Michel, Shimun et Anne-Pinamen 1

Titre

Michel, Shimun et Anne-Pinamen 1

Sujet

Anne-Pinamen, née en forêt; Sheshatshiu; poste de traite north west river; Uashat; raquettes rougeâtres; campement mishta-shipu; fourrure; carcajou; confession

Description

récit de vie

Créateur

Michel, Shimun et Anne-Pinamen (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Production Manitu inc.

Éditeur

Production Manitu inc.

Date

2000

Droits

Production Manitu inc.

Langue

Innu

Couverture

Entretien à Sheshashtieu

Type

récit de vie | oral history

Format

Mp4 20 min. 31 s.

Original Format

vidéo | video

Transcription

Anne-Pinamen: Il s'appelle Daniel. Le plus jeune enfant de ma tante Marie est décédé de la même façon, dans l’eau. Ceux qui se noient. C’était les cadets de ma mère et ma tante. Ces dernières sont de la même famille.

Evelyne: À quel endroit? Proche d’ici ?

Shimun: Lui est mort sur la rivière proche d’ici, au milieu du rapide. Il est tombé de l’embarcation et il a été emporté sous les glaces.

Anne-Pinamen (00:29): Il a été retrouvé au mois de janvier. C’était gelé et le niveau de l’eau était bas, c’est de cet endroit qu’il a été repêché.

Anne-Pinamen (0:39 Il y a un lac proche de l'école. C'est à cet endroit que ma tante Marie a perdu son enfant. La glace a cédé pendant que le jeune patinait et ses amis n'ont pas eu le temps de l’attraper, il était déjà décédé. Il avait réussi à casser la glace à une très longue distance.

Evelyne (00 :59): Tu es née ici?

Anne-Pinamen: C'est ici que je suis née, dans la forêt plus loin que le fleuve situé ici à côté. L’endroit s’appelle Atshikuanat.

Evelyne (01 :12): Comment se nomment tes parents?

Anne-Pinamen: Mon père se nomme Joachim Ashini et ma mère, Anne-Pinamen Ashini. Mon nom de fille est Marie-Anne Ashini.

Evelyne (1:32) : Vous avez toujours demeuré ici?

Anne-Pinamen: Toujours! Nous sommes ici depuis très très longtemps. L'arrière-grand-père de mon père, son grand-père, son père et mon père ont tous vécu ici. Et maintenant nous.

Evelyne (01:53): Lorsque tu étais jeune, y avait-il beaucoup d'Anglais qui habitaient ici?

Anne-Pinamen (01:58): Oui, il y avait des gens en face sur la rive opposée. La réserve était de l’autre bord. Il n’y avait pas d’Anglais dans le temps que ma mère et tous les gens de Sheshatshiu y habitaient. Ils devaient tous être de l’autre côté. Il y avait même le cimetière.

Evelyne (02 :17): Oui, nous l’avons vu. À quel moment êtes-vous déménagés ici ?

Anne-Pinamen: Il n'y a pas très longtemps. J'avais environ 12 ans. C'est vague dans ma mémoire. Je ne m'en souviens pas très bien.

Evelyne (02 :33): Toute la communauté a été relocalisée?

Shimun: De l’autre bord de la rive.

Anne-Pinamen: Tous les Innus ont déménagé. Ce n’était pas vraiment une église [qui se trouvait à cet endroit]. Un Anglais de l’Europe y vivait. Il y élevait ses enfants et il avait un magasin, car les Innus étaient démunis. C’est d’où ils prenaient leurs provisions.

Shimun: Il achetait de la fourrure.

Anne-Pinamen: Oui, l’Anglais de l’Europe achetait la fourrure. L’église était sa maison. Le gouvernement n’a aucunement contribué à cette église. L’Innu avait tout coupé le bois à la hache sans être rémunéré et le médecin les a tous sciés en longueur. Notre médecin se nommait Docteur Baden.

Evelyne (03 :16): Il semble y avoir eu un hôpital en face auparavant?

Anne-Pinamen: Nous avions un très bon hôpital… Comme par hasard, un livre du territoire tombe sur le sol. (Rires)

Evelyne (03 :35): Les Innus doivent avoir consulté dans cet hôpital?

Anne-Pinamen: Ses portes ont fermé il n’y a pas très longtemps. Plus ou moins 10 ans environ.

Evelyne: Et lui [Docteur Baden], il est originaire de Uashat?

Anne-Pinamen: Il parait qu’il est arrivé ici à l’âge de 19 ans.

Evelyne: Tu étais à quel endroit avant?

