours être en moi. Ça,
c’est l’histoire et le son de l’univers. Le son est avant tout une vibration. Ce principe est très important parce
qu’il nous fait comprendre comment le son organise la matière selon ses fréquences. Le savoir que je suis
en train de vous partager, c’est la science humaine, c’est la science de la nature, c’est la science de l’univers.
Le savoir, en premier lieu, nous confirme que le réel est de nature vibratoire. Tout élément existant sur la
terre a une vibration et produit des ondes magnétiques. Cela fait que notre propre corps est en quelque
sorte ondulatoire. La notion de résonnance entre en scène. Toutes les cellules de notre corps vibrent à une
certaine fréquence; c’est ce que je viens de décrire. Parce qu’elle est ancrée; elle est dans mon être, dans
ma mémoire, dans tous les sens qui s’activent. C’est une vibration des cellules du corps. Selon la médecine
traditionnelle, les sons réorganisent le corps, stimulent le corps, et font vibrer nos molécules. Cela permet
d’induire une nouvelle organisation physiologique. Le chant de guérison émet un son qui peut nous soigner.
Quand on participe dans la hutte à sudation avec les sept grands-pères, il y a un chant, un chant de bienvenue,
un chant de guérison et ces sons se chantent comme ceci avec le hochet [son du hochet et chant].
C’est un chant d’accueil. Quand nous avons de la visite à la maison, même si ce sont des personnes qu’on
rencontre pour la première fois, c’est important de les accueillir. Accueillir des personnes, c’est aussi une
question d’égalité; il ne faut pas oublier cette loi naturelle. Ce sont les grands principes qui sont importants
comme les sept grands-pères : l’amour, la sagesse, la vérité, la rectitude, le cœur, le courage et le respect.
Ce sont toutes des composantes de la loi naturelle. Quand on établit une société, ce sont ces principes qui
sont nécessaires pour se mettre au diapason de l’ensemble des composantes.
Et dans la grande réaction nucléaire, le Big Bang, la lumière, la dispersion de cet univers dans les sept
directions, ce sont de grandes forces appelées électromagnétisme, gravitation, nucléaire fort, et nucléaire
faible. Ce sont les quatre grandes forces qui composent l’univers et qui contribuent à son développement. Ce
sont ces forces de l’univers que nous utilisons actuellement en science; nous avons cette lumière électrique.
Alors, ce sont les quatre forces primaires, parce qu’elles sont représentées comme venant directement de
la création dans l’expansion de l’univers.
La création continue à s’équilibrer, et au centre, c’est la toute-puissance. Ce symbole des quatre forces est
formé d’un croissant en « x ». Les quatre forces se déplacent toutes d’ouest en est. Et quand on regarde, quand
le temps est très clair durant la nuit, on voit les étoiles, mais on voit aussi notre cosmos qui tourne. Il y a quatre
forces qui dépassent un peu, et ce sont ces forces qui font tourner, qui contribuent au développement de la vie.
Dans la forme de la hutte à sudation, il y a quatre portes, ce qui fait huit perches. Entre les deux portes, il y a
une autre perche, il y a une perche supplémentaire, ce qui en fait douze. Les quatre perches supplémentaires
représentent les quatre formes de l’univers : électromagnétisme, gravitation, nucléaire fort et nucléaire
faible. Symboliquement, c’est ce que ces quatre perches représentent. Quand on fait la hutte à sudation et
qu’on est à l’intérieur, c’est de cette façon que le mouvement se vit à l’intérieur, et quand la hutte se ferme,
elle forme un croisé en « x », et non pas comme une croix. Les Aîné.e.s ont toujours parlé d’un symbole en
« x », de la puissance de l’univers en « x ». Dans toutes les cérémonies, le « x » est présent. Durant l’été, il y a
des branches croisées, et c’est là que sont placés les grands-pères. Durant l’hiver, quand nous faisons le
feu qui réchauffera les grands-pères, il y a toujours quatre bûches ou quatre branches sur la terre.
