Trousse d'embaumement

Avant de devenir une pratique professionnelle au Canada, l’embaumement moderne se développe aux États-Unis pendant la guerre de Sécession (1861‑1865). Thomas Holmes, considéré comme le « père de l’embaumement moderne », transforme cette technique en service funéraire indispensable pour rapatrier les corps et permettre aux familles un dernier adieu tangible.

Principes clés du modèle d'embaumement :

  • Transport longue distance des corps
  • Exposition du défunt
  • Présentation dans un état calme et « paisible »

Au Canada, cette pratique s’implante progressivement grâce à :

  • La formation des premiers embaumeurs
  • La diffusion de manuels techniques et de fluides spécialisés
  • La collaboration avec des entrepreneurs funéraires

Impact :

  • Émergence d’un marché de fluides, instruments et manuels spécialisés
  • Transformation des rituels funéraires, faisant du corps un lieu de soin, de mémoire et de consolation

La trousse d’embaumement étudiée ici, utilisée par la maison funéraire Germain Lépine entre 1896 et 1919, ne se limitait pas à contenir des instruments : elle racontait l’histoire de l’embaumeur à l’œuvre.

Caractéristiques muséales de l’objet :

  • Période : 4ᵉ quart du 19ᵉ siècle – 1ᵉʳ quart du 20ᵉ siècle

  • Utilisation : Maison funéraire Germain Lépine (notamment par Adélard Lépine)

  • Matériaux : Peau (cuir), métal, bois, fibre, verre (contenants internes)
  • Techniques : Fondu, coulé, moulé, tanné, coupé, cloué, collé, cousu

  • Dimensions : H 44 cm × L 61,5 cm × P 29,5 cm

Ce grand sac en cuir noir, renforcé de métal, muni de poignées et pouvant être verrouillé à l’aide d’une clé, renfermait soigneusement chaque outil et produit nécessaire aux embaumements artériels, technique consistant à drainer le sang et à injecter des fluides de conservation directement dans le système artériel. Chaque compartiment, chaque flacon et chaque pot avait sa place précise, comme dans un microcosme du métier. Les scalpels, bistouris et crochets d’anévrisme n’étaient pas simplement rangés : ils reposaient comme les pinceaux et couteaux d’un peintre, prêts à modeler et restaurer le visage du défunt. Les tubes artériels et seringues en verre, alignés avec soin à côté des pompes manuelles et des aspirateurs, permettaient à l’embaumeur de drainer le sang et les gaz corporels tout en remplaçant les fluides par des solutions chimiques. Le trocar, utilisé pour pénétrer les cavités thoraciques et abdominales, côtoyait les pinceaux, poudres et cires pour la reconstruction faciale. Même les pinces de bouche et instruments pour « mettre en place les traits du visage » étaient disposés pour un accès immédiat, assurant que chaque geste technique s’accompagne d’une intention esthétique et respectueuse.

Importée des États-Unis et développée à partir des avancées de la chimie et de la pharmacie, cette pratique a été adoptée au Québec par Adélard Lépine après ses études à Springfield et à New York. La trousse illustre le passage de l’embaumement domestique à une pratique professionnelle, offrant hygiène, sécurité et présentation esthétique des corps pour les veillées et cérémonies. Comme le souligne UM Clements Library, l’embaumement n’était pas seulement une question de conservation : il s’agissait de créer un corps présentable, paisible et reconnaissable, combinant science et art dans un même geste, chaque outil jouant son rôle dans un rituel précis, presque cérémoniel, qui honorait le défunt et accompagnait le deuil des familles.

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(Coffret à maquillage, Germain Lépine – The Dodge Chemical Co. & Embalmers’ Supply Co., 1931–1938, CC BY-NC 4.0 – Musée de la civilisation du Québec)

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(Coffret à maquillage, Germain Lépine – The Dodge Chemical Co. & Embalmers’ Supply Co., 1931–1938, CC BY-NC 4.0 – Musée de la civilisation du Québec)

Coffret à maquillage:

  • Période : 1ʳᵉ moitié du XXᵉ siècle (env. 1913–1938)

  • Fabricant : Dominion Manufacturers Limited (attribué)

  • Matériau : Métal

  • Techniques : Fondu, coulé, moulé, plié, coupé, vissé, soudé

  • Dimensions :H 35 cm x L 13 cm x P 7 cm


Ce coffret rectangulaire en bois recouvert de carton bouilli noir contenait seize petits pots de maquillage et trois plus grands contenant crèmes ou poudres. Il servait à restaurer l’apparence naturelle du défunt, en corrigeant les teintes et en harmonisant le visage pour que le corps soit présenté dans un état paisible et digne. Au-delà de sa fonction esthétique, le coffret jouait un rôle symbolique important : il permettait aux familles de prolonger le lien affectif avec le défunt et de soutenir le processus de deuil en offrant une dernière image rassurante et mémorable de la personne aimée. Créé par Germain Lépine en collaboration avec The Dodge Chemical Co. et Embalmers’ Supply Co., il reflète la dimension méthodique et émotionnelle de l’embaumement professionnel.

