Les bagues de deuil avec cheveux

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Bague de deuil au chiffre de Simon Fraser - 1777

C'était qui Simon Fraser?

Il y a un bon nombre du clan écossais Fraser qui se sont établis aux colonies de l'amérique du nord. La majorité, incluant Simon Fraser de Culbokie, était engagée comme soldat britannique en écosse et se sont déplacé là où l'armée leur avait ordonné d'aller. 

                    La carrière militaire de Simon Fraser de Culbokie                        

En regardant aux registres d'inscription militaires, il est possible de discerner que Fraser figure en premier lieu sur une liste de présence en 1755. Simon Fraser de Culbokie était né le 26 mai en 1729, il avait 26 ans lors de sa première excursion qui apportera lui et plusieurs cousins Fraser à Montréal en 1756.  

Le déroulement de sa carrière militaire avant la Guerre d'Indépendance américaine n'est pas enregistré de manière exhaustive, mais elle est soulignée par quelques moments importants.

- En 1758, 2 ans après le début de la Guerre de Sept ans (1756 à 1763), Fraser est nommé lieutenant-capitaine.

- En 1759 il obtient le rang de commandant.

- En 1762 il obtien le rang de lieutenant colonel.

- En 1776, durant la révolution américaine (1775 à 1783) il obtient le rang de colonel.

- Finalement, en 1777, l'année de sa mort, il obtenu le rang de Général de Brigade.

Durant la guerre de Sept Ans, il s'est battu à Louisbourg et à Québec avec un régiment d'Écossais, sous le Majeur Général James Wolfe. 

Durant la Guerre d'Indépendance américaine, Fraser mena son propre régiment sous le général Burgoyne qui avait compris des canadiens-français, canadiens-anglais, autochtones et américains loyalistes.

Le destin du Général de Brigade Simon Fraser de Culbokie

En 1777, Général de Brigade Fraser avait 2200 soldats sous sa commande à l'aube de la première bataille de Saratoga. 

La première bataille fut une victoire américaine et démoralisatrice pour les troupes britanniques. Les témoins de la deuxième bataille de Saratoga écrivent dans leurs mémoires que c'est sous ce prétexte que Fraser s’est mis à cheval entre ses troupes, afin de les encourager et de protéger la colonne flanquante. Dans le chaos du conflit, il s'est fait tiré par une balle qui l'a atteint sous sa poitrine.

Le Général de Brigade Fraser est mort la matinée après la bataille, le 8 octobre 1777. 

À ses vœux, Fraser fut enterré sur le haut d'une colline proche du champ de bataille, là où il y avait une redoute. Les contemporains qui ont écrit aux propos de Fraser, ont tous parlé de lui d'une manière favorable, hommes et femmes. Il laissa une veuve et aucun enfant. Quand la veuve mourra, toutes leurs possessions sont allées à un cousin, un Capitaine James Wilson Fraser de Balnain. Plusieurs Fraser de Balnain étaient loyalistes et sont émigré au Canada après la révolution. 

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Les bagues de deuil au XVIIIe siècle

Les bagues de deuil du XVIIIe siècle sont, comme n'importe quel autre accessoire ou vêtement, au bon vouloir des tendances de leur époque. 

Au XVIIIe siècle, les pierres précieuses dans les bijoux étaient très populaires. Les forgerons de métaux précieux se sont accoutumé à faire des pièces très compliqués qui entrelaçaient le métal avec la pierre brillante. Un artisanat très dispendieux, les bijoux avec les pierres et métaux précieux étaient seulement accessibles à la bourgeoisie et aux nobles de la société dans laquelle ils étaient produits. Tandis que la population élite en Europe au XVIIIe siècle est particulièrement renommé pour avoir le style le plus exagéré du luxe, les périodes baroques, rococos et géorgiennes étant la preuve, les objets de deuil étaient plus souvent atténué dans leur forme et fonction. 

Les bijoux de deuil au style anglais du XVIIIe siècle étaient typiquement faits de l'or, de l'argent, du cuivre, ou du bronze. Les bijoux de l'époque pouvaient être ornés d'un nombre de pierres différentes, mais pour le deuil, c'était limité aux améthystes, aux perles, l'ivoire, le jais, le cristal et les diamants. 

