Michel, Shimun et Anne-Pinamen (2)
Title
Michel, Shimun et Anne-Pinamen (2)
Subject
rassemblement des ainés; raquettes; tambour; tente tremblante; shaman; prêtre; remèdes; nourriture
Description
récit de vie
Creator
Michel, Shimun et Anne-Pinamen (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)
Source
Production Manitu inc.
Publisher
Production Manitu inc.
Date
2000
Rights
Production Manitu inc.
Relation
Language
Innu
Coverage
Entretien à Sheshatshiu
Type
récit de vie | oral history
Format
Mp4 30 min 41 s.
Original Format
vidéo | video
Transcription
Shimun Michel (2)
Evelyne: Et toi [Shimun], tu ne retournes jamais par chez vous?
Shimun: Il nous arrive parfois d’y aller, lors des rassemblements des aînés.
Anne-Pinamen : Nous y allons en avion chaque année.
Evelyne: Non là-bas, ça s’appelle Nitshukun d’où il est originaire?
Shimun: Oui, Nitshukun.
Anne-Pinamen : Non, lui est originaire de Uashat. Ses parents ont grandi à cet endroit.
Son père est originaire de très loin. Il parait qu’il est originaire de Nitshikuan. Ils savent que son grand-père se nommait Thomas.
Shimun: Mon arrière-grand-père s’appelle Thomas Michel. Tu connais John, le nouveau marié ?
Evelyne : John Grégoire, oui.
Shimun: C’était l’enfant de sa fille.
Anne-Pinamen: Il parait que c’était la fille à Marguerite.
Evelyne (01 :34): L’avez-vous vu cet été?
Shimun: Oui, je le vois souvent. Je voyage encore à Uashat. Je voyageais beaucoup dans le passé. Nous avons atterri là.
Anne-Pinamen: Il est venu ici avec sa femme lorsqu’il y avait les jeux autochtones. Je préparais leurs repas pour leur voyage de retour en auto.
Evelyne (02 :01): Comment interprètes-tu ton territoire dans la forêt?
Anne-Pinamen : J’aime beaucoup l’endroit. Il y a plusieurs choses dans notre territoire. Nous ne manquions jamais de nourriture. Il y a de tout : le castor, l’ours, le caribou, le lièvre, la perdrix, le poisson, il y a de tout. Sur la rivière, il y a tellement de perdrix blanches. Il y a également de la perdrix de savane où il y a beaucoup de sapins.
Shimun (02 :36): Jusqu’au Grand Lac.
Anne-Pinamen : Jusqu’au Grand Lac… Avec la rame, c’est un peu loin.
Shimun: Lorsqu’on part pour aller en forêt, il fait un temps d’automne lorsqu’on y arrive.
Anne-Pinamen : Ensuite, il faut que tu reviennes.
Shimun: En avion.
Anne-Pinamen: Tu es rendu à la tête du lac avant la fête de Noël.
Evelyne: Vraiment?
Anne-Pinamen : Ce n’est pas très loin, car l’avion prend un raccourci.
Shimun: Ce n’est pas loin en prenant le raccourci, mais c’est un grand détour en canot sur la rivière.
Anne-Pinamen : Un détour sur la rivière et le Grand Lac, car il y a des montagnes.
Evelyne (3:20) : Suite à ton mariage, tu es toujours demeurée ici?
Anne-Pinamen : Toujours à la même place.
Evelyne : Vous avez de moins en moins été dans le territoire ?
Anne-Pinamen : Nous allions souvent dans la forêt avant que je tombe malade. Vu que j'avais des problèmes respiratoires, on m'a déconseillé d'aller en forêt. Le médecin me disait que j'allais mourir si je continuais à demeurer dans la forêt et que si je devais consulter par après, le médecin ne pourrait plus faire grand-chose pour me soigner.
Evelyne : Il y a combien d'années de cela environ ?
Anne-Pinamen : Cela fait déjà dix ans que j'ai cela.
Evelyne : Vous n'allez plus du tout dans le territoire ?
Anne-Pinamen : Non. Toutefois nous allons ici au chemin. Nous chassons le porc-épic.
Shimun: Proche d’ici au chemin.
Evelyne : Vous y allez avec vos petits-enfants ?
Anne-Pinamen : Avec tous mes petits-enfants et mes enfants. Ils viennent en auto et retournent s’ils doivent travailler. Lorsqu’il y a de l’école, nous venons ici et c’est moi qui garde les enfants. Ils sont très agités et je dois en plus préparer les repas pour ceux qui travaillent.
On me dit que j'ai de la misère à respirer et je garde les petits enfants. Il y en a qui sont très petits et lui aussi [Shimun] m’aide à garder.
Evelyne (04 :42): Tu fabriques des raquettes?
Shimun: Oui, j'en fabrique.
Anne-Pinamen : Si tu voyais tout le travail qu'il fait.
Evelyne : Quel travail fais-tu ?
Anne-Pinamen : Des raquettes dans la petite cabane. Il fabrique plusieurs raquettes.
Je les vends aussitôt et je…
Evelyne : Des canots?
Shimun: Non, je n’ai jamais essayé de canots.
Anne-Pinamen : Non, il n’en fait jamais. Son père fabriquait des canots. Il en fabriquait et les donnait aux gens. Il ne les vendait pas. Mon père aussi. Tous les gens donnaient des canots aux Innus. Les gens fournissaient la toile à canot et les clous. Une fois fini, le canot était donné et la personne partait en forêt. En retour, il était récompensé par de la nourriture traditionnelle lorsque la chasse était fructueuse.
Evelyne (05 :36): Plusieurs choses ont changé?
Anne-Pinamen : En effet. Depuis que nous demeurons dans le village et lorsque les chasseurs partent en avion, ils nous expédient de l’outarde, du castor et de la viande. Il (Shimun) devait tuer son caribou aussitôt qu’il avait débarqué. J’allais ensuite magasiner et je lui envoyais du tabac et des sucreries, car il devait trouver ça dure et ça lui faisait plaisir. C’est ce qu’on faisait toujours.
Evelyne : De quelle manière ça a changé ?