Pompe manuel:

  • Période : 2ᵉ quart du XXᵉ siècle
  • Marque de commerce : Esco

  • Fabricants :

    • The Dodge Chemical Co. (Canada) Limited

    • Embalmers' Supply Company of Canada Limited

  • Matériaux : Carton, bois, verre, métal, papier, peinture, plastique, pigment, adhésif

  • Techniques : Coupé, collé, scié, troué, fondu, coulé, moulé, cloué, imprimé

  • Dimensions :H 5,3 cm x 34,3 cm x P 40,9 cm


Cette pompe manuelle en métal chromé permettait d’appliquer des fluides cosmétiques de façon uniforme sur le corps. Dotée de cylindres soudés, d’un bec conique et d’une poignée en T, elle illustre l’intégration de technologies spécialisées dans le soin du défunt. Son rôle dépassait la simple présentation : en aidant à créer une apparence paisible et harmonieuse, elle soutenait le deuil des proches et contribuait à la mémoire visuelle du défunt, renforçant ainsi la dimension symbolique et rituelle de l’embaumement. Fabriquée par Dominion Manufacturers Limited dans la première moitié du XXᵉ siècle, elle témoigne de l’importance de la présentation finale pour honorer le défunt et accompagner les familles dans leur processus de deuil.

Dans le Canada victorien, les rituels entourant la mort visaient à protéger le corps et l’âme du défunt. Selon Ruth Richardson, la majorité des gestes rituels cherchaient à préserver le mort des influences maléfiques et à assurer son passage vers l’au-delà. Cette dimension spirituelle conférait au corps une valeur immense, le rendant central dans la transition vers Dieu. La préparation du corps n’était jamais un simple geste pratique, mais un acte sacré chargé de sens.
L’embaumement trouve sa place dans ce contexte, notamment lorsque la préparation domestique était difficile, par exemple pendant la Première Guerre mondiale. Il permettait aux proches de voir le défunt dans un état paisible et reconnaissable, marquant la transition vers une pratique professionnelle.
Le deuil était également lié à la classe sociale : les familles aisées pouvaient organiser des rituels élaborés, tandis que les familles modestes disposaient de moins de moyens. L’embaumement, d’abord réservé aux élites, s’est démocratisé, offrant une présentation digne et un rituel plus égalitaire.
Les traditions religieuses ont aussi facilité l’intégration de l’embaumement : catholiques et protestants valorisaient le soin du corps, rendant naturel le recours à des professionnels équipés de trousses d’embaumement, centralisant savoir-faire technique et esthétique pour prolonger l’expérience du dernier regard.

La professionnalisation de l’embaumement grace à le trousse et autre outils d'embaumement au Canada se reflète particulièrement dans l’importance accordée au dernier regard lors des veillées, qui pouvaient durer de un à trois jours. Cette pratique permettait aux proches de contempler le défunt et de créer une « dernière image mentale », essentielle pour le processus de deuil.

Rôle de l’embaumement :

  • Garantir la stabilité et la présentation du corps malgré le temps ou la distance
  • Permettre la création d’une « dernière image mentale » pour faciliter le deuil

Changements sociaux :

  • Les femmes, traditionnellement responsables de la préparation du corps, cèdent progressivement cette tâche à une profession majoritairement masculine
  • Les premiers embaumeurs canadiens sont formés selon les techniques américaines
  • Le corps reste un témoin sacré, offrant un dernier lien tangible aux familles

L’embaumement artériel, introduit au Canada dans les années 1880‑1890, consistait à remplacer les fluides corporels par des solutions chimiques à l’aide de pompes manuelles ou mécaniques, afin de ralentir la décomposition et préparer le corps pour les veillées et cérémonies. Cette technique visait à :

  • Ralentir la décomposition du corps
  • Désinfecter le défunt
  • Prévenir l’inhumation prématurée

Au‑delà de la simple conservation, l’embaumement avait des fonctions supplémentaires :