Le symbolisme du défunt était la priorité lorsque le bijoutier créait la bague de deuil. Ces objets étaient créés avec la notion qu'ils allaient survivre au temps et donc passer toutes les tendances et garder son air d'importance. La gravure et la peinture étaient les méthodes populaires pour faire le lettrage du nom du défunt, et les cheveux étaient souvent tressés et placés sous des couches de verre pour cimenter l'héritage que symbolisait le bijou. 

Les bijoux aux colonies à l'époque de la Guerre d'Indépendance américaine

Rendu à la deuxième moitié du XVIIIe siècle (1750 à 1800), les colonies étaient auto-suffisant, mais dépendaient des importations pour les objets de grand luxe. Les habitants des colonies envoyaient soit une commande à la Grande-Bretagne pour un produit fini ou ils attendaient pour l'Arrivé des matériels nécessaires aux colonies. Il y avait beaucoup d'artisans toutefois les matériaux précieux comme l'or ou les diamants ne se trouvaient pas à cette époque dans les colonies anglaises de l'Amérique du Nord. Ceux qui maîtrisaient uniquement l'art lapidaire étaient rares, souvent, c'étaient les bijoutiers réclamait cette habileté. 

Les aspects précieux comme l'or et les diamants qui se retrouvent dans la bague de deuil au chiffre du Général de Brigade Simon Fraser, devaient être importé pour qu'un artisan puisse créer le bijou. Ces matériaux ont des origines possibles dans plusieurs parties du monde. L'or était miné grâce à l'exploitation de l'esclavage au Mexique, au Brésil et au Ghana actuel sur la côte ouest du continent africain. Les diamants étaient travaillés en production de masse par des esclaves au Brésil durant le XVIIIe siècle et elles étaient directement exportés en Europe. La Grande-Bretagne achetait quelques livres de ces pierres précieuses et les apportait aux colonies à vendre. 

Durant les années de la révolution, ils n'y avaient pas beaucoup de bijoutiers qui pratiquaient toujours leurs métiers en raison des villes barricadés contre l'ennemi. Un détriment aux marchands de tout type. En plus, il y a plusieurs témoignages qui parlent de fondre leurs bijoux afin de faire des pièces de monnaie. 

Puisque la bague ci-contre a été fabriquée la même année que la mort du Général Fraser, il est plus probable qu'elle a été faite par un artisan local et non commandée de la Grande-Bretagne. 

Au début du XIXe siècle : les cheveux conservés sous le verre 

Au XIXe siècle, les cheveux étaient perçus comme une extension vivante de la personne décédée. Ils constituaient une prolongation du corps et un souvenir intime, précieux précisément parce qu’ils ne se décomposaient pas. Pour les familles, conserver une mèche signifiait conserver une part de l’être aimé — une présence capable de traverser le temps. Certains auteurs notaient même que ces fragments de cheveux nous offrent la réalité vivante d’une personne décédée depuis longtemps. 

Les bagues de deuil, qui portaient ces mèches si chargées d’affect, unissaient symboliquement le corps du porteur et celui du défunt. Elles étaient portées quotidiennement, elle devenaient un rappel constant de la personne décédée. Les bagues de deuil sont souvent touchées et tournées sur les mains, tenant la mémoire vivante au plus près du corps. 

La bague présentée dans cette exposition s’inscrit dans une tradition largement répandue au XIXe siècle : celle de préserver une mèche de cheveux sous verre. Cette technique est souvent appelée le travail « palette » et consiste à disposer un petit arrangement de cheveux sur une surface plate, puis à le protéger sous un cabochon de verre. Les cheveux étaient parfois placés au revers de l’objet afin qu’ils reposent directement contre la peau du porteur. 

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Bague de deuil, 1800, Dartmouth Heritage Museum 

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Bague de deuil, 1800, Dartmouth Heritage Museum 

Bague de deuil - 1800

Cette bague en or simple contient une petite fenêtre en verre derrière laquelle l’on voit des cheveux tressés. Le style minimaliste met l’accent sur les cheveux eux-mêmes, qui constituent le cœur du bijou.

La simplicité de cette bague montre qu'elle n'était pas conçue comme un bijou « de mode », mais comme un souvenir personnel et discret. Pour plusieurs personnes, toucher la bague sur leur doigt faisait partie des gestes naturels du deuil, parce qu’il s’agissait d’un rituel quotidien.  