Anne-Pinamen : De toutes les manières. Le fait de devoir rester dans le village tandis que je ne suis pas très malade m’attriste. C'est ce qui me rend triste, car nous aimions beaucoup demeurer dans la forêt. Nous ne sommes quand même jamais dans la maison. Par exemple, on vient tout juste de rentrer. Nous sommes allés cueillir des petits fruits. J'en ramasse beaucoup et je les distribue. Ils (nos enfants) disent qu'ils ne peuvent pas aller à la cueillette, car ils travaillent alors je leur en donne. Ils ne sont pas capables de faire de la bannik et ils aiment beaucoup ça. Il arrive parfois de nous en faire voler (Rires), lorsqu’on ne ferme pas la porte. Nos enfants viennent prendre des affaires.
Evelyne (07 :13): Est-ce que les jeunes vont préserver la culture innue ?
Anne-Pinamen : Moi, je crois que oui vu qu'elle leur est enseignée. Ça devrait débuter après les fêtes. Ils (les ainés) vont les amener dans la forêt et il y aura justement du caribou. Ils vont les amener à l'endroit où il y a du caribou pour…, épiler, tanner le caribou. Ils font de tout. Ils font cuire de la viande de caribou et apprennent la culture dans la forêt. Ils brulent les piquants du porc-épic, ils apprennent même à se confectionner des mocassins et le tressage. Cela durera jusqu’au printemps. Ils apprennent également à l’école et parfois en forêt chacun leur tour incluant les tout-petits.
Evelyne (08 :18): Aujourd'hui, la vente de fourrure ne doit pas être aussi populaire qu’avant?
Shimun: Non, elle pourrait encore se faire mais les Innus ne tendent plus leurs pièges comme avant. Les plus jeunes ne le font plus.
Anne-Pinamen : Les jeunes d’aujourd’hui semblent être plus paresseux. Nous remarquons que nos jeunes du passé n’étaient pas ainsi. Lorsqu’il y avait de l’emploi, ils étaient très heureux de travailler afin de pouvoir se procurer ce qui leur manquait comme par exemple, du tabac, ce qu’ils devaient boire ou pour de la nourriture qui leur manquait. Toutefois, aujourd’hui, le jeune ne travaille que 2-3 jours et aussitôt qu’il a reçu une paie, il dépense le tout, car il se fie sur son grand-père pour le nourrir tandis qu’il pourrait être fier de lui à travailler et subvenir à ses besoins.
Anne-Pinamen (09:18): C’est ce que nous faisions dans le passé. J’avais 20 ans lorsque je me suis mariée. Lorsque nous manquions de nourriture à la maison, les filles allaient sur le rivage et les garçons allaient à la chasse. Nous, les filles, allions à la pêche et tendions nos filets et nous nous occupions de notre mère et grand-mère. Nous faisions tout ce qui nous avait été demandé, nous n’étions pas paresseuses et nous aimions le travail que nous faisions tel qu’aller bûcher du bois et tendre nos pièges.
Evelyne (09 :59): C’était davantage la tâche d’une femme?
Anne-Pinamen : Vraiment, auparavant la femme devait chasser à part et son mari aussi.
En ce qui a trait aux enfants, la sœur ainée devait s’occuper des plus jeunes. C’est ce que je faisais, j’allais toujours à la chasse. Aujourd’hui, on (médecin) me dit que je ne suis pas vieille et que j’ai des problèmes de respiration. Je leur dis que je ne soupçonne rien. C’est le fait que j’ai beaucoup de travail, plusieurs enfants, de ne pas avoir de bonnes nuits de sommeil et de me réveiller très tôt. Parfois, je suis déjà levée à 4 heures pour faire mon travail. Lui [Shimun] travaillait beaucoup. Je ne le voyais pas beaucoup et les enfants non plus. Il pouvait être ici le soir et il se faisait demander au chemin.
Evelyne (11 :05): Il faisait quoi?
Anne-Pinamen: Il mettait du sable sur le chemin. Il gagnait sa vie avec une pelle et une hache aussi.
Evelyne: Il travaillait autant, que ça soit dans le village ou dans la forêt.
Anne-Pinamen : Depuis qu’il est dans le village, il a terminé son travail. Il reçoit son argent et sa pension de vieillesse. C’est comme ça. Il va également à la chasse.
Evelyne (11 :29): Et toi, est-ce qu’on t’invite à aller raconter des histoires ou des légendes?
Anne-Pinamen : Oui, toujours. Nous y allons toujours, même à Davis Inlet ou lorsqu’il y a un décès. Il est aussi demandé pour aller jouer du tambour.
Evelyne (11 :49): Est-ce que tu joues du tambour depuis longtemps?
Shimun: Pas depuis très longtemps.
Anne-Pinamen: Il a commencé à jouer le tambour lorsque son père est décédé.
Shimun: Un peu plus de dix ans environ.
Evelyne (12 :04): Tu ne voulais pas y toucher auparavant?
Shimun: Non.
Anne-Pinamen: L’Innu avait un très grand respect envers le tambour auparavant. Il n’était jamais rabaissé. Aujourd’hui, une personne s’en sert pour les danses. Dans le passé, l’aîné se servait du tambour en chantant pour lui demander de la nourriture dans la forêt. Le lendemain matin, il envoyait son garçon ou son petit-fils à la chasse. Le tambour servait à cela. Cela me surprend aujourd’hui.
Anne-Pinamen (12:51): C’est que je voyais faire dans le passé. Je suis rendue à l’âge de 77 ans et j’aurai mes 78 ans le 10 du mois de juin. Ce que je n’aime pas aujourd’hui, c’est de voir les femmes et les hommes entrer dans une tente à suer ensemble. Cela ne se faisait jamais auparavant. La tente à suer était respectée et servait lorsqu’un aîné était malade pour des fins de guérison. Il était ainsi pour la femme. C’était le même procédé lorsque la femme avait mal, soit au genou ou à la main.
Ce que je ne comprends pas aujourd’hui, c’est le fait qu’ils (Innus) disent que la tente à suer les aident contre leur consommation d’alcool. Et lorsqu’on me demande de rentrer dans la tente à suer, je ne le fais pas. Je leur dis que je ne me moque pas de la tradition innue.
Anne-Pinamen (15 :05): Ma grand-mère y allait parfois. Elle chantait et c’était une grande croyante en la prière. Ensuite, elle envoyait ses petits-enfants à la chasse.