2. L’origine cosmique
Parlons maintenant de l’origine cosmique. Quand la terre a été créée, il y avait un gardien, un jardinier qui
veillait sur la terre, pour qu’il y ait harmonie dans la diversité. Il s’est aperçu qu’il manquait quelque chose de
très important pour que la terre soit plus complète. Il se mit à réfléchir et alla voir le grand esprit. Le Créateur
lui dit : « J’ai toujours confiance en toi. Réalise ce qui est sublime ». Alors, il partit vers la constellation de la
Grande Ourse, dans l’une de ces planètes. Une femme était alors en train de faire son travail, de ramasser les
bleuets, de faire le pâté de bleuets. Il s’approcha de cette femme, l’esprit de la terre, en lui disant « Il manque
quelque chose de sublime, de magnifique pour réaliser la beauté de la terre, et c’est l’être humain. » Et la
femme savait qu’il s’agissait des directives du Créateur, et ils partirent en direction de la terre. Arrivés sur
cette terre, ça a été difficile de se retrouver, l’esprit et la femme. C’est le peuple de l’ours, et la femme, c’était
une ourse. Puis, ils se sont rencontrés, ils ont fait connaissance durant un mois, et quand ils se sont séparés,
ils se sont donné rendez-vous dans neuf mois quand le printemps sera là, au même endroit. Quand ils se
sont rencontrés, la femme avait deux petits : l’un avait un manteau de poil d’ours, et l’autre n’avait pas de
manteau d’ours. Et la femme dit à l’esprit, qui s’appelait Wiskejak : « Tu vas t’occuper de ton fils », et Wiskejak
prit son fils puis ils partirent. À un moment donné, ils s’arrêtèrent et il dit à son fils :
Fils, ta mère, ce n’est pas la femme ourse. Ta mère, c’est la Terre-Mère. C’est la Terre-Mère
qui va te nourrir de la médecine et de tout ce dont tu auras besoin. Tu dois respect à la
Terre-Mère, tu dois respecter la dignité de la Terre, toutes les composantes de la Terre.
Le jeune s’est développé et il a rencontré la jeune fille, et c’est la jeune fille qui est devenue humaine, et c’est
comme ça que le peuple de l’ours s’est développé. C’est l’histoire que les Ancien.ne.s nous racontent : que
nous sommes un peuple de l’ours et que nous sommes venus de notre origine cosmique, la constellation
de la Grande Ourse. C’est quelque chose qui nous tient; c’est quelque chose aussi qui nous forme à avoir
la force. Ça, c’est l’histoire de l’origine cosmique, et c’est la femme que l’esprit a initiée aux cérémonies :
comment faire la hutte à sudation, quel genre de branches utiliser, comment mettre de l’écorce, et l’esprit
l’observât. Et l’esprit est rentré quand tout a été terminé. Il s’est assis du côté nord. Il recommanda à la
femme de couper une branche et de l’amener à l’intérieur de la hutte à sudation. C’est ce qu’elle fit. Et l’esprit
prit la branche et la femme ourse rentra le mocom à l’intérieur de la hutte à sudation. Il appela la femme
à se mettre à genou près de la porte de la hutte à sudation et à pencher la tête et l’esprit prit la branche,
toucha le mocom (la roche), et l’autre bout toucha le dessus de sa tête, qu’on appelle fontanelle. Et quand
la femme releva la tête, l’esprit offrit la pipe. Ce sont les porteuses de pipe. Les hommes ont toujours la
prétention de porter la pipe, alors que c’est la femme qui doit la porter. C’est elle qui enseigne à l’homme
comment utiliser la pipe.
