Cerceuil
Au Canada, les pratiques funéraires des 19ᵉ et 20ᵉ siècles se transforment profondément sous l’influence de facteurs religieux, sociaux et techniques. Jusqu’au milieu du 19ᵉ siècle, la mort est principalement gérée au sein de la famille et de la paroisse : on prépare le corps à la maison, on utilise des cercueils fabriqués localement par des menuisiers, et les rituels sont entièrement organisés par la communauté. Le cercueil demeure alors un objet simple, conçu pour remplir une fonction pratique plutôt que cérémonielle.
Avec l’urbanisation et la professionnalisation des services funéraires à la fin du 19ᵉ siècle, les maisons funéraires proposent des cercueils plus élaborés, fabriqués par des artisans ou disponibles via catalogue. Styles, matériaux et formes variés reflètent les tendances nord-américaines et l’esthétique du « beau mourir », où la présentation du défunt devient centrale. Parallèlement, l’Église catholique au Québec encadre fortement les rites de passage, influençant le choix des cercueils et la symbolique des ornements. Le cercueil se situe ainsi à l’intersection des pratiques religieuses, des valeurs familiales et de l’offre commerciale croissante.
Sur le plan archéologique, l’étude des sépultures canadiennes permet d’observer comment ces transformations se matérialisent : standardisation progressive des formes, apparition de quincaillerie manufacturée, diffusion de nouvelles techniques de construction, et variations selon l’âge, la classe sociale ou les régions. Ces analyses montrent que le cercueil n’est pas seulement un objet funéraire, mais un reflet tangible des changements culturels et des dynamiques sociales du Canada d’hier.
Cercueil 1 (enfant de plus de 7 ans et moins de 9 ou 10 ans, hexagonal)
- Période : 1885‑1921
- Production : Ébénistes Germain Lépine père ou fils, Alphonse ou Adélard Lépine ; fabrication : Girard & Godin Limitée / Entreprise Germain Lépine
- Technique : Scié, cousu, tissé, cloué, vissé, collé, verni
- Matériaux : Bois (acajou), métal (laiton, fer), verre, satin, coton, mastic, vernis
- Dimensions : H 32 cm × L 36,5 cm × P 138 cm
Ce cercueil hexagonal, destiné à un enfant de plus de 7 ans et moins de 9 ou 10 ans, illustre la transformation du cercueil en objet à la fois pratique, esthétique et rituel. Les panneaux creux et moulures, le hublot vitré et le revêtement en satin cousu sur coton reflètent une attention portée à la mémoire et au respect du défunt. La forme hexagonale permet de souligner l’importance du corps dans le rituel funéraire, tandis que le hublot permet la contemplation du visage du défunt sans compromettre l’hygiène. Les détails en métal, les finitions vernies et la qualité du bois révèlent le savoir-faire des ébénistes et le rôle du cercueil comme objet de prestige et de cérémonie. Ce cercueil constitue un exemple rare et complet de cercueil vitré pour enfant plus âgé, combinant fonction, symbolique et beauté.
Cercueil 2 (enfant de moins de 7 ans, octogonal)
- Période : 1885‑1921
- Production : Ébénistes Germain Lépine père ou fils, Alphonse ou Adélard Lépine ; fabrication : Entreprise Germain Lépine
- Technique : Scié, cloué, collé, peint, verni
- Matériaux : Bois (de rose), métal (fer), verre, mastic, vernis
- Dimensions : H 27,5 cm × L 33,5 cm × P 112 cm
Ce cercueil octogonal, destiné à un enfant de moins de 7 ans, sans matelassure et doté d’une vitre pleine longueur, illustre un prototype de démonstration appelé « cercueil des nôtres ». Sa sobriété contraste avec le raffinement des cercueils pour enfants plus âgés, mais chaque élément reste porteur de sens : la vitre permettait la contemplation rituelle du défunt tout en limitant les odeurs, et les moulures simples renforcent la structure et l’élégance. La finition brun-rouge du bois de rose et le vernis appliqué montrent l’attention portée à l’apparence, même pour un prototype de démonstration, et soulignent le rôle central du cercueil dans le rituel funéraire, en permettant aux familles d’honorer la mémoire du défunt.