Je ne l’ai jamais fait encore. Je prie tellement pour que la chasse soit fructueuse.
Lorsqu’on tue un caribou, il ne lui manque pas de nourriture pendant un an. C’est étonnant.
Evelyne (14 :37): As-tu vu la tente tremblante?
Anne-Pinamen: Oui, il y avait plusieurs Innus qui pouvaient accomplir le rituel de la tente tremblante. Mon oncle Antoine Ashini de Uashat et le frère de mon père en faisaient. Il y avait également un autre aîné innu du nom de Mituishan ainsi que Uatshetish de l’autre village.
Shimun: Il y a aussi Tshishenniss, Kaunkuisht, le monsieur de Davis-Inlet du nom de Meshkina et MIshta-Napesh qui étaient tous des shamans.
Evelyne (15 :25): La tente tremblante était utilisée à quel moment? Était-ce pour de la nourriture ?
Anne-Pinamen: C’est par exemple, lorsque tu veux savoir le moment que ton décès aura lieu, pour savoir ma durée de vie ou pour savoir ce qui arrivera dans le futur. Est-ce que je vais bien aller dans un an ? Comment je vais être ? C’est ce qu’on regardait dans la tente tremblante. Tu pourrais demander à [Taminikassiku] qu’il te prédise ton futur pendant un an et il serait en mesure de te dire si tu vas bien aller, si tu ne manqueras pas de nourriture, si tu l’a bien entreposée. Lorsque tu le laissais, tu t’assurais que ce soit bien ordonné.
La tente tremblante servait à cela. Il [Taminikassiku] pouvait dire à la personne qu’elle allait bien aller, qu’elle allait rester en vie et que rien n’allait lui arriver.
Anne-Pinamen: (16 :24) Celui qui se moque des choses par exemple, une personne qui gaspille de la nourriture traditionnelle qu'elle vient d’abattre et bien, le shaman lui dirait que lorsque ses enfants ramèneront leurs abats et feront la même chose qu’elle, elle sera pauvre et devrait avoir peur car elle pourra à peine se lever.
Anne-Pinamen (16:56) : Il ne reste que 2 shamans. Toutefois, ils n’en parlent pas, car ils disent que même s’ils pratiquaient le rituel, les gens d’aujourd’hui se moqueraient d’eux.
Shimun: Aujourd’hui, le sujet est tabou. Ils ne font pas comme auparavant lorsqu’ils pratiquaient devant les gens, car les jeunes se moqueraient d’eux.
Evelyne (17 :24): Est-ce que les prêtres empêchaient le rituel de la tente tremblante?
Shimun: Oui, ils n’aimaient pas cela.
Anne-Pinamen: Ce n’est pas les shamans que les prêtres n’aimaient pas. Ils disaient que c’était un don que Dieu leur avait donné, que chaque personne avait reçu un don différent de l’autre.
Evelyne (17 :41): C’est seulement le rituel qu’ils n’aimaient pas.
Anne-Pinamen: Oui, ils n’aimaient pas la pratique. Ils leur (shamans) permettaient quand même d’aller à la confesse.
Shimun (17 :50): C’est une manière de survie pour l’Innu. Il est difficile lorsqu’il n’y a pas de nourriture dans les magasins. Alors qu’en pratiquant, il trouve ce qu’il demande. Si le prêtre se trouve dans la forêt et qu’ils (les Innus) ne peuvent pas tuer, il ne servira à rien d’empêcher l’Innu de pratiquer ce qu’il a toujours fait.
Par exemple, regardez cette ainée sur la photo. Elle est très croyante, elle se sert de son chapelet pour prier afin que quelqu’un puisse ramener de la nourriture. Toutefois, elle ne réussit pas. Tandis que l’aîné, lui, prend son tambour et voilà que 2 nuits après, il y a de la nourriture. Tout cela pour que les enfants n’aient pas faim. C’était le but de s’en servir.
Si le prêtre était au large sur le lac, il ne serait jamais capable d’amener ou de faire venir la nourriture vers lui, tandis que l’autre se sert de ses pouvoirs pour bien faire afin que les enfants puissent être nourris. L’Innu ne le faisait pas souvent. Il le faisait parfois seulement.
Anne-Pinamen (19:10) : Il faisait la demande seulement lorsqu’il y avait une famine.
Evelyne (19 :15): Lorsque tu mentionnes que tu es malade, tu ne prends pas de remèdes traditionnels ou les préparations des Innus?
Anne-Pinamen: Je prends ce que je me procure dans la forêt. Je mets le cataplasme de gomme de sapin, l’arbuste de pimbina, Uapinamuikan, des plantes de toutes sortes.
Shimun: Les lycopodes et le thé de Labrador, on les réchauffe lorsqu’une personne a des enflures. Il y a la roche mince aussi. La personne la fait chauffer et l’étale à l’endroit où elle a mal. Elle a le même effet que lorsqu’on entre dans une tente à suer, car la roche est médicinale. Peu importe la sorte de roche, elles sont toutes médicinales.
Anne-Pinamen: Lorsque tu fais une saignée et lorsque tu piques.
Evelyne: Existe-t-il encore une personne qui fait des saignées?
Anne-Pinamen: Oui, c’est moi qui la fait. Lorsqu’un enfant à un mal de dent, on me l’amène et je le pique. Je suis pourtant dans le village et je ne les revire pas pour les envoyer à l’hôpital. L’Innu veut encore se servir des remèdes traditionnels et cela me surprend. Le parent est aussi surpris. Il m’appelle pour me dire que son enfant se porte mieux. Nous nous servons de ce que nous vivions auparavant, même en habitant dans le village.
Evelyne (21 :01): Et ce médicament que tu as là présentement, tu ne t’en sers pas?
Anne-Pinamen: Je m’en sers parfois. Lorsque mes propres remèdes ne m’aident pas, je vais alors consulter le médecin. Dans le passé, les autorités blanches nous empêchaient de nous soigner nous-mêmes. On nous disait que nous irions en prison si nous n’allions pas consulter un médecin. Dans la forêt, ce n’est pas un médecin qui accouchait les femmes. Il était difficile de venir accoucher ici lorsqu’il n’y avait pas d’avions. C’est une autre femme, une aînée, qui faisait les accouchements. La femme enceinte restait à l’endroit où l’aînée restait lorsqu’il était temps d’accoucher. Aujourd’hui, c’est interdit. Tous nos enfants sont venus au monde avec des médecins. Si nous n’y allions pas, nous allions en prison. On nous disait que le médecin était là pour cela et que nous devions y aller. Même lorsque nous étions en forêt.
