André, Mani Shan

Titre

André, Mani Shan

Sujet

guérison; plantes médicinales; abus sexuel; tente à suer (matutishan); médication; santé canada; kutikuniu

Description

mode de guérison;

Créateur

André, Mani Shan (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Production Manitu inc.

Éditeur

Production Manitu inc.

Date

Août 2000

Droits

Production Manitu inc.

Langue

Innu

Couverture

Entretien à Mani Utenam (Québec, Canada)

Type

vidéo | video

Format

MP4, 32 min. 18 s.

Original Format

vidéo | video

Transcription

Évelyne : Si tu veux bien, pourrais-tu me dire ce que tu fais comme travail ?
Mani Shan : Je viens en aide à l’Innu dans la communauté. Je l'aide pour qu'il puisse s'extérioriser plus facilement, pour être à son aise dans la société. Moi, je veux renverser les méthodes d'apprentissage ou de guérison de l'homme blanc. J'utilise beaucoup ce que j'ai appris de notre mode de guérison. Je me sers de la tente, des rencontres en cercle. Un Innu se guérit mieux avec les plantes médicinales, les herbes que nous utilisions anciennement. On commençait à perdre cette méthode à force d'être mêlé aux non-autochtones. Il n'était pas bien là-dedans et venait chercher ce qui lui convenait le mieux.
Évelyne : De quelle maladie souffre la personne qui réclame tes services ?
Mani Shan : Sa souffrance vient de loin, comme les abus sexuels et elle a toujours cheminé là-dedans, elle a développé le mépris, la consommation d'alcool, de drogue, elle a totalement changé sa personnalité. Et lorsque moi, je suis intervenue, il faut que je sois à l'écoute dans le respect. M'organiser à ce que l'on comprenne sa situation, sa détresse. Il faut qu'elle se sente libérée de tout lien, être bien et se sentir à l'aise dans le noir, à l'intérieur de la tente de suerie (swet lodge) pour confier ses problèmes à ses grands-pères, à son Être suprême selon ses croyances et sa spiritualité.
La tente guérit son âme de son mauvais caractère, car il y en a beaucoup dans la communauté. Au lieu de l’incarcérer, je préfère la prendre à ma charge pour la guérir, car si je la devance, elle va entrer en prison, mais à sa sortie, elle va toujours garder à l'intérieur d’elle son mauvais caractère. Prends, par exemple les consommateurs de drogues. Ils volent pour se satisfaire et ils viennent me voir pour de l'aide. On est en l'an 2000 et on commence à comprendre mon travail même auprès des paliers gouvernementaux.
Évelyne : Parce qu’avant ça, on s’adressait aux intervenants blancs et nous, la médication, on n’avait pas confiance en elle et à nos moyens. Moi, je constate que tu travailles beaucoup afin de reprendre la méthode de guérison. Est-ce que c'est ça que tu fais ?
Mani Shan : Oui, moi j'ai déjà travaillé dans les services sociaux chez les Blancs. Ce ne sont pas des fonctionnaires, mais l'ambiance qu'il y a dans ces bureaux, l’Innu n'est pas l’aise à l'intérieur. Il ne peut pas s'exprimer comme il veut à cause des bureaux avoisinants, il ne peut pas pleurer librement, sortir le mauvais de son intérieur, il ne peut pas faire ce qu'il veut. C'est pour ça que je me suis mis à chercher les outils, l'environnement, la méthode pour mettre à l'aise l’Innu. J'ai de l'aide technique de Lysa Monchur de l’Ontario, car c'est elle qui m'a guéri et qui m'a montré cette technique. Toutes les communautés sont atteintes par ses problèmes entre autres les abus sexuels. Après six ans avec cette méthode, on commence à y croire. J'en ai eu des difficultés au cours de ces 6 années et aujourd'hui, on dirait que tout rentre dans l'ordre comme cela aurait dû être au cours des six dernières années.
Évelyne : Ceux qui réclament ton aide savent-ils qu’au niveau de la santé,on ne reconnaît pas cette méthode de guérison ou on ne fait pas confiance à elle ?
Mani Shan : Pour publiciser cette méthode, je passais souvent à la radio afin de donner de l'info sur cette méthode et même dans l'émission "Jeannette veut savoir". Je parlais toujours des choses positives afin de convaincre notre animatrice et c'est elle d'ailleurs qui fut ma première cliente. À force d'en parler avec elle, ça s'est propagé dans les autres communautés. Aujourd'hui, je suis rendue à l’érection de la clinique.
Évelyne : Il y a tellement de demandes ?
Mani Shan : C'est tellement grand que chez nous, il n'y a pas assez de place. C'est un séjour de 17 jours et il y a des étapes à suivre. Également, il faut des formateurs dans les communautés à leur retour et j'en suis rendue qu'il faut que je donne de la formation à ces derniers et à ceux avec qui je vais travailler à la clinique.
Évelyne : As-tu beaucoup de clients et qui sont guéris ?
Mani Shan : Si tu savais ! On voit les résultats et l'efficacité de cette méthode. Il y en a qui font des rechutes, mais ils se relèvent aussitôt. C'est ça qu'il faut faire. Quand ils retournent à leur bouteille, c'est parce qu'ils n'ont pas eu leurs bas-fonds. Ils reviennent alors par eux-mêmes. Ils s’encouragent entre eux. Il y a beaucoup de respect dans ce mode de thérapie. On met tout au même niveau, il n'y a personne plus haut qu'un autre.
Dans les premiers temps, je rencontre chaque individu. Le nombre a augmenté et il a fallu que je les rencontre en groupe. Il y a des familles qui sont venues me voir. Tu sais, le chemin se fait tout seul.