3. L’époque glaciaire
Ça, c’est l’histoire cosmique, et [maintenant] les grands glaciers. Quand les grands glaciers, il y a 17 000
ans, ont commencé leur cheminement vers le Nord, une étendue d’eau s’est ramassée dans l’océan. À cette
époque, le peuple vivait à 300 kilomètres plus loin que l’océan actuel, parce que l’eau a remonté à 100 mètres
quand les glaciers ont fondu. Le peuple qui vivait à cette époque-là, c’était un peuple heureux, un peuple qui
s’enracinait dans la loi naturelle, l’égalité, c’était une société, et non un État, comme la plupart des autres
pays. C’était l’égalité et c’est comme ça que la société s’est développée, par cette composante des sociétés.
De temps en temps, les sept groupes de sociétés Anishnabe se rassemblaient pour discuter, pour les
cérémonies et pour d’autres activités. Et un jour, ils virent quelque chose d’étonnant dans le Pacifique,
et ils commencèrent à l’observer. C’était une lumière qui reflétait, à partir du reflet du soleil, il y avait une
autre lumière dans l’océan qui se reflétait, et c’est comme ça qu’ils se sont posé la question « Qu’est-ce que
c’est ? » Et la lumière se rapprochait de plus en plus. Ils se sont aperçus que c’étaient les grandes tortues.
À cette époque, il y avait encore des animaux considérés comme préhistoriques, comme les mammouths,
le tigre aux dents de sable, les grands ours. Et ces grandes tortues ont débarqué sur le rivage et ont
commencé à déposer leurs œufs, et les Ancêtres ont observé comment elles faisaient, et elles continuaient
leur voyage vers l’océan. Et c’est comme ça que la grande tortue a nourri le peuple qui ramassait les œufs
pour la consommation. Les œufs des grandes tortues étaient très riches. Une grande tortue vivait 500 ans,
il y avait toujours ce retour.
Les Ancêtres attendaient continuellement les grandes tortues à la même époque. Ils et elles savaient
que les grandes tortues allaient revenir et donner les enseignements. Les tortues ont donné beaucoup
d’enseignements au niveau des médicaments. Un jour, les glaces ont commencé à fondre, l’eau de l’océan
a monté. Les Ancêtres ont attendu les grandes tortues, mais les grandes tortues n’arrivaient pas. Et un jour,
les enfants crièrent : « Regardez, regardez! ». C’était le retour des grandes tortues, mais elles ne venaient
plus au rivage. Elles continuaient leur voyage. Les Ancêtres se posèrent la question lors d’un cercle pour
la discussion : « Qu’est-ce qui se passe avec les grandes tortues qui ne viennent plus nous voir ? ». Ils et
elles comprirent que quelque chose se passait, et l’eau continuait à monter. C’est à ce moment que tout le
monde a entendu les premières prophéties, la prophétie des sept feux. Alors les premières personnes qui sont parties, ce sont justement les Atikamekw Nehirowisiwok, qui ont
mis leurs canots d’écorce à l’eau et ont commencé à ramer, à suivre les tortues jour et nuit. Et à un moment
donné, avant l’aube, elles virent une étendue de lumière, une longue colonne de lumière. Elles se dirigèrent
dans cette direction, et c’étaient les grandes tortues qui se reflétaient en montant vers le rivage, l’eau qui
coulait sur leur carapace, le reflet de lumière. C’est la même chose au niveau de l’océan, c’est le reflet sur
le dos des grandes tortues. Il s’avère que les tortues offraient au peuple atikamekw une nouvelle terre, une
nouvelle terre qui commençait tranquillement à pousser. Dans ce groupe qui avait débarqué, il y avait une
jeune femme qui, le lendemain matin, allait accoucher. Et toutes les kokom (grand-mères), la société des
kokom, ont aidé la jeune fille, et l’accouchement s’est très bien passé, et elles ont mis de côté le placenta.
Et les kokom ont discuté pour savoir quoi en faire. C’est comme ça qu’elles se sont souvenues que les
grandes tortues avec leurs pattes de derrière faisaient un trou et envoyaient leurs œufs. C’est dans cette
vision-là que la culture s’est développée, une culture riche de l’importance des femmes, de l’importance
de l’accouchement, de l’importance de l’enfant qui vient au monde. Une réunion a eu lieu et le cercle des
kokom a expliqué la vision des grandes tortues. C’est la première fois que le placenta sera mis à la terre.
