Bellefleur Basile
Title
Bellefleur Basile
Subject
territoire; rassemblement ainés; territoire; rencontre jeunes; enseignement; éducation; rivières;
Description
récit de vie de Basile Bellefleur
Creator
Bellefleur Basile (interviewé)
St-Onge Evelyne (intervieweur)
Malenfant Eddy (cinéaste)
Source
Production Manitu inc.
Publisher
Production Manitu inc.
Date
2003
Rights
Production Manitu inc.
Relation
Language
Innu
Type
vidéo | video
Format
Mp4 21 min 25 s.
Transcription
Basile Bellefleur
Basile : [00:00:00] Comment est-ce que je pourrais te raconter...
Evelyne : [00:00:02] Est-ce que tu as déjà connu ce territoire ou...?
Basile : [00:00:05] Oui, j’ai déjà vu ça il y a longtemps. Mais, je n’étais pas resté ici très longtemps. [00:00:12] Il y avait deux hommes. Un de ces hommes venait de notre place et il était tombé dans l’eau depuis sa chaloupe. [00:00:16] C’est comme ça que j’ai commencé à connaître Pakua shipit. [00:00:20] Seulement cette rivière, il y en a deux. De là où on était assis, au milieu, on voyait une autre petite rivière Pakuashipiss que les gens de Pakuashipit appelaient comme ça. [00:00:30] D’ici, je peux percevoir la grande rivière, en partie cachée par la forêt. [00:00:37] Je me sens comme si j’étais sur un grand territoire sauvage...
Evelyne : [00:00:40] C’est bien vrai?
Basile : [00:00:41] ...tellement, que j’aime ça être ici. [00:00:44] Mais je n’ai pas beaucoup de temps pour me promener, car je travaille pour les personnes âgées à cet événement-ci. [00:00:53] Je fais toujours le même travail. Je fais de la rôtisserie sur la braise du feu. Quand je suis à Sept-îles, je fais encore de la rôtisserie. [rire]
Evelyne : [00:01:02] Et que penses-tu de ça que les aînés se rassemblent?
Basile : [00:01:06] Qu’est-ce que je pourrais en penser! Ça toujours existé ce qu’on fait, bien avant que ces choses existent comme les avions ou les bateaux qui circulent. [00:01:15] Les innu d’autrefois faisaient déjà ce que les innu font ici. [00:01:18] Une fois, je me suis souvenu qu’à un certain moment, le même événement rassemblait quatre communautés : Ekuanitshit, Nutashkuan, Unamen Shipit et ici à Pakuashipit. [00:01:30] Ils l’avaient fait dans un endroit que l’on appelle Amishkuanu [note de Basile : rivière à castor]. C’était l’endroit, qu’on peut dire, des rassemblements communautaires. [00:01:37] Ils le faisaient toujours une fois par année en hiver. [00:01:41] Aussitôt qu’ils ont bâti des maisons et des écoles, cet événement de rassemblement innu n’a plus eu lieu une fois par année. [00:01:53] La poursuite de ces rassemblements n’a pas été favorisé en raison de la construction des maisons et des écoles. [00:02:00] Cela a fait qu’ils ne se rencontraient plus comme avant. Ils [sous-entendu : les enfants] ne se connaissaient plus pour certains. [00:02:05] Ils sont devenus de jeunes hommes. Avant, ils se voyaient à tous les jours.
[00:02:11] C’est pour ça que je suis heureux qu’on recommence à se voir entre nous une fois par année. [00:02:18] Toutefois, à l’origine, c’était pour rencontrer le curé une fois dans l’année qu’ils avaient choisi une terre. [00:02:28] Le curé venait seulement à cet endroit que l’on appelle Amishkuanu. [00:02:32] C’était là probablement qu’il y avait des rassemblements. [00:02:36] Et il y avait aussi un autre grand rassemblement qui se passait dans l’hiver au mois de février que je te dirais. [00:02:46] Ils se rencontraient à Sheshatshit. [00:02:49] Ils étaient très nombreux. Les gens de Sept-îles venaient, Pessamit était là, Sheshatshit ainsi que Utshimassit. [00:02:59] Ils venaient tous ensemble se raconter une fois dans l’année ce qu’ils avaient vécu. [00:03:07] Ils se partageaient ce qu’ils avaient traversé cette année-là. [00:03:12] Ces aînés font la même chose...comme les aînés de l’ancien temps. [00:03:21] Les aînés et les hommes de mon âge se souviennent de ces rencontres. [00:03:27] C’est pourquoi ils aiment cet événement. [00:03:30] Par exemple, j’observe tous les aînés qui participent. Déjà dès le début ils étaient là et ils sont toujours présents. [00:03:36] S’ils n’avaient pas aimé, ils auraient pu dire qu’ils n’avaient pas le temps. [00:03:42] Peu importe le lieu, les aînés le soutiennent.
Evelyne : [00:03:46] Est-ce que les mamans viennent pour se parler?
Basile : [00:03:48] Oui, les mamans viennent. Elles se racontent beaucoup de choses. C’est comme ça qu’on pourrait dire. [00:03:54] Toutefois, aujourd’hui c’est différent. Les Innus s’écoutent à tous les jours. [00:03:59] Par exemple, il y a la radio SOCAM qui est une communication par radio. Donc, ils se parlent tout le temps. [00:04:06] Alors qu’autrefois, il n’existait rien de ça. Je me rappelle qu’ils s’écrivaient une fois par année. [00:04:14] Ils s’envoyaient des nouvelles sur comment ils allaient. [00:04:17] Avant qu’ils se rencontrent, je me rappelle d’avoir vu une lettre qui donnait des nouvelles de Pakuashipit. [00:04:26] On disait : « Les nouvelles arrivent ». [00:04:28] Actuellement, nous pouvons nous voir car nous vivons ensemble. [00:04:32] Là-bas à Amishkuanu...je me rappelle de cette rencontre où nous nous avons été à Amishkuanu. [00:04:39] Chacun avait son campement, il y avait des innu de Nutashkuan de ce côté-là, les innu de Pakuashipit, de Unamen-Shipit et aussi de Ekuanitshit. Chacun avait son emplacement et ses propres affaires comme les perches. [00:04:51] Ils les mettaient en réserve et quand ils revenaient, ils réutilisaient les mêmes perches. [00:04:57] Je vois la même chose en ce moment, c’est pareil, comme si je voyais les innu de Uname-Shipit, de Pakuashipit, de Ekuanishit et là-bas Nutashkuan. [00:05:07] C’est pareil que dans ce temps-là.