Evelyne (22 :08): Comment vois-tu le futur? Crois-tu que l’Innu pourra vivre longtemps en forêt.
Anne-Pinamen: La manière que je le vois, lorsque les jeunes partent en forêt, ils reviennent plus tôt. Comment vont-ils faire s’ils ne veulent pas rester dans la forêt pour chasser. Dans le passé, les gens étaient heureux de demeurer dans la forêt. Les jeunes ne pensaient jamais à revenir. Aujourd’hui, lorsqu’un avion se rend dans le territoire pour aller vérifier si tout va bien, tous les jeunes reprennent l’avion pour retourner dans le village. Et lorsqu’ils vont à l’école ici, il n’y a pas que la consommation de l’eau (alcool) C’est ce qui se passe, je ne mens pas.
Evelyne (23 :03): Et toi [Shimun], qu’en penses-tu? Crois-tu que l’Innu va vivre longtemps ?
Shimun: Je n’ai aucune idée s’il va rester longtemps.
Anne-Pinamen: Moi, je crois que la terre restera toutefois, tous les jeunes commettront des meurtres. C’est comme cela que je vois cela. La nuit dernière ma fille a presque été tuée. Elle qui travaillait pour l’avocat. Une femme est allée cogner à sa porte avec une roche dans la main. Elle a commencé à la frapper sur le visage avec la roche et elle l’a toute défigurée. Comment peut-on vivre lorsqu’on commet des actes en étant en état d’ébriété ?
Anne-Pinamen (23:56): Une autre dame s’est faite briser sa maison et on lui a tout volé. Je dis aux autres que je n’entends pas parler des actes comme les nôtres dans d’autres communautés. Comment peut-on vivre ainsi ? Lorsqu’on annonce qu’une réunion aura lieu le lundi, le nombre de femmes s’achalent et se harcèlent. Nous devons tous travailler ensemble lors des réunions, mais non, tout le monde se chicanent et la réunion n’aboutit nulle part. Notre village est dangereux.
Anne-Pinamen (24 :42): Comment va-t-on pouvoir vivre longtemps? Il parait que c’est pire à Davis Inlet. C’est très dangereux et tout est détruit.
Evelyne (24 :54): Je me demande qu’est-ce qui rend l’Innu mécontent ?
Anne-Pinamen : La moitié vont bien, mais je leur dis que nous devons tous travailler ensemble pour que ça aille bien. Nous formons une seule communauté. Ils se détruisent entre eux lorsqu’ils deviennent des haut placés. Il parait que le chef n’a pas travaillé depuis plus d’un mois. À ce qu’il parait, il se promène et va à la chasse. Comment allons-nous être nous ? Cela est surprenant.
Je leur dis que s’ils (dirigeants) travaillaient pour notre bien, tout irait bien. Je leur dis de ne pas s’haïr. Aussitôt qu’ils font quelque chose de bien à une personne, ils commencent à consommer de la boisson et se chicanent. Je leur dis qu’ils deviennent dangereux. Les aînés vont avoir peur d’eux et vont finir pas les laisser. Les jeunes se fient beaucoup sur les aînés. Ils nous demandent de ne pas les laisser et de ne pas mourir. Je leur dis que nous allons éventuellement les laisser, car ils consomment de l’alcool sans raison. Comment veux-tu que quelqu’un survive dans la consommation ? Si nous buvions, nous ne resterions pas en vie, car nous sommes âgés. J’ai 12 enfants et personne ne nous donne de l’aide. Ils sont aujourd’hui tous partis. J’ai également élevé 5 petits-enfants et eux aussi nous ont quittés. Nous sommes seuls tous les deux.
Evelyne (26 :35): Quel message aurais-tu à transmettre à tes petits-enfants?
Anne-Pinamen: De faire comme nous, de suivre la tradition. De faire de la même façon que nous les avons élevés. De suivre nos pas et ne pas consommer de l’alcool. De réaliser que nous aussi travaillons à la maison autant que les gens qui occupent un emploi.
Mais ils préfèrent aller consommer. Je les envoie de la maison, car c’est quelque chose que je n’accepte pas, car la consommation ne les fera pas vivre.
Evelyne (27 :10): As-tu un message à tes petits-enfants [Shimun]?
Shimun: Même s’ils ne m’écoutent pas quand je leur dis, je leur dirais de ne pas toucher à la consommation et de suivre les pas de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents. De vivre de la même façon dont ils vivaient auparavant. Si vous pouvez suivre nos pas, vous serez en mesure de survivre longtemps en forêt.
Je crois qu’il ne nous reste pas grand temps avant de manquer de nourriture. Avec les ouragans qui détruisent les terres agricoles, il paraît qu’il n’y a plus grand chose qui pousse dans ces terres. En plus des autres mauvaises choses qui se font sur la terre : les petits avions (épandage de pesticides), la pollution et la destruction des terres. Nous ne savons pas comment cela affecte les aliments. Il se peut que les gens tombent malades après la consommation de ces aliments du fait que le sol n’est plus bon. C’est de cette manière que je vois les choses. Je crois que nous ferons pitié plus tard, autant les Innus et les allochtones, car tout ce dont nous avons tous besoin ne sera plus comestible. C’est ce que je prédis plus tard. C’est pour cette raison que je veux encourager nos jeunes à aller chercher la nourriture qui est gratuite. Ils seront en mesure de voir si l’animal n’est pas bon à manger, car il sera visible. Ce ne sont pas tous les animaux qui ne seront pas bons. Il y en aura beaucoup qui seront bons. À force de connaître les animaux, ils sauront lequel est bon. La personne ne se forcera pas à manger ce qui n’est pas comestible. Elle va plutôt chercher à trouver quelque chose qui est comestible.
Par exemple, le bœuf ou le poulet est déjà malade et on leur injecte des médicaments. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, les gens sont plus gras. Cela vient des animaux injectés de médicaments. C’est ce qui les rend gras. Ce n’était pas comme cela auparavant. Des gens vont même dans la forêt pour injecter les animaux à ce qu’on peut voir dans les émissions.