Ce type de bague privilégie la sobriété et l’intimité. Sa fonction est claire : 

  • Porter un fragment corporelle du défunt, 
  • Créer un lien tactile quotidien par le porter, 
  • Préserver l’identité du défunt plutôt que l’ornement

L’appartenance de cette bague à la famille Whidden–Hall–Buckley enrichit particulièrement notre compréhension des pratiques de deuil au XIXᵉ siècle. Issue d’un foyer méthodiste cultivé, la famille occupait une place importante dans la société de la Nouvelle-Écosse, ses enfants devenant des pharmaciens réputés et des entrepreneurs influents ayant fondé l’une des chaînes de pharmacies les plus prospères d’Halifax. Leur succès — qui culmine avec la création du célèbre sirop Buckley’s Mixture — témoigne d’une mobilité sociale marquée. Dans ce contexte, le recours à un bijou de deuil simple, avec une mèche de cheveux sous verre, montre que la valeur symbolique dépassait largement le coût matériel. Pour de telles familles, le deuil n’était pas seulement une obligation sociale, mais aussi un langage intime de mémoire et de piété. Cette bague révèle ainsi comment les familles de la classe moyenne ascendante articulaient la respectabilité, l’affection familiale et l’héritage spirituel à travers des objets modestes mais chargés de sens.

L'exemple de la famille Buckley montre que, dans une société où le deuil était profondément ritualisé, même les familles prospères privilégiaient parfois des formes de commémoration modestes mais intensément personnelles : un rappel que, dans la culture victorienne, la valeur émotionnelle surpassait souvent l'ornementation. 

Conclusion 

Le deuil pour les immigrants britanniques vers la côte-est américaine et canadienne était très différent parmis les couches de la société. La classe élite pouvait se permettre des bijoux avec des pières précieuses tandis que les familles plus pauvres adoptaient tenaient rarement des objets avec eux durant le deuil.

Ceci change au XIXe siècle avec l'avènement progressif de la production en masse. Des bijoux de deuils sont devennu de plus en plus accessible.

Un autre changement entre les deux siècles c'est le devoir du deuil. À la fin du XVIIIe siècle, c'est uniquement l'église qui reglemente la période de deuil. Au XIXe siècle, le deuil s'est transformé en coutume culturel, la présentation évidente du deuil attendu par ses pairs. 

  • Une culture qui valorise l’expression du chagrin 

Le XIXe siècle considérait l’expression du deuil comme nécessaire et même attendue. Loin d’être une obsession morbide, cette culture visait à préserver la vie dans la mémoire matérielle : portraits, lettres, cheveux, bijoux commémoratifs. Les deux bagues, malgré leurs différences, répondent au même besoin de transformer la perte en un objet qui accompagne la vie quotidienne. 

  • Un art du deuil accessible mais marqué par les différences sociales 

Les bagues de deuil étaient produites pour toutes les classes sociales. Ce qui variait, c’était la qualité des matériaux, les techniques et le degré d’ornementation. Ainsi : 

  • Les pièces simples étaient plus accessibles, parfois même réalisables grâce à des instructions publiées dans les magazines 
  • Les pièces plus ornées exigent souvent un artisan professionnel et des matériaux coûteux, révélant une dimension de prestige et de distinction. 

Votre bague témoigne d’une forme de souvenir intime, immédiate et accessible. La bague ornée reflète une commémoration plus luxueuse, liée au statut, au goût et aux moyens.

  • Entre créations domestiques et savoir-faire professionnel 

Pour les Victoriens, contempler ou manipuler ses mèches permettait d’évoquer le « visage absent » et de maintenir vivant le souvenir.  

Le travail du cheveu fut très présent dans les foyers de la classe moyenne, et il fut considéré comme un artisanat féminin, valorisé pour sa minutie et sa moralité. Cependant, les pièces plus complexes, plus décoratives ou plus techniquement exigeantes relevaient du travail de spécialistes. 

Les deux bagues réunies dans cette exposition illustrent ces deux pôles : 

  • L’une intime, simple et personnelle 
  • L’autre raffinée, produite avec un savoir-faire exigeant et une dimension artistique affirmée 

Ces deux bagues — l’une simple, l’autre plus extravagante — racontent ensemble une histoire d’amour, de perte et de mémoire. Toutes deux incarnent l’idée centrale selon laquelle les cheveux conservent l’identité du sujet et permettent de retenir une présence au-delà de la mort. 

Cette exposition montre ainsi comment un même geste — garder une mèche — a pu prendre des formes très différentes selon les classes, les goûts, les traditions, tout en portant à la même volonté : faire vivre le souvenir dans la journée quotidienne.