Evelyne : [00:05:11] Tu te rappelles ça toi?
Basile : [00:05:12] Je me rappelle, mais une fois...
Evelyne : [00:05:13] À Amishkuanu?
Basile : [00:05:14] Amishkuanu, oui. Une fois, je me souviens comment ça se passait. Il y avait des innu de Nutashkuan. Il n’y avait pas de...
Evelyne : [00:05:20] Probablement tu étais jeune?
Basile : [00:05:21] Oui, j’étais jeune par rapport aux choses anciennes que je te raconte. Oui, c’était sûrement la dernière fois que...
Evelyne : [00:05:28] Que tu es allé?
Basile : [00:05:21] ...qu’il y a eu le rassemblement des innu de Mamit. [00:05:34] C’est pour ça que…Ils se racontent entre eux. Le plus vieux, lui, se souvient des choses encore plus anciennes. [00:05:44] Ils se mariaient. C’est pour ça que maintenant il y a un mélange de personnes. [00:05:50] Par exemple, ici, il y a des Nutashkuan. Quelques grand-pères sont venus ici pour se marier et parfois ils allaient aussi ailleurs. [00:05:57] Par exemple, à Nutashkuan, nous avons encore de la parenté à Unamen-shipit. [00:06:03] Ce sont les hommes de Nutashkuan qui se mariaient avec les femmes de Unamen-shipit. [00:06:06] On pourrait dire qu’il y avait des mélanges [rire]. [00:06:10] Également, j’ai remarqué que les hommes de Unamen-shipit, quand nous sommes allés là-bas, étaient rendus à Nutashkuan. [00:06:19] Maintenant, les innu de partout voyagent. Ça va très bien. [00:06:25] Mais dans ce temps-là, il n’y avait pas de transport ni de bateau. [00:06:29] Ils y allaient par eux-même. Il n’y avait pas d’argent. Ils n’en avaient pas besoin. [00:06:33] Quand ils pensaient à aller à un endroit, ils y allaient. [00:06:37] Et tu vois même Sheshatshit, c’est tellement loin pour descendre à cet événement. [00:06:42] Mais eux, ils sont tellement emballés de faire le voyage pour entendre des nouvelles de Sept-îles et d’autres innu. [00:06:50] C’est ça que.. .c’est ça que...
Evelyne : [00:06:53] Toi, Basile, qu’est-ce que tu en penses? C’est tellement beau ici. Penses-tu que l’on va pouvoir garder longtemps intact ce beau territoire?
Basile : [00:07:03] Je pense qu’il va falloir s’accrocher si jamais… [coupure]
Evelyne : [00:07:08] Penses-tu que nous allons pouvoir nous accrocher longtemps pour conserver notre territoire?
Basile : [00:07:12] Je crois que maintenant les aînés parlent aux enfants. On peut dire qu’ils leur transmettent ce qu’ils pensent. [00:07:22] C’est de là que les histoires nous arrivent. [00:07:25] Comme je te l’ai fait remarquer, je m’attends chez eux à ce qu’ils ne soient plus dans des tentes, mais dans des maisons de bois. [00:07:35] On se visite davantage dans les tentes que dans les maisons de bois. [00:07:39] Dans les tentes, on s’assoit et on voit mieux les gens. Cela donne une meilleure ambiance pour se parler. [00:07:48] Je les vois, je les regarde et je m’assois à côté d’eux pour les écouter. [00:07:53] J’ai conservé leur façon de raconter pour vous dire ces choses anciennes parce que j’estime les aînés. [00:08:01] Des fois, je ne ne me rends pas compte que je raconte ce qu’eux ont dit. [00:08:09] C’est la raison pour laquelle j’aime transmettre leur grand attachement pour le territoire. [00:08:17] Ici, je n’entends jamais qu’une personne est malade dans les tentes depuis que nous sommes là.
[00:08:26] Et là-bas, dans les maisons de bois, c’est différent. En outre, il n’y a pas de visite, c’est ce que je vois. [00:08:35] C’est seulement dans les tentes qu’il est possible de mieux se côtoyer lors des visites. [00:08:39] Par exemple, s’ils se voient, ils s’assoient. [00:08:42] Si un autre visiteur arrive, il pourra aussi écouter. Lui aussi aura sûrement des histoires. [00:08:50] Quand les enfants écoutent, ils prennent des informations des aînés qui pourront aider à sauvegarder longtemps le territoire. [00:09:01] Et aussi...je veux dire...pour le conserver longtemps, eux n’avaient pas de notes ni de photos. [00:09:13] Dans ce temps-là, il n’y avait rien d’inscrit concernant la cause [sous-entendu : territoriale]. Il n’y avait pas de papier. [00:09:20] La seule façon de se transmettre était de se raconter. Puis, l’autre aussi racontait. [00:09:28] Par exemple, les gens qui m’ont raconté ce que je vous raconte ont disparu. [00:09:35] Et je suis content de transmettre leurs histoires. [00:09:42] Et aussi...
Evelyne : [00:09:43] De quelle manière tu t’adresserais aux jeunes pour leur montrer l’importance de la protection du territoire? Qu’est-ce que tu leur dirais?