Evelyne (30 :30): Vos histoires sont très belles à entendre. C’est ici que nous terminons, je vous remercie beaucoup!
Evelyne: Et toi [Shimun], tu ne retournes jamais par chez vous?
Shimun: Il nous arrive parfois d’y aller, lors des rassemblements des aînés.
Anne-Pinamen : Nous y allons en avion chaque année.
Evelyne: Non là-bas, ça s’appelle Nitshukun d’où il est originaire?
Shimun: Oui, Nitshukun.
Anne-Pinamen : Non, lui est originaire de Uashat. Ses parents ont grandi à cet endroit.
Son père est originaire de très loin. Il parait qu’il est originaire de Nitshikuan. Ils savent que son grand-père se nommait Thomas.
Shimun: Mon arrière-grand-père s’appelle Thomas Michel. Tu connais John, le nouveau marié ?
Evelyne : John Grégoire, oui.
Shimun: C’était l’enfant de sa fille.
Anne-Pinamen: Il parait que c’était la fille à Marguerite.
Evelyne (01 :34): L’avez-vous vu cet été?
Shimun: Oui, je le vois souvent. Je voyage encore à Uashat. Je voyageais beaucoup dans le passé. Nous avons atterri là.
Anne-Pinamen: Il est venu ici avec sa femme lorsqu’il y avait les jeux autochtones. Je préparais leurs repas pour leur voyage de retour en auto.
Evelyne (02 :01): Comment interprètes-tu ton territoire dans la forêt?
Anne-Pinamen : J’aime beaucoup l’endroit. Il y a plusieurs choses dans notre territoire. Nous ne manquions jamais de nourriture. Il y a de tout : le castor, l’ours, le caribou, le lièvre, la perdrix, le poisson, il y a de tout. Sur la rivière, il y a tellement de perdrix blanches. Il y a également de la perdrix de savane où il y a beaucoup de sapins.
Shimun (02 :36): Jusqu’au Grand Lac.
Anne-Pinamen : Jusqu’au Grand Lac… Avec la rame, c’est un peu loin.
Shimun: Lorsqu’on part pour aller en forêt, il fait un temps d’automne lorsqu’on y arrive.
Anne-Pinamen : Ensuite, il faut que tu reviennes.
Shimun: En avion.
Anne-Pinamen: Tu es rendu à la tête du lac avant la fête de Noël.
Evelyne: Vraiment?
Anne-Pinamen : Ce n’est pas très loin, car l’avion prend un raccourci.
Shimun: Ce n’est pas loin en prenant le raccourci, mais c’est un grand détour en canot sur la rivière.
Anne-Pinamen : Un détour sur la rivière et le Grand Lac, car il y a des montagnes.
Evelyne (3:20) : Suite à ton mariage, tu es toujours demeurée ici?
Anne-Pinamen : Toujours à la même place.
Evelyne : Vous avez de moins en moins été dans le territoire ?
Anne-Pinamen : Nous allions souvent dans la forêt avant que je tombe malade. Vu que j'avais des problèmes respiratoires, on m'a déconseillé d'aller en forêt. Le médecin me disait que j'allais mourir si je continuais à demeurer dans la forêt et que si je devais consulter par après, le médecin ne pourrait plus faire grand-chose pour me soigner.
Evelyne : Il y a combien d'années de cela environ ?
Anne-Pinamen : Cela fait déjà dix ans que j'ai cela.
Evelyne : Vous n'allez plus du tout dans le territoire ?
Anne-Pinamen : Non. Toutefois nous allons ici au chemin. Nous chassons le porc-épic.
Shimun: Proche d’ici au chemin.
Evelyne : Vous y allez avec vos petits-enfants ?
Anne-Pinamen : Avec tous mes petits-enfants et mes enfants. Ils viennent en auto et retournent s’ils doivent travailler. Lorsqu’il y a de l’école, nous venons ici et c’est moi qui garde les enfants. Ils sont très agités et je dois en plus préparer les repas pour ceux qui travaillent.
On me dit que j'ai de la misère à respirer et je garde les petits enfants. Il y en a qui sont très petits et lui aussi [Shimun] m’aide à garder.
Evelyne (04 :42): Tu fabriques des raquettes?
Shimun: Oui, j'en fabrique.
Anne-Pinamen : Si tu voyais tout le travail qu'il fait.
Evelyne : Quel travail fais-tu ?
Anne-Pinamen : Des raquettes dans la petite cabane. Il fabrique plusieurs raquettes.
Je les vends aussitôt et je…
Evelyne : Des canots?
Shimun: Non, je n’ai jamais essayé de canots.
Anne-Pinamen : Non, il n’en fait jamais. Son père fabriquait des canots. Il en fabriquait et les donnait aux gens. Il ne les vendait pas. Mon père aussi. Tous les gens donnaient des canots aux Innus. Les gens fournissaient la toile à canot et les clous. Une fois fini, le canot était donné et la personne partait en forêt. En retour, il était récompensé par de la nourriture traditionnelle lorsque la chasse était fructueuse.
Evelyne (05 :36): Plusieurs choses ont changé?
Anne-Pinamen : En effet. Depuis que nous demeurons dans le village et lorsque les chasseurs partent en avion, ils nous expédient de l’outarde, du castor et de la viande. Il (Shimun) devait tuer son caribou aussitôt qu’il avait débarqué. J’allais ensuite magasiner et je lui envoyais du tabac et des sucreries, car il devait trouver ça dure et ça lui faisait plaisir. C’est ce qu’on faisait toujours.
Evelyne : De quelle manière ça a changé ?
Anne-Pinamen : De toutes les manières. Le fait de devoir rester dans le village tandis que je ne suis pas très malade m’attriste. C'est ce qui me rend triste, car nous aimions beaucoup demeurer dans la forêt. Nous ne sommes quand même jamais dans la maison. Par exemple, on vient tout juste de rentrer. Nous sommes allés cueillir des petits fruits. J'en ramasse beaucoup et je les distribue. Ils (nos enfants) disent qu'ils ne peuvent pas aller à la cueillette, car ils travaillent alors je leur en donne. Ils ne sont pas capables de faire de la bannik et ils aiment beaucoup ça. Il arrive parfois de nous en faire voler (Rires), lorsqu’on ne ferme pas la porte. Nos enfants viennent prendre des affaires.