Shimun: Je devais être à Uashat. Nous étions de l’autre bord de la rivière Caniapiscau. On y voyait souvent des gens de Chisasibi, presque à chaque année.

Evelyne (04 :30): Tu es née à quel endroit?

Shimun: Je suis venu au monde à Messentshik, un peu plus haut que Menihek.
Ma grand-mère est née au même endroit.

Evelyne: Mishta-Pinamen ?

Shimun et Anne-Pinamen: C’est à cet endroit qu’elle et son époux allaient en campement pour chasser la martre. Elle chassait la martre, elle n’avait pas beaucoup d’enfants.

Evelyne (05 :01): Et toi [Shimun], ta famille est venue ici?

Shimun: Oui.

Anne-Pinamen: Toute sa famille est venue.

Evelyne: Quel est le nom de ton père?

Shimun: Il se nomme Pinip Michel.

Anne-Pinamen: Ils sont tous venus ensemble, il n’était pas encore marié, ils était encore jeune.

Shimun: Je n’étais pas marié lorsque nous sommes arrivés, j’avais 19 ans.

Anne-Pinamen: Knob Lake n’existait pas encore. C’est ici que demeuraient les gens. Ils n’avaient surement pas encore découvert l’endroit.

Evelyne: Le train ne devait pas exister?

Shimun et Anne-Pinamen: Non, il ne devait pas exister.

Shimun (05:43) : À Knob Lake, lorsque les gens se déplaçaient (à pied en tirant un tobogan), ils se retrouvaient avec des raquettes rougeâtres. Ils croyaient que c’était de la peinture, alors que c’était de la terre rouge provenant des mines de fer. Tous les Innus qui se déplaçaient avaient des raquettes décolorées.

Evelyne (06 :19): C’est à cet endroit que vous avez décidé de demeurer?

Anne-Pinamen: Lorsqu’ils (les membres de la famille de Shimun) sont arrivés ici, ils ne pouvaient retourner car ils ont manqué de nourriture.

Shimun: Nous devions retourner mais vu que nous manquions de nourriture, nous sommes revenus et depuis ce temps, nous sommes ici.

Evelyne : Tes parents ont aussi demeuré ici depuis ce moment-là ?

Shimun: Oui, par la suite mon grand-père Jean-Pierre est arrivé.

Evelyne: Jean-Pierre de Knob Lake?

Anne-Pinamen: Non, lui c’est son parrain.

Shimun: Non, lui [sur la photo] a été gardé par mon grand-père Jean-Pierre.

Evelyne : Lui, c’est le cousin aîné de mon père ?

Shimun: Oui, c’est son cousin aîné.

Evelyne (08 :29): C’est alors que vous vous êtes mariés?

Anne-Pinamen: En effet, nous sommes maintenant mariés depuis 51 ans.

Evelyne : Et vous avez combien d’enfants ?

Anne-Pinamen: 12 enfants.

Evelyne: Petits enfants?

Anne-Pinamen: Presque 50 petits-enfants.

Evelyne: Et des arrière-petits-enfants?

Anne-Pinamen: Nous n’avons que 3 arrière-petits-enfants.

Evelyne (8:08) Vous avez toujours continué à aller dans la forêt?

Anne-Pinamen: Dans le passé, nous allions toujours en campement au Mishta-Shipu. C’était leur territoire jusqu’à l’endroit qu’on appelle le Mishta-Paushtik.
Après notre mariage, il [Shimun] allait en campement au Unashka car la Mishta-Shipu était très dangereuse. Il y a de très longues perches sur l’eau. Cela me fait peur.
Si tu prends Nitaimina, le Naskapi shipu,tu pourrais arriver à Kutuessinan le grand lac. Tu pourrais te rendre à Menihek en te déplaçant en canot. C’est vers Menihek que l’on va en campement.

Evelyne (08 :59): À Menihek?

Anne-Pinamen: Oui, il faut passer par Kutuessinan et il faudrait que tu effectues un portage aux rapides.

Evelyne : La durée pour s’y rendre en canot est-elle longue ?

Anne-Pinamen: Environ un mois. C’est à Menihek que tu vois Kutuessinan. Ce n’est pas vraiment très loin. Ça ne prend qu’une heure en avion et un peu plus en hélicoptère.

Evelyne (09 :34): Est-ce qu’il y a longtemps que vous n’y êtes pas allés?

Anne-Pinamen: Nous sommes allés voir notre territoire au printemps. Je suis même allée voir Atshikun où je suis née.

Shimun: Nous y sommes rendus en avion.

Anne-Pinamen: Nous avons été en hélicoptère.