Basile : [00:09:53] Il faut seulement que nous n’arrêtions pas de faire ce que nous faisons actuellement. [00:09:59] Nous devons maintenir la continuité où les enfants pourront se connaître...parce qu’il viendra toujours une autre génération. [00:10:12] Comme je te l’avais mentionné, les anciens innu n’avaient jamais cessé de se rencontrer. Ils amenaient constamment leurs enfants avec eux pour qu’ils se fréquentent. [00:10:23] Ces enfants avaient appris à tisser des liens dans leur jeunesse. [00:10:26] Aujourd’hui, quelques enfants n’apprennent pas à connaître les enfants d’autres communautés. Il n’y a pas assez de… [00:10:35] C’est très différent quand les enfants se rencontrent en ville. [00:10:42] C’est tellement mieux ici, il n’y a rien qui dérange la rencontre : pas de villes ni de magasins. [00:10:50] Rien qui pourrait les embrouiller. Ils peuvent avoir un lien plus fort avec les aînés. [00:11:00] Il y a alors une très forte probabilité qu’ils poursuivent cette expérience.
[00:11:06] Par exemple, il s’était passé un événement malheureux dont je t’avais parlé à la rencontre. [00:11:15] Ça s’était mal passé dès le moment où ils ont construit les maisons. [00:11:20] Dès cet instant, personne n’a plus bougé. Personne ne va transporter sa maison construite en bois sur le territoire. [00:11:27] C’est bien plus facile de transporter une tente. On peut aller là où on veut. [00:11:33] Alors, c’est vraiment mieux ce que nous faisons.
Evelyne : [00:11:40] Et puis… [coupure]
Basile : [00:11:42] Cela a déjà démarré. Ça ne paraît pas ce que je fais. L’apprentissage des enfants a déjà commencé. Nous le faisons présentement. [00:11:50] Par ailleurs, ils [sous-entendu : les enfants] voient tout ce que nous faisons ici quand ils passent. [00:11:55] Par exemple, ils voient le castor, comment il est apprêté. Ils vont pouvoir le préparer comme ils l’ont vu s’ils souhaitent le manger de cette façon. Ils s’instruisent par les habitudes de vie des autres. [00:12:08] D’autres ne comprennent pas la cuisson du castor. Ils vont dire : « C’est comme tourner le castor ». [00:12:14] Ce n’est pas juste de tourner le castor. On appelle ça : Shikupuenanu [note : action de vider le contenu]. [00:12:20] Il y a beaucoup d’animaux qu’on peut vider : les caribous on les vident, le porc-épic on le vide, l’outarde on la vide aussi. [00:12:27] Et eux, ils disent seulement « faire tourner l’animal ». Ils voient qu’on le fait tourner.
[00:12:34] C’est pour ça que c’est important de l’expliquer aux enfants : c’est sur le territoire que la langue innue a du sens. [00:12:47] Elle a moins de réalité dans nos réserves indiennes. [00:12:51] C’est sûr qu’elle va se perdre dans nos réserves, oui c’est sûre qu’elle va se perdre si on ne va pas sur le territoire. [00:12:58] Si cela ne reflète pas ce qu’on fait en innu…
On se détache du français ici. C’est facile de parler innu de tous nos accessoires. [00:13:07] Et là-bas, en ville, l’enfant perçoit autre chose. [00:13:14] Il regardera toujours la maison qui est debout là, mais verra bien qu’elle ne se déplacera plus. [00:13:23] Tandis que nous, ici, on peut déménager tant qu’on veut sans contrainte. [00:13:29] C’était pareil pour nous, là d’où nous venions. [00:13:33] Nous n’étions jamais restés longtemps sur place. Nous partions toujours plus loin. [00:13:39] On nous parlait constamment en innu. C’est vraiment sur le territoire que la langue innu est vivante. [00:13:47] On y nomme tout en innu.
[00:13:49] Par exemple, j’ai déjà enseigné aux enfants à l’école. [00:13:55] Je ne peux pas leur apporter plus parce qu’ils n’ont rien vu. Je ne fais que leur parler. [00:14:02] Ils verraient et comprendraient mieux si je leur montrais et s’ils pouvaient le vivre sur le territoire. [00:14:09] C’est ce que j’ai fait. Je les ai amené sur le territoire. « Allez donc chercher tshitshitikunashi [note de Basile : petite branche utilisée pour la tente] » que je leur dis. [00:14:17] C’est quoi tshitshitikunashi? [00:14:20] « Non, je vais aller avec vous, il doit y en avoir ». Ils m’ont répondu : « Non, il n’y en a pas ». Je n’étais pas encore allé avec eux. [00:14:24] Ils ont dit : « Il n’y en a pas, allons au magasin en chercher ». Ils pensent que s’il n’y en a pas au magasin, c’est qu’il n’y en a pas du tout. [00:14:35] Et là, je leur ai dit : « Allons le chercher. Je vais aller avec vous » et là je leur ai coupé une branche de bois en forme de ça. [00:14:42] Plus tard, on est reparti au campement et là il y a un jeune qui m’a dit : « C’est moi qui va faire le Y ». [rire] [00:14:49] Il n’avait pas été capable de dire le mot que je lui avais appris : tshitshitikunashi. [00:14:52] J’ai dit à un autre : « Va chercher tshitshitikunashi ». Il demande : « Est-ce que c’est celui qui ressemble à un Y? » [00:14:57] Je lui ai dit : « Oui et trouve donc en même temps un W ». [rire]
[00:15:04] C’est pour ça que les accessoires en bois autour de la tente, l’enfant devrait les connaître pour comprendre. [00:15:14] Ce n’est pas dans les livres que moi j’ai appris tout cela, seulement par la parole de campement en campement sur le territoire. [00:15:22] C’est ainsi que j’ai acquis un langage innu plus authentique pour bien l’exprimer. [00:15:27] Je pense que les jeunes enfants en difficulté [sous-entendu : sur la langue] qui viendraient sur le territoire apprendraient mieux. Ceux qui sont plus vieux, c’est un peu tard pour leur apprentissage. [00:15:39] C’est le seul endroit où on peut réchapper les enfants sur le territoire pour qu’ils comprennent. [00:15:45] Ça leur donnerait une meilleure utilisation des ressources pour la sauvegarde du territoire. [00:15:50] Comment voulez-vous que nos enfants acquièrent le mode de vie s’ils apprennent seulement à parler français? [00:15:54] Plus personne n’occupera le territoire. Qui va en parler? Qui va l’appliquer?