Evelyne (07 :13): Est-ce que les jeunes vont préserver la culture innue ?
Anne-Pinamen : Moi, je crois que oui vu qu'elle leur est enseignée. Ça devrait débuter après les fêtes. Ils (les ainés) vont les amener dans la forêt et il y aura justement du caribou. Ils vont les amener à l'endroit où il y a du caribou pour…, épiler, tanner le caribou. Ils font de tout. Ils font cuire de la viande de caribou et apprennent la culture dans la forêt. Ils brulent les piquants du porc-épic, ils apprennent même à se confectionner des mocassins et le tressage. Cela durera jusqu’au printemps. Ils apprennent également à l’école et parfois en forêt chacun leur tour incluant les tout-petits.
Evelyne (08 :18): Aujourd'hui, la vente de fourrure ne doit pas être aussi populaire qu’avant?
Shimun: Non, elle pourrait encore se faire mais les Innus ne tendent plus leurs pièges comme avant. Les plus jeunes ne le font plus.
Anne-Pinamen : Les jeunes d’aujourd’hui semblent être plus paresseux. Nous remarquons que nos jeunes du passé n’étaient pas ainsi. Lorsqu’il y avait de l’emploi, ils étaient très heureux de travailler afin de pouvoir se procurer ce qui leur manquait comme par exemple, du tabac, ce qu’ils devaient boire ou pour de la nourriture qui leur manquait. Toutefois, aujourd’hui, le jeune ne travaille que 2-3 jours et aussitôt qu’il a reçu une paie, il dépense le tout, car il se fie sur son grand-père pour le nourrir tandis qu’il pourrait être fier de lui à travailler et subvenir à ses besoins.
Anne-Pinamen (09:18): C’est ce que nous faisions dans le passé. J’avais 20 ans lorsque je me suis mariée. Lorsque nous manquions de nourriture à la maison, les filles allaient sur le rivage et les garçons allaient à la chasse. Nous, les filles, allions à la pêche et tendions nos filets et nous nous occupions de notre mère et grand-mère. Nous faisions tout ce qui nous avait été demandé, nous n’étions pas paresseuses et nous aimions le travail que nous faisions tel qu’aller bûcher du bois et tendre nos pièges.
Evelyne (09 :59): C’était davantage la tâche d’une femme?
Anne-Pinamen : Vraiment, auparavant la femme devait chasser à part et son mari aussi.
En ce qui a trait aux enfants, la sœur ainée devait s’occuper des plus jeunes. C’est ce que je faisais, j’allais toujours à la chasse. Aujourd’hui, on (médecin) me dit que je ne suis pas vieille et que j’ai des problèmes de respiration. Je leur dis que je ne soupçonne rien. C’est le fait que j’ai beaucoup de travail, plusieurs enfants, de ne pas avoir de bonnes nuits de sommeil et de me réveiller très tôt. Parfois, je suis déjà levée à 4 heures pour faire mon travail. Lui [Shimun] travaillait beaucoup. Je ne le voyais pas beaucoup et les enfants non plus. Il pouvait être ici le soir et il se faisait demander au chemin.
Evelyne (11 :05): Il faisait quoi?
Anne-Pinamen: Il mettait du sable sur le chemin. Il gagnait sa vie avec une pelle et une hache aussi.
Evelyne: Il travaillait autant, que ça soit dans le village ou dans la forêt.
Anne-Pinamen : Depuis qu’il est dans le village, il a terminé son travail. Il reçoit son argent et sa pension de vieillesse. C’est comme ça. Il va également à la chasse.
Evelyne (11 :29): Et toi, est-ce qu’on t’invite à aller raconter des histoires ou des légendes?
Anne-Pinamen : Oui, toujours. Nous y allons toujours, même à Davis Inlet ou lorsqu’il y a un décès. Il est aussi demandé pour aller jouer du tambour.
Evelyne (11 :49): Est-ce que tu joues du tambour depuis longtemps?
Shimun: Pas depuis très longtemps.
Anne-Pinamen: Il a commencé à jouer le tambour lorsque son père est décédé.
Shimun: Un peu plus de dix ans environ.
Evelyne (12 :04): Tu ne voulais pas y toucher auparavant?
Shimun: Non.
Anne-Pinamen: L’Innu avait un très grand respect envers le tambour auparavant. Il n’était jamais rabaissé. Aujourd’hui, une personne s’en sert pour les danses. Dans le passé, l’aîné se servait du tambour en chantant pour lui demander de la nourriture dans la forêt. Le lendemain matin, il envoyait son garçon ou son petit-fils à la chasse. Le tambour servait à cela. Cela me surprend aujourd’hui.
Anne-Pinamen (12:51): C’est que je voyais faire dans le passé. Je suis rendue à l’âge de 77 ans et j’aurai mes 78 ans le 10 du mois de juin. Ce que je n’aime pas aujourd’hui, c’est de voir les femmes et les hommes entrer dans une tente à suer ensemble. Cela ne se faisait jamais auparavant. La tente à suer était respectée et servait lorsqu’un aîné était malade pour des fins de guérison. Il était ainsi pour la femme. C’était le même procédé lorsque la femme avait mal, soit au genou ou à la main.
Ce que je ne comprends pas aujourd’hui, c’est le fait qu’ils (Innus) disent que la tente à suer les aident contre leur consommation d’alcool. Et lorsqu’on me demande de rentrer dans la tente à suer, je ne le fais pas. Je leur dis que je ne me moque pas de la tradition innue.
Anne-Pinamen (15 :05): Ma grand-mère y allait parfois. Elle chantait et c’était une grande croyante en la prière. Ensuite, elle envoyait ses petits-enfants à la chasse.
Je ne l’ai jamais fait encore. Je prie tellement pour que la chasse soit fructueuse.
Lorsqu’on tue un caribou, il ne lui manque pas de nourriture pendant un an. C’est étonnant.
Evelyne (14 :37): As-tu vu la tente tremblante?
Anne-Pinamen: Oui, il y avait plusieurs Innus qui pouvaient accomplir le rituel de la tente tremblante. Mon oncle Antoine Ashini de Uashat et le frère de mon père en faisaient. Il y avait également un autre aîné innu du nom de Mituishan ainsi que Uatshetish de l’autre village.