C’est aussi un consentement, c’est aussi un engagement, c’est aussi une responsabilité que cette nouvelle
terre va être protégée. C’est par l’engagement de la remise du placenta à la terre, de prendre soin de cette
nouvelle terre qui poussait. C’est là la constitution qu’établirent les kokom.
Et le groupe s’est dispersé le long du Saint-Laurent quand l’apparence a changé. Tous les vestiges, les
artéfacts le long du Saint-Laurent, ce sont les Atikamekw Nehirowisiwok qui y ont habité. On y retrouve des
sites funéraires. Les archéologues et anthropologues ont trouvé à l’Anse d’Amour un site funéraire. C’était
un jeune enfant de 12, 13 ou 14 ans. Il y avait des pointes de flèche qui l’accompagnaient et aussi la couleur
de l’ocre rouge qui était dispersée autour la tête. Ce groupe avait mis au-dessus de son dos une pierre. Les
anthropologues et archéologues n’en savent pas la signification, pourquoi ont-ils mis cette grosse pierre ?
Est-ce qu’il a été assassiné ? Des préjugés culturels se sont déployés. La pierre a été mise sur le dos parce
que le corps était couché, c’est l’image de la grande tortue. Les personnes de ce site funéraire se souvenaient
des cadeaux, se souvenaient de la grande tortue, et ont mis la pierre au-dessus. Cela répondait exactement
à une loi naturelle. Elles savaient que l’être qu’elles mettaient en terre allait partir comme les petites tortues,
mais au niveau de la conscience de l’esprit. C’est la même vision avec les grandes tortues.
Et un jour, elles virent un grand bateau à voiles. Elles étaient tous surprises de voir ce grand bateau. Et
les Ancêtres ont commencé, méfiant.e.s, à aller dans la direction du rivage du Saint-Laurent, parce que le
peuple campait dans la région qu’on appelle aujourd’hui Québec. C’était la première rencontre. Les historien.
ne.s du Québec et le peuple québécois ont toujours applaudi l’arrivée de ces grands bateaux, parce qu’il
y a des histoires biaisées qui racontent que tout a été beau pour nous, les rencontres par rapport à des
conquistadores et d’autres. C’est ce qu’on raconte dans l’histoire. Mais l’histoire des Autochtones est
différente, parce que les ancêtres ont été témoins de ces faits historiques.
Lors de la première rencontre, en 1534, et c’est confirmé par certain.e.s auteur.rice.s, il y a eu un viol collectif.
Des matelots, parce que c’était tous des hommes, ont commis un viol collectif. C’est le premier traumatisme
historique que mes ancêtres ont vécu. Il y a eu aussi la décapitation des membres de sept nations à qui on a
coupé la tête, les bras et les jambes. C’est le deuxième traumatisme historique. Selon le domaine de la neurologie,
le traumatisme historique laisse des traces à l’intérieur du cerveau. Alors, vous pouvez vous imaginer un peu le
résultat de la société actuelle par rapport aux Autochtones. Mais ils ne sont pas encore intégrés dans l’histoire,
ces faits réels. Ça va être surement des écrivain.ne.s autochtones qui vont écrire cette histoire. Du nord jusqu’au
sud, tous les peuples ont été violés, tous les peuples ont été massacrés, et les ancêtres avaient dit : « Mais ce
ne sont pas des êtres humains que nous rencontrons, qui sont-ils ? Ce ne sont pas des êtres humains. » C’est
ce qu’ils ont dit, parce que le traumatisme était énorme. C’était une autre culture, d’autres agissements, une
autre société, qui venait de l’Inquisition où les femmes ont été là-bas aussi massacrées, éliminées, considérées
comme quasiment non humaines, alors elles aussi portent des traumatismes historiques. Est-ce que c’est
cela, la réconciliation qui doit être travaillée ? Je vous laisse avec la question.