[00:16:00] Par exemple, nous on l’applique et je pense que nous avons une grande richesse. [00:16:07] Tout ce dont nous avons besoin ne nous coûte pas d’argent, nous le recueillons sur le territoire. [00:16:13] Si je déménageais, j’aurais juste à laisser le bois ici. Il y aura du bois qui m’attendra dans un autre campement. [00:16:22] C’est ça que les enfants ne voient pas, combien ils sont prospèrent. [00:16:28] Et si on allait dans un magasin, on n’aurait pas toujours ce dont on a besoin. Ce qui est utile, si tu n’as pas d’argent, tu ne peux pas l’avoir. [rire] [00:16:38] Moi, je pense que les enfants doivent réaliser leur grande richesse qui vient du territoire. [00:16:47] Nous pourrions espérer plus d’actions contre le ravage du territoire. [00:16:53] Justement, il existe une petite histoire sur la manière dont s’est développé le saccage du territoire. Je l’ai vu quand ils ont fermé la rivière…
Intervieweuse : [00:17:02] Le lac Robertson?
Basile : [00:17:03] Le lac Robertson, oui. J’ai vu un barrage, mais il y avait juste des morceaux de bois qui balançaient à la surface. [00:17:12] Par ailleurs, maintenant, la structure doit être encore plus imposante depuis les dernières nouvelles. [00:17:21] J’en ai beaucoup entendu parler, mais moi je n’étais pas impliqué.
Intervieweuse : [00:17:25] Comme c’est arrivé à Churchill Falls...On a entendu parler de la rivière Unamen Shipu, tant que ça s’est s’ébruité partout. Ils ont dit qu’ils allaient faire des barrages. Qu’est-ce que tu en penses?
Basile : [00:17:36] Qu’est-ce que je pourrais en penser? Je pense que...
Intervieweuse : [00:17:37] C’est parce qu’on en entend de plus en plus parler maintenant qu’ils vont inonder le territoire.
Basile : [00:17:41] J’avais entendu des aînés qui disaient déjà que la situation de Meshikamau [note : grand lac à Churchills Falls] serait désastreuse. Ils avaient prédit que le territoire serait abîmé. Je le constate maintenant [sous-entendu : au lac Robertson]. [00:17:59] Je le vois par les airs en avion [note de Basile : lac Robertson], mais pas celui qui a été fermé [note : Meshikamau]. Il a été fermé [note : lac Robertson] il n’y a pas longtemps, mais on voit déjà le ravage. [00:18:07] Et de plus, on entend parler qu’il y aura encore un autre barrage. [00:18:13] Il n’y aura plus d’endroits où nous irons. [00:18:17] Moi, c’est ce que je pense, mais je sais que je n’y serai plus. C’est les enfants qui viendront qui en auront les conscéquences. Où pourront-ils aimer vivre?
Intervieweuse : [00:18:29] Comment verrais-tu cela sur ce qu’on pourrait faire pour empêcher l’inondation et le pourrissement du territoire ?
Basile : [00:18:40] Comment est-ce que je le verrais? [pause] [00:18:45] C’est déjà commencé. Ça fait très longtemps qu’on en parle. [00:18:50] J’ai entendu autrefois qu’ils allaient utiliser cette rivière et aussi Mikatshinau [note : Mecatina]. [00:18:55] C’est à cet endroit que se trouve nos territoires. On peut dire que c’est là qu’on passe nos hivers à Mikatshinau. [00:19:03] C’est ainsi...On pourrait tous essayer de comprendre ce qu’il faudrait faire. Je ne peux rien te dire. [00:19:16] Mais, on pourrait aussi demander à l’autre : « Est-ce que tu es convaincu de tout ça, oui ou non? » [00:19:23] Les mises à jour sont peu transmises. On sait qu’il y a beaucoup de gens qui n’en comprennent pas l’ampleur, mais il faut trouver un moyen. [00:19:33] Je serais content et je serais présent contre la fermeture.
Evelyne : [00:19:42] Veux-tu dire que tu ne veux pas le barrage?
Basile : [00:19:45] Oui, je ne veux pas le voir construire. [00:19:48] Il y a beaucoup de blancs qui disent que c’est un beau grand territoire. Ils aiment l’endroit. [00:19:59] Même eux disent qu’ils ne sont pas d’accord. [00:20:05] Je dirais qu’il y a peu d’innu qui sont d’accord. On nous ignore complètement.
Evelyne : [00:20:14] Mais par exemple...oui...présentement... [coupure]
Evelyne : [00:20:19] As-tu confiance… [coupure]
Basile : [00:20:20] Le fait que nous n’ayons pas tellement de convictions et que l’on nous ignore...[00:20:26] Tu vois, je garderais une certaine confiance devant ceux qui veulent aller plus loin dans la dénonciation. [00:20:36] Mais à quel endroit dénoncer pour avoir de l’aide? On le cherche. [00:20:44] Comme je te dis, on n’est pas vraiment bien informé quand on en entend parler. [00:20:50] Je les entends bien quand ils discutent de ce qu’ils veulent faire : qu’ils vont également saccager le territoire. [00:20:59] Ce ne sera pas seulement le territoire, mais aussi les animaux. C’est là qu’ils se nourrissent. [00:21:06] Et nous aussi, c’est là que nous prenons notre subsistance.