Au XIXᵉ siècle, les cercueils évoluent du simple coffre au mobilier raffiné, intégrant à la fois fonction, esthétique et symbolisme :
- Formes : hexagonales et octogonales au début du siècle, rectangulaires vers 1850.
- Cercueils pour enfants : souvent rectangulaires pour les moins de 7 ans, hexagonaux ou hexagonaux-vaguement rectangulaires pour les plus âgés, reflétant la différenciation des rituels selon l’âge.
- Décor : moulures, panneaux sculptés, clous décoratifs, hublots vitrés, poignées et plaques, qui participent à la mise en scène du deuil et à la mémoire du défunt.
Cette évolution illustre la professionnalisation de l’industrie funéraire, la standardisation des produits et la diffusion des normes esthétiques et rituelles. Le cercueil devient un outil central du cérémonial, structurant le deuil et la mémoire du défunt, tout en reflétant les valeurs sociales et religieuses de la communauté.
La quincaillerie, composée de plaques nominatives, poignées pivotantes, clous décoratifs, vis, coins et hublots, remplit des fonctions pratiques : transport, fermeture et protection du corps, et des fonctions rituelles et symboliques : identification du défunt, respect, mémoire, expression de la richesse ou du statut, et création d’une expérience cérémonielle. Les cercueils d’adultes ou hexagonaux présentent souvent une quincaillerie plus riche, tandis que les cercueils pour enfants restent sobres, reflétant l’adaptation des rituels selon l’âge et le type de cérémonie.
L’industrialisation, à partir de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, permet :
- La production standardisée de cercueils et accessoires,
- La diffusion via catalogues et réseaux de vente,
- L’adoption rapide des tendances esthétiques à travers l’Amérique du Nord, même dans les communautés rurales.
Cette diffusion favorise l’idéal romantique de la « beauté de la mort », transformant l’enterrement en expérience à la fois esthétique, sociale et rituelle, où la présentation du défunt devient centrale.
L’embaumement joue un rôle clé :
- Il ralentit la décomposition, permettant des veillées prolongées et ouvertes au public,
- Il met en valeur l’apparence du défunt, ce qui nécessite des cercueils adaptés : doublure satinée, coussins, panneaux décoratifs, parfois hublots pour la contemplation,
- Il maintient un cadre symbolique et respectueux pour les proches, renforçant la dimension cérémonielle du cercueil.
Ainsi, le cercueil devient un véritable outil rituel, participant activement aux pratiques de mise en bière, de veillée et d’enterrement, tout en permettant aux proches d’honorer le défunt.
Les cercueils reflètent les normes sociales, religieuses et culturelles :
- Les formes et la quincaillerie varient selon l’âge et le type de cercueil,
- Les décorations traduisent les idéaux romantiques de la « beauté de la mort »,
- La mise en bière, la contemplation et l’enterrement deviennent des pratiques cérémonielles codifiées, où chaque élément du cercueil participe au rituel et à la mémoire du défunt.
Ainsi, le cercueil n’est pas seulement un contenant, mais un véritable outil rituel et symbolique, incarnant la mémoire, le respect et les croyances de la communauté.
Les cercueils retrouvés à Saint-Frédéric, remarquablement bien conservés grâce au sol argileux et sableux, offrent un aperçu rare des pratiques funéraires d’autrefois. Leur état presque intact permet d’observer plusieurs éléments essentiels :
- Formes et usages : cercueils hexagonaux ou rectangulaires, distinguant les modèles pour adultes et pour enfants.
Quincaillerie et hublots : poignées, plaques décoratives et petites vitres permettant à la fois le transport et la contemplation du défunt. - Intérieur du cercueil : satin cousu sur coton ou parfois bois nu, reflétant le degré d’attention et de moyens des familles.
- Lien avec l’embaumement : un corps bien préservé pouvait être présenté plus longtemps et de manière esthétique, renforçant le rôle du cercueil comme espace d’adieu et de mémoire.
Ces éléments montrent que la forme, la décoration et les matériaux du cercueil racontent l’histoire des défunts, mais aussi celle des pratiques funéraires de leur époque.