4. Questions
4.1 Les personnes qui furent attirées au son du hochet au début de la Création et qui se sont mises à
danser, dansent-elles encore ?
Réponse : C’est une bonne question. Cette danse est encore présente dans les communautés, c’est ce qui est
appelé les pow-wow, où tous les gens de la communauté participent à cette danse. C’est l’image cosmique
de la première danse, quand les ancêtres ont contribué à la création de l’univers. Alors, durant l’été, il y a
d’autres communautés qui continuent leur danse qui est appelée pow-wow. C’est une définition, je ne sais
pas d’où vient cette définition de pow-wow. Dans ma langue maternelle, nous appelons ça opwakininan
cinowin. C’est le terme naturel de cette danse. Ce sont les opwakan qui dansent. Et les opwakan sont des
composantes de la nature, les êtres humains ont aussi des opwakan. Les personnes disent souvent : « Mon
gardien, ma gardienne, c’est ça, c’est ça ». Elles parlent des opwakan. Cette danse naturelle est encore
appréciée dans nos communautés.
4.2 Quelle est la situation, aujourd’hui, avec les jeunes ?
Réponse : La situation avec les jeunes commence à favoriser un développement positif, comme une prise
en charge personnelle au niveau de ces jeunes-là. Il y a une autonomie qui apparaît. Parce que dans les
écoles, de plus en plus, l’histoire et l’artisanat font partie de la matière, et d’autres activités culturelles sont
intégrées à l’intérieur de l’école. Les parents et les jeunes apprécient ce genre de collaboration familiale et
communautaire à l’école. C’est ce qu’il leur permet de persévérer dans leur développement, mais aussi à
l’école. C’est très important d’intégrer la culture et les traditions comme l’apprentissage de la langue. Ces
traditions et éléments culturels sont très importants.
4.3 Tu as parlé de la prophétie des sept feux. Où sommes-nous situés en ce moment ?
Réponse : Selon les Aîné.e.s, et aussi selon les personnes qui tiennent compte de ces prophéties (ça leur
permet en même temps d’être prévoyants, d’être prêts au moment opportun de cette prophétie) on est
rendus à la septième prophétie. J’ai demandé tout à l’heure : « Est-ce que la réconciliation peut se faire ? ».
Elle fait partie de la septième prophétie. Et, ce qu’on a vu aussi dans les mouvements sociaux, dans les
contestations, la jeunesse québécoise et les autres embarquent dans ce mouvement; le nationalisme
est dépassé, et c’est ça qui est important de mentionner sur cette question de la septième prophétie.
La septième prophétie, c’est aussi la situation que nous vivons, de réfléchir à une nouvelle direction, à
une nouvelle société. Est-ce que nous voulons développer une nouvelle société parce qu’on ne peut plus
revenir en arrière ? La société que nous avons connue est en train de s’effondrer, tout se bouleverse. Alors
nous avons encore cette septième prophétie qui favorise une communion commune vis-à-vis de la terre.
Quand je dis une communion commune, je parle de toutes les composantes de l’être humain, que ce soit
de l’Europe ou de nos amis les peuples africains, tout ça, le mouvement va sûrement s’amorcer pour une
nouvelle direction. C’est la septième prophétie, nous la vivons actuellement.