[00:21:09] Donc, nous, nous allons manger cet animal. Cet animal se nourrit sur le territoire. Et nous, en dernier, nous avons besoin de lui pour nous nourrir. [00:21:15] L’animal va disparaître… [00:21:19] C’est regrettable...
Basile : [00:00:00] Comment est-ce que je pourrais te raconter...
Evelyne : [00:00:02] Est-ce que tu as déjà connu ce territoire ou...?
Basile : [00:00:05] Oui, j’ai déjà vu ça il y a longtemps. Mais, je n’étais pas resté ici très longtemps. [00:00:12] Il y avait deux hommes. Un de ces hommes venait de notre place et il était tombé dans l’eau depuis sa chaloupe. [00:00:16] C’est comme ça que j’ai commencé à connaître Pakua shipit. [00:00:20] Seulement cette rivière, il y en a deux. De là où on était assis, au milieu, on voyait une autre petite rivière Pakuashipiss que les gens de Pakuashipit appelaient comme ça. [00:00:30] D’ici, je peux percevoir la grande rivière, en partie cachée par la forêt. [00:00:37] Je me sens comme si j’étais sur un grand territoire sauvage...
Evelyne : [00:00:40] C’est bien vrai?
Basile : [00:00:41] ...tellement, que j’aime ça être ici. [00:00:44] Mais je n’ai pas beaucoup de temps pour me promener, car je travaille pour les personnes âgées à cet événement-ci. [00:00:53] Je fais toujours le même travail. Je fais de la rôtisserie sur la braise du feu. Quand je suis à Sept-îles, je fais encore de la rôtisserie. [rire]
Evelyne : [00:01:02] Et que penses-tu de ça que les aînés se rassemblent?
Basile : [00:01:06] Qu’est-ce que je pourrais en penser! Ça toujours existé ce qu’on fait, bien avant que ces choses existent comme les avions ou les bateaux qui circulent. [00:01:15] Les innu d’autrefois faisaient déjà ce que les innu font ici. [00:01:18] Une fois, je me suis souvenu qu’à un certain moment, le même événement rassemblait quatre communautés : Ekuanitshit, Nutashkuan, Unamen Shipit et ici à Pakuashipit. [00:01:30] Ils l’avaient fait dans un endroit que l’on appelle Amishkuanu [note de Basile : rivière à castor]. C’était l’endroit, qu’on peut dire, des rassemblements communautaires. [00:01:37] Ils le faisaient toujours une fois par année en hiver. [00:01:41] Aussitôt qu’ils ont bâti des maisons et des écoles, cet événement de rassemblement innu n’a plus eu lieu une fois par année. [00:01:53] La poursuite de ces rassemblements n’a pas été favorisé en raison de la construction des maisons et des écoles. [00:02:00] Cela a fait qu’ils ne se rencontraient plus comme avant. Ils [sous-entendu : les enfants] ne se connaissaient plus pour certains. [00:02:05] Ils sont devenus de jeunes hommes. Avant, ils se voyaient à tous les jours.
[00:02:11] C’est pour ça que je suis heureux qu’on recommence à se voir entre nous une fois par année. [00:02:18] Toutefois, à l’origine, c’était pour rencontrer le curé une fois dans l’année qu’ils avaient choisi une terre. [00:02:28] Le curé venait seulement à cet endroit que l’on appelle Amishkuanu. [00:02:32] C’était là probablement qu’il y avait des rassemblements. [00:02:36] Et il y avait aussi un autre grand rassemblement qui se passait dans l’hiver au mois de février que je te dirais. [00:02:46] Ils se rencontraient à Sheshatshit. [00:02:49] Ils étaient très nombreux. Les gens de Sept-îles venaient, Pessamit était là, Sheshatshit ainsi que Utshimassit. [00:02:59] Ils venaient tous ensemble se raconter une fois dans l’année ce qu’ils avaient vécu. [00:03:07] Ils se partageaient ce qu’ils avaient traversé cette année-là. [00:03:12] Ces aînés font la même chose...comme les aînés de l’ancien temps. [00:03:21] Les aînés et les hommes de mon âge se souviennent de ces rencontres. [00:03:27] C’est pourquoi ils aiment cet événement. [00:03:30] Par exemple, j’observe tous les aînés qui participent. Déjà dès le début ils étaient là et ils sont toujours présents. [00:03:36] S’ils n’avaient pas aimé, ils auraient pu dire qu’ils n’avaient pas le temps. [00:03:42] Peu importe le lieu, les aînés le soutiennent.
Evelyne : [00:03:46] Est-ce que les mamans viennent pour se parler?
Basile : [00:03:48] Oui, les mamans viennent. Elles se racontent beaucoup de choses. C’est comme ça qu’on pourrait dire. [00:03:54] Toutefois, aujourd’hui c’est différent. Les Innus s’écoutent à tous les jours. [00:03:59] Par exemple, il y a la radio SOCAM qui est une communication par radio. Donc, ils se parlent tout le temps. [00:04:06] Alors qu’autrefois, il n’existait rien de ça. Je me rappelle qu’ils s’écrivaient une fois par année. [00:04:14] Ils s’envoyaient des nouvelles sur comment ils allaient. [00:04:17] Avant qu’ils se rencontrent, je me rappelle d’avoir vu une lettre qui donnait des nouvelles de Pakuashipit. [00:04:26] On disait : « Les nouvelles arrivent ». [00:04:28] Actuellement, nous pouvons nous voir car nous vivons ensemble. [00:04:32] Là-bas à Amishkuanu...je me rappelle de cette rencontre où nous nous avons été à Amishkuanu. [00:04:39] Chacun avait son campement, il y avait des innu de Nutashkuan de ce côté-là, les innu de Pakuashipit, de Unamen-Shipit et aussi de Ekuanitshit. Chacun avait son emplacement et ses propres affaires comme les perches. [00:04:51] Ils les mettaient en réserve et quand ils revenaient, ils réutilisaient les mêmes perches. [00:04:57] Je vois la même chose en ce moment, c’est pareil, comme si je voyais les innu de Uname-Shipit, de Pakuashipit, de Ekuanishit et là-bas Nutashkuan. [00:05:07] C’est pareil que dans ce temps-là.