Évelyne : As-tu commencé à transmettre cela à un autre ?
Mani Shan : Elles sont trois, une femme et deux filles, pour continuer parce qu'il y aura une clinique.
Évelyne : Et tu suis toutes les procédures que l’Innu utilisait ?
Mani Shan : Oui, même les ainés viennent à la tente de suerie.
Une personne qui n'a pas suivi cette thérapie ne percevra pas de la même façon que celle qui l’a suivie. Elle verra à travers celle-ci pour comprendre l'efficacité de cette méthode.
Si je regarde au début jusqu'à aujourd'hui, j'ai une grande confiance de la réussite. J'en ai travaillé un coup et je suis fière aujourd'hui. J’ai brailler parce qu’il n’y avait personne dans les conseils de bande, dans les paliers gouvernementaux qui semblait me comprendre. Je me demandais quel langage utiliser pour qu'ils me comprennent. Peut-être à cause du fait qu’eux n’ont jamais été abusés dans leur vie. Il a fallu qu'un Innu avoue avoir subi les abus pour que ça débloque. Je sais que ceux qui ont subi des abus, ceux qui ont des problèmes d'alcool, de drogues ou autres, ceux qui se sentent où se trouvent dans le plus bas possible vont comprendre ce que je dis, tandis que pour les autres, les plus fiers de leur personne ne comprendront rien.
Évelyne : L’Innu a peur de ça ?
Mani Shan : Oui, il en a peur.
Évelyne : Et on mélange la religion avec ça ?
Mani Shan : Oui, j'entends souvent ça, ils disent qu'on prie différemment d’eux. Mais tu confies tes problèmes à une ou des personnes, tu ne pries pas. Tu te soulages dans ton intérieur en extériorisant le mauvais côté de ton vécu. Quand je parle du Créateur, je sens quelque chose de fort dans mon cœur, je sens la force d'un Être. On a juste à regarder sa création : la terre, la nature, les animaux, les eaux, le soleil. On ne pourra jamais dépasser cet Être. J'ai des chapelets moi aussi, j'y vais à l'église moi aussi. On dit qu’on prie différemment d’eux, mais ce n'est pas vrai, car ici nous suivons une thérapie, une guérison.
J'ai tellement utilisé l’innu aitun, que j'ai été congédiée de mon travail au centre de détention de Port-Cartier. Je dérangeais les fonctionnaires gouvernementaux. Je suis fière d'avoir subi les foudres de ces derniers à cause de ma méthode.
Même la personne qui a causé du tort vient me voir.
Aujourd'hui, je remercie Liza de tout ce qui arrive et ce sont nos Innus qui vont bénéficier de tout cela.
Évelyne : Et toi aussi, on commence à te connaître et à t’imiter ?
Mani Shan : Oui, je suis en train de suivre les traces de ma grand-mère Liza. Elle a travaillé en prison comme moi, elle a été formée comme moi, elle a beaucoup voyagé et voyage encore comme moi. Après la signature et l’appui des chefs, j'ai commencé à visiter toutes les communautés.
Les femmes d'aujourd'hui se sont levées. L’Innu retourne à ses sources.
Évelyne : Tu travailles sur deux choses : la prison et ta clinique. Quand penses-tu ouvrir celle-ci ?
Mani Shan : La prison, ce sont les Innus qui vont être formés et qui vont travailler à l'intérieur. Mais les détenus vont venir suivre la thérapie chez nous. C'est ce qu'on nous a dit.
Évelyne : Et pour ta clinique ?
Mani Shan : Santé Canada va faire accréditer le programme. Il va envoyer deux des agents pour venir observer et les fonds sont déjà disponibles. Il manque seulement l'achat d'un bâtiment de la part du conseil de bande.
Évelyne : Dans un endroit plus grand pour travailler ?
Mani Shan : Oui, pour pouvoir garder les Innus.
Évelyne : Quel est ton plus grand souhait Manishan ?
Mani Shan : Que le projet se concrétise le plus tôt possible, car c’est par la thérapie que l’Innu prend conscience de ses origines et retourne à ses sources, à sa langue. Je souhaiterais que les décideurs politiques et administratifs aient l'esprit ouvert. C'est juste ça qui manque dans la communauté, car si on regarde dans celle-ci, on voit beaucoup de problèmes sociaux. Ils ne verront pas cela d’où ils se trouvent. Il faut qu'ils viennent nous voir, nous encourager.
Évelyne : Quel message tu laisserais aux jeunes ?
Mani Shan : Moi, les enfants, j’ai une grande confiance en eux parce que c’est la relève. Ce sont eux qui vont prendre nos places. Lors du forum des jeunes, parmi les recommandations, il y avait ce projet. Qu'il soit finalisé le plus tôt possible.
Il y en a un [jeune], entre autres, qui fait partie du comité de travail du forum et qui travaille beaucoup pour que la clinique se concrétise.
Nos ancêtres, nos parents ont vraiment vécu la vraie thérapie. Ensuite, vinrent les prêtres qui ont inculqué à ces derniers des principes basés sur la religion et nos parents ont de la difficulté à revenir à leurs vraies valeurs tandis que les jeunes, c'est facile pour eux de comprendre, car ils sont à la recherche de grosses sensations comme la drogue.
De ne pas se décourager, suivez votre chemin, on vous invite parce que beaucoup se sont relevés et toi qui a de la misère, le moment est arrivé pour que ta maison soit là. On l'appellera « Kutikuniutshuap ».

Fichiers

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Citer ce document

André, Mani Shan (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), et Malenfant, Eddy (cinéaste), “André, Mani Shan,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, consulté le 22 septembre 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/332.