  • Maintenir le défunt dans un état reconnaissable pour les veillées et cérémonies
  • Appliquer du maquillage et restaurer les tons du visage
  • Utiliser des prothèses si nécessaire pour conserver la forme naturelle du corps

L’embaumement a également eu des conséquences sociales et culturelles importantes :

  • Transformation du rôle familial : la préparation du corps passe de la famille aux professionnels
  • Naissance de l’industrie funéraire moderne, centrée sur la dignité et la présentation
  • Création d’une identité sociale et culturelle du défunt, renforçant le rituel et le souvenir

À la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle, l’embaumement se répand progressivement dans les grandes villes canadiennes, mais reste rare dans la Vallée de la Gatineau. Les familles locales préparaient souvent elles-mêmes le corps de leurs défunts, maintenant un lien direct et intime avec le défunt. Lorsque l’embaumement était nécessaire, les corps étaient parfois transportés en ville pour être préparés par des undertakers formés. Ces transports pouvaient poser de nombreux défis logistiques, notamment en hiver avec les routes enneigées, obligeant les familles à adapter le calendrier des veillées.

On trouve un exemple concret des pratiques funéraires dans la vallée de la Gatineau dans les souvenirs de Charles Chamberlin qui, en 1919, a vu le corbillard d'I. B. York descendre la route de Wakefield. Tiré par de grands chevaux noirs, le corbillard transportait York lui-même, vêtu d'une redingote, d'un haut-de-forme et arborant une barbe en collier, dont l'apparence imposante a frappé le jeune garçon. York, entrepreneur et embaumeur respecté, illustre parfaitement la transition de l'embaumement domestique à la pratique professionnelle dans les communautés rurales. Contrairement aux grandes villes canadiennes, où les entrepreneurs de pompes funèbres étaient parfois considérés avec suspicion, York jouissait d'une confiance et d'un respect considérables dans son village, où il cumulait plusieurs fonctions, notamment celles de forgeron, de marchand, de maître de poste et de membre actif de l'église et de l'école, tout en fournissant des services funéraires adaptés aux besoins de sa communauté. Ce contexte montre que l'embaumement, et par extension le kit d'embaumement utilisé par les embaumeurs comme York, n'était pas seulement un outil technique ou scientifique, mais aussi un instrument de lien social et culturel, permettant aux familles de préserver la dignité et les rituels liés à la mort, même dans les zones rurales aux ressources limitées.

Au Canada, les outils d'embaumement et la trousse d’embaumement a joué un rôle central dans les pratiques funéraires en permettant aux familles de conserver et d’honorer la mémoire du défunt. Il assure non seulement la préservation du corps, mais contribue également à transformer le deuil en un rituel respectueux et significatif.

Au XIXᵉ et XXᵉ siècle, l’embaumement permettait de :

  • Faciliter les veillées et la préparation des cérémonies
  • Assurer une présentation respectueuse du défunt
  • Prolonger la mémoire du défunt et renforcer l’importance du rituel funéraire

Le rôle du spécialiste funéraire (appelé undertaker à la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle) se précise :

  • Manipulation experte du corps à l'aide de techniques et d'outils professionnels
  • Conseiller les familles pour le déroulement de la veillée et des cérémonies
  • Garantir la dignité et la solennité de la présentation

Aujourd’hui :

  • L’embaumement reste une pratique majeure pour la préparation des veillées et cérémonies
  • Il transforme la mort d’un événement purement biologique en une expérience culturelle, émotionnelle et esthétique

Au cours du XXᵉ siècle, la trousse d’embaumement, les outils et les produits s’est standardisé à travers le Canada, grâce à l’amélioration des techniques chimiques et des équipements. Les pratiques modernes visent à garantir à la fois la sécurité des professionnels et la dignité du défunt, tout en s’adaptant aux évolutions sociales et culturelles.

Principales avancées techniques et protocoles :

  • Standardisation des techniques chimiques et des équipements
  • Utilisation de fluides plus sûrs et moins toxiques
  • Protocoles rigoureux assurant efficacité et sécurité

Pratiques contemporaines :

  • Méthodes parfois non invasives ou partielles selon les besoins
  • Adaptation aux croyances et rituels multiculturels
  • Maintien de la présentation digne et reconnaissable du défunt
  • Intégration aux standards sanitaires et professionnels actuels

Ces transformations montrent que l’embaumement continue de préserver la mémoire du défunt, tout en répondant aux exigences de sécurité, d’hygiène et de diversité culturelle propres au XXIᵉ siècle.