Evelyne : [00:05:11] Tu te rappelles ça toi?
Basile : [00:05:12] Je me rappelle, mais une fois...
Evelyne : [00:05:13] À Amishkuanu?
Basile : [00:05:14] Amishkuanu, oui. Une fois, je me souviens comment ça se passait. Il y avait des innu de Nutashkuan. Il n’y avait pas de...
Evelyne : [00:05:20] Probablement tu étais jeune?
Basile : [00:05:21] Oui, j’étais jeune par rapport aux choses anciennes que je te raconte. Oui, c’était sûrement la dernière fois que...
Evelyne : [00:05:28] Que tu es allé?
Basile : [00:05:21] ...qu’il y a eu le rassemblement des innu de Mamit. [00:05:34] C’est pour ça que…Ils se racontent entre eux. Le plus vieux, lui, se souvient des choses encore plus anciennes. [00:05:44] Ils se mariaient. C’est pour ça que maintenant il y a un mélange de personnes. [00:05:50] Par exemple, ici, il y a des Nutashkuan. Quelques grand-pères sont venus ici pour se marier et parfois ils allaient aussi ailleurs. [00:05:57] Par exemple, à Nutashkuan, nous avons encore de la parenté à Unamen-shipit. [00:06:03] Ce sont les hommes de Nutashkuan qui se mariaient avec les femmes de Unamen-shipit. [00:06:06] On pourrait dire qu’il y avait des mélanges [rire]. [00:06:10] Également, j’ai remarqué que les hommes de Unamen-shipit, quand nous sommes allés là-bas, étaient rendus à Nutashkuan. [00:06:19] Maintenant, les innu de partout voyagent. Ça va très bien. [00:06:25] Mais dans ce temps-là, il n’y avait pas de transport ni de bateau. [00:06:29] Ils y allaient par eux-même. Il n’y avait pas d’argent. Ils n’en avaient pas besoin. [00:06:33] Quand ils pensaient à aller à un endroit, ils y allaient. [00:06:37] Et tu vois même Sheshatshit, c’est tellement loin pour descendre à cet événement. [00:06:42] Mais eux, ils sont tellement emballés de faire le voyage pour entendre des nouvelles de Sept-îles et d’autres innu. [00:06:50] C’est ça que.. .c’est ça que...
Evelyne : [00:06:53] Toi, Basile, qu’est-ce que tu en penses? C’est tellement beau ici. Penses-tu que l’on va pouvoir garder longtemps intact ce beau territoire?
Basile : [00:07:03] Je pense qu’il va falloir s’accrocher si jamais… [coupure]
Evelyne : [00:07:08] Penses-tu que nous allons pouvoir nous accrocher longtemps pour conserver notre territoire?
Basile : [00:07:12] Je crois que maintenant les aînés parlent aux enfants. On peut dire qu’ils leur transmettent ce qu’ils pensent. [00:07:22] C’est de là que les histoires nous arrivent. [00:07:25] Comme je te l’ai fait remarquer, je m’attends chez eux à ce qu’ils ne soient plus dans des tentes, mais dans des maisons de bois. [00:07:35] On se visite davantage dans les tentes que dans les maisons de bois. [00:07:39] Dans les tentes, on s’assoit et on voit mieux les gens. Cela donne une meilleure ambiance pour se parler. [00:07:48] Je les vois, je les regarde et je m’assois à côté d’eux pour les écouter. [00:07:53] J’ai conservé leur façon de raconter pour vous dire ces choses anciennes parce que j’estime les aînés. [00:08:01] Des fois, je ne ne me rends pas compte que je raconte ce qu’eux ont dit. [00:08:09] C’est la raison pour laquelle j’aime transmettre leur grand attachement pour le territoire. [00:08:17] Ici, je n’entends jamais qu’une personne est malade dans les tentes depuis que nous sommes là.
[00:08:26] Et là-bas, dans les maisons de bois, c’est différent. En outre, il n’y a pas de visite, c’est ce que je vois. [00:08:35] C’est seulement dans les tentes qu’il est possible de mieux se côtoyer lors des visites. [00:08:39] Par exemple, s’ils se voient, ils s’assoient. [00:08:42] Si un autre visiteur arrive, il pourra aussi écouter. Lui aussi aura sûrement des histoires. [00:08:50] Quand les enfants écoutent, ils prennent des informations des aînés qui pourront aider à sauvegarder longtemps le territoire. [00:09:01] Et aussi...je veux dire...pour le conserver longtemps, eux n’avaient pas de notes ni de photos. [00:09:13] Dans ce temps-là, il n’y avait rien d’inscrit concernant la cause [sous-entendu : territoriale]. Il n’y avait pas de papier. [00:09:20] La seule façon de se transmettre était de se raconter. Puis, l’autre aussi racontait. [00:09:28] Par exemple, les gens qui m’ont raconté ce que je vous raconte ont disparu. [00:09:35] Et je suis content de transmettre leurs histoires. [00:09:42] Et aussi...
Evelyne : [00:09:43] De quelle manière tu t’adresserais aux jeunes pour leur montrer l’importance de la protection du territoire? Qu’est-ce que tu leur dirais?