4.4 Peut-on parler de la décolonisation dans nos relations dans la société en général ?
Réponse : En ce qui concerne la décolonisation, il y a des étapes à considérer. La première étape, c’est la
décolonisation de l’être humain. Ça, c’est une démarche extrêmement importante. Parce que le colonialiste a
intégré les faits de son ambition à l’intérieur du cerveau, et quand il reste le colonialisme au cerveau, on a de
la misère à changer, on a de la misère à se développer harmonieusement. La question actuelle à l’international
et au Canada, dans les statistiques autochtones, c’est négatif, et on sait ce qui se passe. C’est pour ça qu’il
faut premièrement se décoloniser dans la tête, se décoloniser en premier, rétablir notre être, le supporter
vers le positif, bien nourrir, bien exprimer sa langue, bien connaître son histoire. Quand des personnes ne
connaissent pas bien leur histoire, il y a des personnes qui disent qu’un peuple qui n’a pas son histoire est
un peuple qui n’existe pas. C’est ce qu’elles disent. L’histoire est importante : commencer à réécrire l’histoire
de la nation, l’histoire de l’univers. C’est ça dont les jeunes ont besoin pour se rétablir, pour dépasser des
situations difficiles d’autodestruction. C’est l’histoire, aussi, qui va contribuer à un développement, à un
équilibre de soi, mais aussi de la nation. Cet équilibre doit être aussi considéré. Après, quand on s’est mis
en situation positive, on peut aller vers la société et commencer aussi à porter le message, à sensibiliser
les gens, à les amener à se poser des questions nous-mêmes par rapport au racisme systémique, par
rapport à la haine. C’est une démarche très, très importante, et les Autochtones doivent aussi contribuer à
cette sensibilisation. Et c’est ça la question du système de décolonisation. N’oubliez pas que les personnes
colonisattrices, ce sont des êtres humains aussi. Ça, c’est un rapprochement, mais c’est aussi comme une
démarche de réconciliation.
4.5 Expliquez le terme de waskamatisiwin
Réponse : Waskamatisiwin a aussi un rapport à la conscience. Quand nous développons waskamatisiwin,
ou « aller vers la lumière », waskama, ou « luminosité », ça c’est un éveil de conscience. Prendre conscience
que notre capacité, que notre force et ses composantes sont un moteur qui est mis à la disposition par la
conscience pour développer des façons équilibrées, habiles, d’aimer, de valoriser la vie en famille, pour que les
enfants soient aussi dans waskamatisiwin. Les enfants vont embarquer carrément dans cette démarche de
waskamatisiwin. Pour être conscient au réveil, l’une des premières choses que les mocom préconisent c’est
de s’énergiser de premiers rayons du soleil. Parce qu’en dormant, le corps astral ou l’esprit a fait le voyage
et le corps est resté là, la vie, la respiration, les composantes essentielles, mais la conscience est partie et
elle revient réintégrer le corps après s’être bien reposée. Au matin, il y a des exercices pour s’énergiser de
premiers rayons du soleil. L’esprit ou la conscience a réintégré le corps, et c’est cette nouvelle énergie qui va
contribuer à un développement plus harmonieux. C’est ça, l’enseignement, quand on parle de waskamatisiwin.
Ce n’est pas toujours de courir après les psychiatres ou les psychologues, mais aller, premièrement, voir les
personnes qui peuvent parler avec les personnes qui ont besoin de soutien. Il y a des méthodes d’équilibrage
au niveau des guérisseurs, un de ces équilibrages pour être conscient waskamatisiwin, comme quand la
personne est étendue et que l’autre transporte le hochet sur tous les points sublimes où l’énergie passe.
La personne sent réellement qu’elle avait besoin de cet équilibrage au niveau de sa colonne vertébrale.
J’offre du tabac à la personne qui demande un équilibrage. La personne va utiliser le tabac; ça fait partie
des protocoles. C’est important d’être en équilibre, waskamatisiwin, d’être conscient.
4.6 Chez les Anishinabek, le tambour grand-père est la responsabilité des hommes, et les plus petits
tambours de diamètre de moins de 24 pouces peuvent être portés par tous les gens, selon leurs
intérêts. Est-ce que c’est la même chose chez les peuples à l’est de la rivière Outaouais ?
Réponse : C’est la même culture. Peut-être qu’avec les époques certaines traditions ont changé mais,
fondamentalement, le point central, c’est toujours la responsabilité de l’homme d’être en charge d’un grand
rassemblement, et les femmes contribuent en nourrissant leur peuple comme elles nourrissent leurs enfants.