Shimun: Il y a aussi Tshishenniss, Kaunkuisht, le monsieur de Davis-Inlet du nom de Meshkina et MIshta-Napesh qui étaient tous des shamans.
Evelyne (15 :25): La tente tremblante était utilisée à quel moment? Était-ce pour de la nourriture ?
Anne-Pinamen: C’est par exemple, lorsque tu veux savoir le moment que ton décès aura lieu, pour savoir ma durée de vie ou pour savoir ce qui arrivera dans le futur. Est-ce que je vais bien aller dans un an ? Comment je vais être ? C’est ce qu’on regardait dans la tente tremblante. Tu pourrais demander à [Taminikassiku] qu’il te prédise ton futur pendant un an et il serait en mesure de te dire si tu vas bien aller, si tu ne manqueras pas de nourriture, si tu l’a bien entreposée. Lorsque tu le laissais, tu t’assurais que ce soit bien ordonné.
La tente tremblante servait à cela. Il [Taminikassiku] pouvait dire à la personne qu’elle allait bien aller, qu’elle allait rester en vie et que rien n’allait lui arriver.
Anne-Pinamen: (16 :24) Celui qui se moque des choses par exemple, une personne qui gaspille de la nourriture traditionnelle qu'elle vient d’abattre et bien, le shaman lui dirait que lorsque ses enfants ramèneront leurs abats et feront la même chose qu’elle, elle sera pauvre et devrait avoir peur car elle pourra à peine se lever.
Anne-Pinamen (16:56) : Il ne reste que 2 shamans. Toutefois, ils n’en parlent pas, car ils disent que même s’ils pratiquaient le rituel, les gens d’aujourd’hui se moqueraient d’eux.
Shimun: Aujourd’hui, le sujet est tabou. Ils ne font pas comme auparavant lorsqu’ils pratiquaient devant les gens, car les jeunes se moqueraient d’eux.
Evelyne (17 :24): Est-ce que les prêtres empêchaient le rituel de la tente tremblante?
Shimun: Oui, ils n’aimaient pas cela.
Anne-Pinamen: Ce n’est pas les shamans que les prêtres n’aimaient pas. Ils disaient que c’était un don que Dieu leur avait donné, que chaque personne avait reçu un don différent de l’autre.
Evelyne (17 :41): C’est seulement le rituel qu’ils n’aimaient pas.
Anne-Pinamen: Oui, ils n’aimaient pas la pratique. Ils leur (shamans) permettaient quand même d’aller à la confesse.
Shimun (17 :50): C’est une manière de survie pour l’Innu. Il est difficile lorsqu’il n’y a pas de nourriture dans les magasins. Alors qu’en pratiquant, il trouve ce qu’il demande. Si le prêtre se trouve dans la forêt et qu’ils (les Innus) ne peuvent pas tuer, il ne servira à rien d’empêcher l’Innu de pratiquer ce qu’il a toujours fait.
Par exemple, regardez cette ainée sur la photo. Elle est très croyante, elle se sert de son chapelet pour prier afin que quelqu’un puisse ramener de la nourriture. Toutefois, elle ne réussit pas. Tandis que l’aîné, lui, prend son tambour et voilà que 2 nuits après, il y a de la nourriture. Tout cela pour que les enfants n’aient pas faim. C’était le but de s’en servir.
Si le prêtre était au large sur le lac, il ne serait jamais capable d’amener ou de faire venir la nourriture vers lui, tandis que l’autre se sert de ses pouvoirs pour bien faire afin que les enfants puissent être nourris. L’Innu ne le faisait pas souvent. Il le faisait parfois seulement.
Anne-Pinamen (19:10) : Il faisait la demande seulement lorsqu’il y avait une famine.
Evelyne (19 :15): Lorsque tu mentionnes que tu es malade, tu ne prends pas de remèdes traditionnels ou les préparations des Innus?
Anne-Pinamen: Je prends ce que je me procure dans la forêt. Je mets le cataplasme de gomme de sapin, l’arbuste de pimbina, Uapinamuikan, des plantes de toutes sortes.
Shimun: Les lycopodes et le thé de Labrador, on les réchauffe lorsqu’une personne a des enflures. Il y a la roche mince aussi. La personne la fait chauffer et l’étale à l’endroit où elle a mal. Elle a le même effet que lorsqu’on entre dans une tente à suer, car la roche est médicinale. Peu importe la sorte de roche, elles sont toutes médicinales.
Anne-Pinamen: Lorsque tu fais une saignée et lorsque tu piques.
Evelyne: Existe-t-il encore une personne qui fait des saignées?
Anne-Pinamen: Oui, c’est moi qui la fait. Lorsqu’un enfant à un mal de dent, on me l’amène et je le pique. Je suis pourtant dans le village et je ne les revire pas pour les envoyer à l’hôpital. L’Innu veut encore se servir des remèdes traditionnels et cela me surprend. Le parent est aussi surpris. Il m’appelle pour me dire que son enfant se porte mieux. Nous nous servons de ce que nous vivions auparavant, même en habitant dans le village.
Evelyne (21 :01): Et ce médicament que tu as là présentement, tu ne t’en sers pas?
Anne-Pinamen: Je m’en sers parfois. Lorsque mes propres remèdes ne m’aident pas, je vais alors consulter le médecin. Dans le passé, les autorités blanches nous empêchaient de nous soigner nous-mêmes. On nous disait que nous irions en prison si nous n’allions pas consulter un médecin. Dans la forêt, ce n’est pas un médecin qui accouchait les femmes. Il était difficile de venir accoucher ici lorsqu’il n’y avait pas d’avions. C’est une autre femme, une aînée, qui faisait les accouchements. La femme enceinte restait à l’endroit où l’aînée restait lorsqu’il était temps d’accoucher. Aujourd’hui, c’est interdit. Tous nos enfants sont venus au monde avec des médecins. Si nous n’y allions pas, nous allions en prison. On nous disait que le médecin était là pour cela et que nous devions y aller. Même lorsque nous étions en forêt.
Evelyne (22 :08): Comment vois-tu le futur? Crois-tu que l’Innu pourra vivre longtemps en forêt.