Basile : [00:09:53] Il faut seulement que nous n’arrêtions pas de faire ce que nous faisons actuellement. [00:09:59] Nous devons maintenir la continuité où les enfants pourront se connaître...parce qu’il viendra toujours une autre génération. [00:10:12] Comme je te l’avais mentionné, les anciens innu n’avaient jamais cessé de se rencontrer. Ils amenaient constamment leurs enfants avec eux pour qu’ils se fréquentent. [00:10:23] Ces enfants avaient appris à tisser des liens dans leur jeunesse. [00:10:26] Aujourd’hui, quelques enfants n’apprennent pas à connaître les enfants d’autres communautés. Il n’y a pas assez de… [00:10:35] C’est très différent quand les enfants se rencontrent en ville. [00:10:42] C’est tellement mieux ici, il n’y a rien qui dérange la rencontre : pas de villes ni de magasins. [00:10:50] Rien qui pourrait les embrouiller. Ils peuvent avoir un lien plus fort avec les aînés. [00:11:00] Il y a alors une très forte probabilité qu’ils poursuivent cette expérience.
[00:11:06] Par exemple, il s’était passé un événement malheureux dont je t’avais parlé à la rencontre. [00:11:15] Ça s’était mal passé dès le moment où ils ont construit les maisons. [00:11:20] Dès cet instant, personne n’a plus bougé. Personne ne va transporter sa maison construite en bois sur le territoire. [00:11:27] C’est bien plus facile de transporter une tente. On peut aller là où on veut. [00:11:33] Alors, c’est vraiment mieux ce que nous faisons.
Evelyne : [00:11:40] Et puis… [coupure]
Basile : [00:11:42] Cela a déjà démarré. Ça ne paraît pas ce que je fais. L’apprentissage des enfants a déjà commencé. Nous le faisons présentement. [00:11:50] Par ailleurs, ils [sous-entendu : les enfants] voient tout ce que nous faisons ici quand ils passent. [00:11:55] Par exemple, ils voient le castor, comment il est apprêté. Ils vont pouvoir le préparer comme ils l’ont vu s’ils souhaitent le manger de cette façon. Ils s’instruisent par les habitudes de vie des autres. [00:12:08] D’autres ne comprennent pas la cuisson du castor. Ils vont dire : « C’est comme tourner le castor ». [00:12:14] Ce n’est pas juste de tourner le castor. On appelle ça : Shikupuenanu [note : action de vider le contenu]. [00:12:20] Il y a beaucoup d’animaux qu’on peut vider : les caribous on les vident, le porc-épic on le vide, l’outarde on la vide aussi. [00:12:27] Et eux, ils disent seulement « faire tourner l’animal ». Ils voient qu’on le fait tourner.
[00:12:34] C’est pour ça que c’est important de l’expliquer aux enfants : c’est sur le territoire que la langue innue a du sens. [00:12:47] Elle a moins de réalité dans nos réserves indiennes. [00:12:51] C’est sûr qu’elle va se perdre dans nos réserves, oui c’est sûre qu’elle va se perdre si on ne va pas sur le territoire. [00:12:58] Si cela ne reflète pas ce qu’on fait en innu…
On se détache du français ici. C’est facile de parler innu de tous nos accessoires. [00:13:07] Et là-bas, en ville, l’enfant perçoit autre chose. [00:13:14] Il regardera toujours la maison qui est debout là, mais verra bien qu’elle ne se déplacera plus. [00:13:23] Tandis que nous, ici, on peut déménager tant qu’on veut sans contrainte. [00:13:29] C’était pareil pour nous, là d’où nous venions. [00:13:33] Nous n’étions jamais restés longtemps sur place. Nous partions toujours plus loin. [00:13:39] On nous parlait constamment en innu. C’est vraiment sur le territoire que la langue innu est vivante. [00:13:47] On y nomme tout en innu.
[00:13:49] Par exemple, j’ai déjà enseigné aux enfants à l’école. [00:13:55] Je ne peux pas leur apporter plus parce qu’ils n’ont rien vu. Je ne fais que leur parler. [00:14:02] Ils verraient et comprendraient mieux si je leur montrais et s’ils pouvaient le vivre sur le territoire. [00:14:09] C’est ce que j’ai fait. Je les ai amené sur le territoire. « Allez donc chercher tshitshitikunashi [note de Basile : petite branche utilisée pour la tente] » que je leur dis. [00:14:17] C’est quoi tshitshitikunashi? [00:14:20] « Non, je vais aller avec vous, il doit y en avoir ». Ils m’ont répondu : « Non, il n’y en a pas ». Je n’étais pas encore allé avec eux. [00:14:24] Ils ont dit : « Il n’y en a pas, allons au magasin en chercher ». Ils pensent que s’il n’y en a pas au magasin, c’est qu’il n’y en a pas du tout. [00:14:35] Et là, je leur ai dit : « Allons le chercher. Je vais aller avec vous » et là je leur ai coupé une branche de bois en forme de ça. [00:14:42] Plus tard, on est reparti au campement et là il y a un jeune qui m’a dit : « C’est moi qui va faire le Y ». [rire] [00:14:49] Il n’avait pas été capable de dire le mot que je lui avais appris : tshitshitikunashi. [00:14:52] J’ai dit à un autre : « Va chercher tshitshitikunashi ». Il demande : « Est-ce que c’est celui qui ressemble à un Y? » [00:14:57] Je lui ai dit : « Oui et trouve donc en même temps un W ». [rire]
[00:15:04] C’est pour ça que les accessoires en bois autour de la tente, l’enfant devrait les connaître pour comprendre. [00:15:14] Ce n’est pas dans les livres que moi j’ai appris tout cela, seulement par la parole de campement en campement sur le territoire. [00:15:22] C’est ainsi que j’ai acquis un langage innu plus authentique pour bien l’exprimer. [00:15:27] Je pense que les jeunes enfants en difficulté [sous-entendu : sur la langue] qui viendraient sur le territoire apprendraient mieux. Ceux qui sont plus vieux, c’est un peu tard pour leur apprentissage. [00:15:39] C’est le seul endroit où on peut réchapper les enfants sur le territoire pour qu’ils comprennent. [00:15:45] Ça leur donnerait une meilleure utilisation des ressources pour la sauvegarde du territoire. [00:15:50] Comment voulez-vous que nos enfants acquièrent le mode de vie s’ils apprennent seulement à parler français? [00:15:54] Plus personne n’occupera le territoire. Qui va en parler? Qui va l’appliquer?