Alors le tambour est extrêmement important dans l’histoire, dans les cérémonies Wapano. Les peuples
de l’Est sont plutôt une société de visionnaires. Les Anishnabe savent que ceux qui sont à l’Est sont une
société de visionnaires, parce que c’est le peuple de Wapano. La société visionnaire est une question de
Wapano. C’est la cérémonie de Wapano et chez les Anishnabe, c’est la cérémonie Medewin. Ce sont plutôt
des enseignements du bon cœur, avoir un bon cœur, écouter, parce que le cœur c’est aussi la place du
Créateur, c’est à partir du cœur que le Créateur communique avec nous, nous supporte, nous encourage,
nous connaissons les grands principes. C’est important, la place des hommes, comme les tambours, les
chanteurs dans les pow-wow, mais il y a aussi beaucoup de femmes qui chantent et qui dansent.
4.7 Parlez de l’importance des pratiques culturelles lorsqu’il s’agit de conservation et d’autodétermination
d’un peuple.
Réponse : Quand on parle de l’auto-détermination, beaucoup de ces expressions, de ces principes-là, sont une
question de responsabilité. Quand on parle de l’autodétermination, il est aussi question d’établir le système
traditionnel, parce que dans la société, il y a des mouvements et des personnes qui réfléchissent et qui se
positionnent pour un nouveau développement de la société. Elles sont souvent appelées des anarchistes,
et il y a des regroupements comme ça qui essaient d’éveiller les gens, de leur faire prendre conscience qu’il
y a aussi d’autres systèmes qui sont bons pour la société.
4.8 Que pensez-vous du huitième feu ?
Réponse : En suivant l’histoire et les prophéties de la nation Anishnabe, les prophéties se terminent à la
septième. J’ai entendu parler de cette huitième prophétie. La huitième prophétie, c’est un système de
communication : rentrer vers l’autre, discuter de ce qui est humain, la société qui doit changer. C’est ça,
le système du huitième feu. Le défunt grand-père William Commanda a été l’initiateur de cette rencontre
internationale, il y a quelques années, et c’est là qu’il avait parlé d’une vision qu’il avait reçue d’établir une
nouvelle prophétie du huitième feu. Il y avait beaucoup de gens à ce rassemblement qui étaient aussi à la
recherche d’une source, de l’identité spirituelle. C’est ça le huitième feu.
4.9 Est-ce que vous souhaitez nous parler de l’impact des compagnies forestières et autres formes
d’extractivisme sur les milieux naturels de vos territoires ?
Réponse : C’est vraiment une question qui me concerne, parce que la famille a pris la décision de rétablir
dans leur territoire traditionnel une aire protégée. Nous n’appelons pas ça une aire protégée, nous référons à
notre culture, à notre philosophie, à notre compétence pour établir ce que nous appelons masko cimakanic
Aski, mais pour le moment, ce n’est pas très favorable au développement, que ce soit concernant l’aire
protégée ou autre, villégiature ou des promenades. Ce n’est pas avec la décision politique du gouvernement
actuel, qui n’a aucune valeur morale, qui n’a aucune valeur environnementale, et qui n’a aucune valeur pour
le peuple québécois. Il se fiche pas mal du peuple québécois et des regroupements qui veulent conserver
l’environnement, la forêt. Il se fiche pas mal de ces groupes. Nous aussi, on reçoit déjà des informations
au sujet des coupes futures que nous allons voir sur le territoire de chasse, mais aussi sur le territoire des
trois communautés, que ce soit Manawan, Obedjiwan ou Wemotaci. La plupart de ces territoires ont déjà
été coupés, surtout ceux liés à la communauté du Nord, Obedjiwan. On ne sait pas comment… Je suis
favorable à l’autodétermination. Si le gouvernement ne veut pas tenir compte de la présence des Autochtones,
de leur territoire, c’est de formuler, de pouvoir travailler sur l’autodétermination. Il y a des gens qui me
disent : « Tu peux déjà l’appliquer », mais il y a toujours l’autre main en direction du gouvernement, pour la
dépendance, pour de l’argent pour des projets dans ta communauté. Pour moi, l’autodétermination ce n’est
pas la dépendance envers un gouvernement. C’est d’arriver à discuter de mon autodétermination, et de dire : « Voilà [ce qu’il faut] pour qu’un développement harmonieux se mette en place ». J’aimerais aussi qu’on
me considère comme un participant légal qui a le droit à des royautés. Ça, ce n’est pas une dépendance,
c’est un accord, Mais il faut aussi pouvoir prendre conscience des limites qu’on pourrait déterminer à ce
développement. L’autodétermination est toujours à l’intérieur de ma réflexion commencer à propager
l’idée de l’autodétermination au niveau de ma communauté : « Est-ce qu’on le fait ? ». C’est toujours dans
l’actualité. Beaucoup de mouvements se lèvent pour contrer les politiques du gouvernement, essayer aussi
de redevenir humain, et de reconnaître que la nature a aussi ses valeurs, sa dignité, et aussi les composantes
du territoire comme la vie animale, les plantes médicinales, tout ce que sont les beautés de la nature, c’est
ça dont il faut aussi tenir compte.