Anne-Pinamen: La manière que je le vois, lorsque les jeunes partent en forêt, ils reviennent plus tôt. Comment vont-ils faire s’ils ne veulent pas rester dans la forêt pour chasser. Dans le passé, les gens étaient heureux de demeurer dans la forêt. Les jeunes ne pensaient jamais à revenir. Aujourd’hui, lorsqu’un avion se rend dans le territoire pour aller vérifier si tout va bien, tous les jeunes reprennent l’avion pour retourner dans le village. Et lorsqu’ils vont à l’école ici, il n’y a pas que la consommation de l’eau (alcool) C’est ce qui se passe, je ne mens pas.
Evelyne (23 :03): Et toi [Shimun], qu’en penses-tu? Crois-tu que l’Innu va vivre longtemps ?
Shimun: Je n’ai aucune idée s’il va rester longtemps.
Anne-Pinamen: Moi, je crois que la terre restera toutefois, tous les jeunes commettront des meurtres. C’est comme cela que je vois cela. La nuit dernière ma fille a presque été tuée. Elle qui travaillait pour l’avocat. Une femme est allée cogner à sa porte avec une roche dans la main. Elle a commencé à la frapper sur le visage avec la roche et elle l’a toute défigurée. Comment peut-on vivre lorsqu’on commet des actes en étant en état d’ébriété ?
Anne-Pinamen (23:56): Une autre dame s’est faite briser sa maison et on lui a tout volé. Je dis aux autres que je n’entends pas parler des actes comme les nôtres dans d’autres communautés. Comment peut-on vivre ainsi ? Lorsqu’on annonce qu’une réunion aura lieu le lundi, le nombre de femmes s’achalent et se harcèlent. Nous devons tous travailler ensemble lors des réunions, mais non, tout le monde se chicanent et la réunion n’aboutit nulle part. Notre village est dangereux.
Anne-Pinamen (24 :42): Comment va-t-on pouvoir vivre longtemps? Il parait que c’est pire à Davis Inlet. C’est très dangereux et tout est détruit.
Evelyne (24 :54): Je me demande qu’est-ce qui rend l’Innu mécontent ?
Anne-Pinamen : La moitié vont bien, mais je leur dis que nous devons tous travailler ensemble pour que ça aille bien. Nous formons une seule communauté. Ils se détruisent entre eux lorsqu’ils deviennent des haut placés. Il parait que le chef n’a pas travaillé depuis plus d’un mois. À ce qu’il parait, il se promène et va à la chasse. Comment allons-nous être nous ? Cela est surprenant.
Je leur dis que s’ils (dirigeants) travaillaient pour notre bien, tout irait bien. Je leur dis de ne pas s’haïr. Aussitôt qu’ils font quelque chose de bien à une personne, ils commencent à consommer de la boisson et se chicanent. Je leur dis qu’ils deviennent dangereux. Les aînés vont avoir peur d’eux et vont finir pas les laisser. Les jeunes se fient beaucoup sur les aînés. Ils nous demandent de ne pas les laisser et de ne pas mourir. Je leur dis que nous allons éventuellement les laisser, car ils consomment de l’alcool sans raison. Comment veux-tu que quelqu’un survive dans la consommation ? Si nous buvions, nous ne resterions pas en vie, car nous sommes âgés. J’ai 12 enfants et personne ne nous donne de l’aide. Ils sont aujourd’hui tous partis. J’ai également élevé 5 petits-enfants et eux aussi nous ont quittés. Nous sommes seuls tous les deux.
Evelyne (26 :35): Quel message aurais-tu à transmettre à tes petits-enfants?
Anne-Pinamen: De faire comme nous, de suivre la tradition. De faire de la même façon que nous les avons élevés. De suivre nos pas et ne pas consommer de l’alcool. De réaliser que nous aussi travaillons à la maison autant que les gens qui occupent un emploi.
Mais ils préfèrent aller consommer. Je les envoie de la maison, car c’est quelque chose que je n’accepte pas, car la consommation ne les fera pas vivre.
Evelyne (27 :10): As-tu un message à tes petits-enfants [Shimun]?
Shimun: Même s’ils ne m’écoutent pas quand je leur dis, je leur dirais de ne pas toucher à la consommation et de suivre les pas de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents. De vivre de la même façon dont ils vivaient auparavant. Si vous pouvez suivre nos pas, vous serez en mesure de survivre longtemps en forêt.
Je crois qu’il ne nous reste pas grand temps avant de manquer de nourriture. Avec les ouragans qui détruisent les terres agricoles, il paraît qu’il n’y a plus grand chose qui pousse dans ces terres. En plus des autres mauvaises choses qui se font sur la terre : les petits avions (épandage de pesticides), la pollution et la destruction des terres. Nous ne savons pas comment cela affecte les aliments. Il se peut que les gens tombent malades après la consommation de ces aliments du fait que le sol n’est plus bon. C’est de cette manière que je vois les choses. Je crois que nous ferons pitié plus tard, autant les Innus et les allochtones, car tout ce dont nous avons tous besoin ne sera plus comestible. C’est ce que je prédis plus tard. C’est pour cette raison que je veux encourager nos jeunes à aller chercher la nourriture qui est gratuite. Ils seront en mesure de voir si l’animal n’est pas bon à manger, car il sera visible. Ce ne sont pas tous les animaux qui ne seront pas bons. Il y en aura beaucoup qui seront bons. À force de connaître les animaux, ils sauront lequel est bon. La personne ne se forcera pas à manger ce qui n’est pas comestible. Elle va plutôt chercher à trouver quelque chose qui est comestible.
Par exemple, le bœuf ou le poulet est déjà malade et on leur injecte des médicaments. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, les gens sont plus gras. Cela vient des animaux injectés de médicaments. C’est ce qui les rend gras. Ce n’était pas comme cela auparavant. Des gens vont même dans la forêt pour injecter les animaux à ce qu’on peut voir dans les émissions.
Evelyne (30 :30): Vos histoires sont très belles à entendre. C’est ici que nous terminons, je vous remercie beaucoup!
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Citation
Michel, Shimun et Anne-Pinamen (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), and Malenfant, Eddy (cinéaste), “Michel, Shimun et Anne-Pinamen (2),” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed November 22, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/349.
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