[00:16:00] Par exemple, nous on l’applique et je pense que nous avons une grande richesse. [00:16:07] Tout ce dont nous avons besoin ne nous coûte pas d’argent, nous le recueillons sur le territoire. [00:16:13] Si je déménageais, j’aurais juste à laisser le bois ici. Il y aura du bois qui m’attendra dans un autre campement. [00:16:22] C’est ça que les enfants ne voient pas, combien ils sont prospèrent. [00:16:28] Et si on allait dans un magasin, on n’aurait pas toujours ce dont on a besoin. Ce qui est utile, si tu n’as pas d’argent, tu ne peux pas l’avoir. [rire] [00:16:38] Moi, je pense que les enfants doivent réaliser leur grande richesse qui vient du territoire. [00:16:47] Nous pourrions espérer plus d’actions contre le ravage du territoire. [00:16:53] Justement, il existe une petite histoire sur la manière dont s’est développé le saccage du territoire. Je l’ai vu quand ils ont fermé la rivière…
Intervieweuse : [00:17:02] Le lac Robertson?
Basile : [00:17:03] Le lac Robertson, oui. J’ai vu un barrage, mais il y avait juste des morceaux de bois qui balançaient à la surface. [00:17:12] Par ailleurs, maintenant, la structure doit être encore plus imposante depuis les dernières nouvelles. [00:17:21] J’en ai beaucoup entendu parler, mais moi je n’étais pas impliqué.
Intervieweuse : [00:17:25] Comme c’est arrivé à Churchill Falls...On a entendu parler de la rivière Unamen Shipu, tant que ça s’est s’ébruité partout. Ils ont dit qu’ils allaient faire des barrages. Qu’est-ce que tu en penses?
Basile : [00:17:36] Qu’est-ce que je pourrais en penser? Je pense que...
Intervieweuse : [00:17:37] C’est parce qu’on en entend de plus en plus parler maintenant qu’ils vont inonder le territoire.
Basile : [00:17:41] J’avais entendu des aînés qui disaient déjà que la situation de Meshikamau [note : grand lac à Churchills Falls] serait désastreuse. Ils avaient prédit que le territoire serait abîmé. Je le constate maintenant [sous-entendu : au lac Robertson]. [00:17:59] Je le vois par les airs en avion [note de Basile : lac Robertson], mais pas celui qui a été fermé [note : Meshikamau]. Il a été fermé [note : lac Robertson] il n’y a pas longtemps, mais on voit déjà le ravage. [00:18:07] Et de plus, on entend parler qu’il y aura encore un autre barrage. [00:18:13] Il n’y aura plus d’endroits où nous irons. [00:18:17] Moi, c’est ce que je pense, mais je sais que je n’y serai plus. C’est les enfants qui viendront qui en auront les conscéquences. Où pourront-ils aimer vivre?
Intervieweuse : [00:18:29] Comment verrais-tu cela sur ce qu’on pourrait faire pour empêcher l’inondation et le pourrissement du territoire ?
Basile : [00:18:40] Comment est-ce que je le verrais? [pause] [00:18:45] C’est déjà commencé. Ça fait très longtemps qu’on en parle. [00:18:50] J’ai entendu autrefois qu’ils allaient utiliser cette rivière et aussi Mikatshinau [note : Mecatina]. [00:18:55] C’est à cet endroit que se trouve nos territoires. On peut dire que c’est là qu’on passe nos hivers à Mikatshinau. [00:19:03] C’est ainsi...On pourrait tous essayer de comprendre ce qu’il faudrait faire. Je ne peux rien te dire. [00:19:16] Mais, on pourrait aussi demander à l’autre : « Est-ce que tu es convaincu de tout ça, oui ou non? » [00:19:23] Les mises à jour sont peu transmises. On sait qu’il y a beaucoup de gens qui n’en comprennent pas l’ampleur, mais il faut trouver un moyen. [00:19:33] Je serais content et je serais présent contre la fermeture.
Evelyne : [00:19:42] Veux-tu dire que tu ne veux pas le barrage?
Basile : [00:19:45] Oui, je ne veux pas le voir construire. [00:19:48] Il y a beaucoup de blancs qui disent que c’est un beau grand territoire. Ils aiment l’endroit. [00:19:59] Même eux disent qu’ils ne sont pas d’accord. [00:20:05] Je dirais qu’il y a peu d’innu qui sont d’accord. On nous ignore complètement.
Evelyne : [00:20:14] Mais par exemple...oui...présentement... [coupure]
Evelyne : [00:20:19] As-tu confiance… [coupure]
Basile : [00:20:20] Le fait que nous n’ayons pas tellement de convictions et que l’on nous ignore...[00:20:26] Tu vois, je garderais une certaine confiance devant ceux qui veulent aller plus loin dans la dénonciation. [00:20:36] Mais à quel endroit dénoncer pour avoir de l’aide? On le cherche. [00:20:44] Comme je te dis, on n’est pas vraiment bien informé quand on en entend parler. [00:20:50] Je les entends bien quand ils discutent de ce qu’ils veulent faire : qu’ils vont également saccager le territoire. [00:20:59] Ce ne sera pas seulement le territoire, mais aussi les animaux. C’est là qu’ils se nourrissent. [00:21:06] Et nous aussi, c’est là que nous prenons notre subsistance.
[00:21:09] Donc, nous, nous allons manger cet animal. Cet animal se nourrit sur le territoire. Et nous, en dernier, nous avons besoin de lui pour nous nourrir. [00:21:15] L’animal va disparaître… [00:21:19] C’est regrettable...
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Bellefleur Basile (interviewé), St-Onge Evelyne (intervieweur), and Malenfant Eddy (cinéaste), “Bellefleur Basile,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed November 21, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/421.