4.10 Comment peut-on rétablir nos principes traditionnels face aux conseils de bande qui négocient notre
culture pour de l’argent ?
Réponse : C’est une bonne question qui fait du bruit, et aussi qui fait des mécontentements au niveau du
pouvoir. C’est le conseil de bande qui détient le pouvoir, surtout à partir de la définition de la Loi sur les
Indiens. Il est au service des deux gouvernements pour toutes les questions concernant le développement.
L’autre mouvement, ce ne sont pas des contestataires, ce sont plutôt des gens qui se préoccupent, comme
d’autres groupes, de l’environnement; c’est une question de santé, c’est une question aussi de protection,
et aussi c’est une question de qualité de vie. C’est ça qui entre en ligne de compte quand on parle des lois
naturelles, quand on parle des grands principes que détient le peuple des communautés. Alors c’est aussi
comme une personne qui m’avait informée que quand un mouvement un peu plus prononcé se met en place,
automatiquement, les Autochtones sont considéré.e.s comme des personnes louches ou criminelles. Ça a
toujours été comme ça. Le gouvernement Harper, à l’époque, a toujours considéré les personnes autochtones
comme des contestataires du développement économique. Il les a considérées comme des terroristes,
des illégales face à la ressource naturelle. C’est important de le mentionner. J’ai lu un article par rapport à
cette situation, un développement caché où ils veulent enterrer au Québec tous les déchets radioactifs, et
ce, sans demander, sans informer. C’est malhonnête. On peut dire qu’ils détruisent la belle province au profit
des multinationales et que le peuple souffre de cette situation. J’aimais bien quand Michel Chartrand prenait
la parole. Tout le monde a connu Michel Chartrand à une époque où sa présence était formidable, quand il
disait des choses réelles en pleine face. C’était un homme toujours apprécié au niveau des communautés.
5. Mot de la fin sur la décolonisation
Je lis beaucoup de journaux alternatifs ou de revues alternatives pour des questions qui m’intéressent. En
Europe, il y a des regroupements qui commencent à se poser cette question : « Comment devons-nous nous
décoloniser ? Comment doit-on enlever, en tant que personne européenne, cet esprit du colonialisme ? ». C’est
important, et c’est la même chose au Québec : comment les Premiers Peuples doivent-ils se décoloniser ?
L’échange avec les personnes européennes qui sont sensibles à cette question est à envisager pour avoir
plus de positions.
Ces éléments qui ont été développés ici appartiennent à l’humanité. L’environnement est aussi une question
à travailler et envers laquelle s’impliquer. Je suis très content de ce dernier partage. Cela va nous permettre
d’apprécier davantage la vie et de participer à une relation harmonieuse des différents peuples de la terre,
de partager cette vision commune. Mataci.
Je vous dis en atikamekw : Kitci-mikwetc.
Files
Collection
Citation
“Coocoo, Charles conference bronfman,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed November 12, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/404.