Evelyne (09 :51) : Sur le territoire, ressentez-vous beaucoup la présence de petits avions ?

Shimun: Il y en a, mais très peu.

Anne-Pinamen: On ne les entend pas souvent et ils survolent très haut.

Anne-Pinamen (10:07): Par ici et de l’autre côté, ils survolent très bas. Même à [Shapeshkashu] l’endroit où les Innus vont en campement, les gens disent qu’ils survolent très bas. Tandis que dans notre territoire, ils survolent très haut.

Evelyne (10 :29): Y a t-il des animaux sur votre territoire?

Anne-Pinamen: Dans les 3 jours durant lesquels nous sommes restés, nous avons aperçu et tué du caribou chaque jour. Il y a aussi l’outarde à profusion. Tu aimerais beaucoup l’endroit.
Cela a toujours été ainsi. Dans le passé, le caribou était très gras dans notre territoire. Maintenant, il n’y a que sa viande dans le corps.

Evelyne: Et quelle est la raison?

Anne-Pinamen (10 :57): Je n’en suis pas certaine. Il parait qu’il vient de très loin. Le fait de marcher de très loin. Le petit caribou est blanchâtre, il n’est pas gros. Il parait que c’est le meilleur, car il vient et arrive de la forêt. Personne n’y a touché, car il arrive de très loin, de la toundra. Le caribou de la toundra est semblable à celui-ci.

Evelyne (11 :31): Pour ce qui est de la fourrure…

Shimun: Oui.

Anne-Pinamen: Vraiment oui, c’est grâce à cela que nous pouvions nous nourrir. Dans le passé, nous ne recevions pas d’aide humanitaire. Cela n’existait pas. Nous subvenions à nos besoins avec la vente de fourrures et par crédit. L’Innu avait droit au crédit car il achetait beaucoup pour s’approvisionner lorsqu’il montait dans le bois.

Evelyne: De quelles fourrures s’agit-il?

Shimun: Le vison, le renard et le castor.

Anne-Pinamen: Du lynx aussi.

Shimun: Dans le passé, il n’y avait pas de martre par ici. Il y en avait seulement vers Menihek, dans la forêt au Caniapiscau. C’est à cet endroit que nous arrivions de Uashat.

Anne-Pinamen (12:20): Il n’y avait pas de castor non plus auparavant. C’est lorsque les gens en ont déposé ici qu’il a commencé à se multiplier.

Evelyne (12 :32): Et le carcajou? Il y en a encore ?

Shimun: Il y en a dans la toundra, pas ici dans la forêt.

Anne-Pinamen: Lui qui a tendance à voler, le voleur. (Rire)

Shimun: Un petit démon. (Rire)

Evelyne: Vous en avez déjà vus?

Anne-Pinamen: Oui, nous en avons vus souvent.

Evelyne: Pensez-vous qu’il va y en avoir?

Anne-Pinamen: Il ne peut rester proche de la ville, il reste loin dans la forêt.

Shimun: Il est dans la toundra.

Evelyne (13 :27): Il parait qu’ils (les chasseurs) en ont pris au piège à Uashat dans le passé. Un monsieur a dû payer une amende pour l’avoir tué. Il ne connaissait pas l’animal.

Anne-Pinamen: Il n’aurait pas pu le reconnaître s’il ne l’avait jamais piégé auparavant.

Shimun: Il parait qu’on ne peut l’attraper avec un piège, car ils (les chasseurs) disent qu’il est très fort.
Il parait qu’il peut monter dans un arbre un gros caribou, celui avec plusieurs pointes. Je ne sais pas comment il parvient à le monter. Il parait qu’il accroche les panaches du caribou sur le haut de l’arbre. C’est surprenant.

Anne-Pinamen: Je me demande comment il y parvient, pourtant il est très petit. On pourrait dire que le loup et l’ours sont les plus gros animaux dans la forêt.

Evelyne (14 :34): Avez-vous fait la rencontre de plusieurs gens sur le territoire ? Par exemple, des gens de Uashat, de la Romaine ou de Saint-Augustin ?

Anne-Pinamen: Oui tous, toujours, chaque année. C’est ici à North West River qu’ils venaient vendre leurs fourrures pour ensuite, retourner chez eux à la Romaine, Mingan, Saint-Augustin, Uashat et d’autres Innus d’ailleurs. C’était ici avant que Knob Lake existe. Les gens ne sont pas revenus une fois que Knob Lake a été construit. C’est à cet endroit qu’ils devaient faire leurs provisions.

Evelyne (15 :13): Le magasin qui achetait les fourrures ?

Anne-Pinamen: Oui, l’ancien magasin de Mishta-napeu. Il recevait sa marchandise par avion.

Evelyne : Le magasin situé de l’autre bord de la rivière ?

Anne-Pinamen: Oui, le petit magasin qui est à cet endroit présentement.

Shimun: Le magasin pointu sur le bord de la rivière, c’était l’ancien magasin général.

Anne-Pinamen: Plusieurs Innus ont dû le voir, (décédés aujourd’hui). Ceux qui devaient retourner à Uashat chaque année.

Evelyne (15 :50): Environ à quel moment venaient-ils ?

Anne-Pinamen: Peu de temps après les fêtes. Lorsque les gens étaient au lac. Il n’y avait pas de gens ici.

Shimun: Les gens étaient où il y a une étendue d’eau. C’est à cet endroit que les hommes allaient faire leurs achats.

Anne-Pinamen: Les gens de Uashat, eux, provenaient de la rivière Pikiss. C’est à cet endroit qu’ils traversaient pour aller rencontrer les gens de Sheshatshiu et pour aller faire leurs achats. Ils retournaient seulement au mois de février.

(16:38) : Est-ce que les allochtones étaient présents ici dans ton enfance?

Anne-Pinamen: Oui, il y en avait déjà plusieurs.

Evelyne: Il y avait surement un prêtre?

Anne-Pinamen: Un prêtre a toujours été présent. Il venait de St-John’s au mois de juillet. Il restait 2 semaines, juste assez de temps pour la confession ensuite, il retournait. Cela a toujours été ainsi.

Evelyne: Te souviens-tu de son nom?

Anne-Pinamen: Adelard Grenier en anglais, mais les Innus le surnommait Kauapishkuesh kauapikuesht. Il était très vieux. Il est décédé de vieillesse il n’y a pas très longtemps.

Evelyne: Père Charles Arnaud?

Anne-Pinamen: Non, ce n’est pas lui.

Evelyne: Le connaissiez-vous lui?

Anne-Pinamen: Oui, nous l’avons vu. Ma mère l’avait gardé. La mère de notre grand-père Shelum, le père du vrai Shelum, avait gardé le Père Charles Arnaud. Ma grand-mère l’avait gardé. Il y a aussi la mère de ma tante Mani, Joséphine. Elle était vieille et elle avait été prise en photo avec le prêtre.

Evelyne (18 :08): Il (père Arnaud) venait sûrement durant l’été?

Anne-Pinamen: Ici, oui.

Evelyne : Alliez-vous vers la côte, à Uashat ?

Anne-Pinamen: Mes parents y allaient auparavant, mais pas nous. Nous allions seulement en campement au Mishta-Shipu sur le long du Grand Lac.

Evelyne (18 :40): En parlant du Grand Lac, l’avais-tu vu avant que le barrage soit érigé?

Anne-Pinamen: Oui, avant qu’il soit là, et Wabush aussi. Les femmes tendaient leurs collets sur les montagnes couvertes d’épinettes noires. Je l’ai aussitôt reconnu. Je disais à Shimun, qu’avant notre mariage, c’est à cet endroit que ma mère tendait ses collets. Lorsqu’il manquait de nourriture et que la chasse au caribou n’était pas favorable, les femmes allaient tendre leurs collets.

Anne-Pinamen (19:20): Le caribou était souvent chassé vers l’endroit dénudé, sans arbres.
Aujourd’hui, la couleur rougeâtre de l’eau me donne envie de pleurer lorsque je la vois.
La truite grise était saine. Il y avait beaucoup de poissons et de caribous. Aujourd’hui, l’Innu ne peut même plus aller voir [de plus près le lac], seulement regarder en restant sur le chemin.

Evelyne (19 :47): Vous avez dû passer la plupart de votre temps dans la forêt?

Anne-Pinamen: Toujours. Comme je disais, nous allions seulement pour la confession et nous retournions dans la forêt, partout dans la forêt. Nous ne restions que 2 semaines. Nous attendions l’arrivée du prêtre en bateau pour se confesser.

Anne-Pinamen (20:13): Dans le passé, il y a très longtemps avant notre naissance, il n’y avait pas de prêtre ici. Les gens descendaient à Uashat pour aller se confesser et revenaient seulement un an après. Ils ont dû avoir de la misère.

Fichiers

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Michel, Shimun et Anne-Pinamen (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), et Malenfant, Eddy (cinéaste), “Michel, Shimun et Anne-Pinamen 1,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, consulté le 21 novembre 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/348.

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