Germain, Armand

Title

Germain, Armand

Subject

Piekuakamit (lac St-Jean); gestion communautaire; territoire; respect; rencontre en forêt; oiseau messager; ainés; territoire; planification; mariage organisé; enseignement traditionnel; Mashteuiatsh

Description

histoire innue; récit de vie

Creator

Germain, Armand (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Production Manitu inc.

Publisher

Production Manitu inc.

Date

2000

Rights

Production Manitu inc.

Language

Innu

Coverage

Entretien à Pakua shipu

Type

récit de vie | oral history

Format

MP4, 34:09 minutes

Original Format

vidéo | video

Transcription

Armand : Mon nom est Armand Germain. Je viens de Piekuakamit (Lac Saint-Jean). Et là, je vais vous raconter ce que vous voulez savoir. Par exemple, nous à Piekuakamit, notre grand-père nous a donné le territoire de chasse. Il a été dit à mon père : « Les petits-enfants vont garder le territoire pour la chasse et assurer leur subsistance. Qu’ils sachent tout faire : parler le innu et maîtriser la survie dans la forêt. Ils devront prendre soin de protéger le territoire et les animaux. Ils devront tout superviser. » Je n’étais pas encore au monde quand nous avons reçu le territoire. Je n’ai pas connu mon arrière-grand-père ni mon arrière-grand-mère ni ma grand-mère, la mère de ma mère. J’ai seulement connu un de mes grands-pères. J’étais petit, j’avais peut-être cinq ans. Je suis allé avec lui en chaloupe pour la chasse. Il était plus jeune. Il m’a expliqué de toujours faire attention : de prendre soin de l’animal, de ne pas abattre une bête pour rien, d’avoir du respect pour tout ce qui est vivant, comme l’arbre. L’humain que tu rencontres, on est dans l’obligation de lui donner quelque chose, de la nourriture. Quand bien même que tu lui donnerais aussi un peu d’eau. Tu fais vraiment du bien à cette personne. Moi, c’est ce que j’ai reçu comme enseignement des aînés.

Concernant le territoire, mon père m’a dit : « Ne vous disputez jamais. Vous devrez le gérer ensemble ». Nous sommes une grande famille. Nous sommes nombreux pour aller à la chasse. Le territoire n’est pas fractionné, l’accès est égal pour tous.

Par exemple, voici comment on fonctionne. Moi-même quand je pars chasser, je dis à mon petit frère et à mon grand frère : « Cet hiver, je chasse dans ce secteur ». Il ne faut pas chasser là une autre année. Il faut laisser les animaux se reproduire pour un temps pour qu’on ne décime pas l’animal : un bon repos pour au moins deux ans, trois ans et même cinq ans. Voilà, c’est comme ça que mon père m’a enseigné.

J’ai tellement exploré le territoire et tant vu la façon de chasser de mon grand-père. Concernant le portage, c’est pareil, on nous a tout enseigné. Nous campions dans nos tentes à l’automne et aussi l’hiver. Et avec tout ça, on savait où était le bon gibier comme le canard et où mettre le filet quand la neige commençait à tomber. C’est pareil pour le poisson à l’automne. Par exemple, mon père, c’est mon grand-père qui lui a enseigné. Quand j’installe mon filet, je sais où mettre mon filet pour prendre un bon poisson. Par exemple le poisson blanc (Grand Corégone, Coregonus clupeaformis, atikamek en innu) quand je pêche, je mets mon filet pour pouvoir le tirer des profondeurs parce que ce poisson est différent de la truite rouge. La truite rouge ne sera pas prise dans ce filet. C’est comme ça que nous avons appris. Tous mes frères maîtrisent cet enseignement.

Par exemple, l’animal le caribou, nous en avons. Mais il n’y en a plus beaucoup, très peu de caribou, peut-être une vingtaine de caribous. Parfois, j’ai un petit ou un grand frère qui me demande : « Est-ce que je peux en abattre? » Je lui recommande d’abattre tant de caribous. Et là pour ce territoire, mon grand-père avait raison de dire aux autres de le respecter. Il leur a été dit de prendre soin de ce territoire comme il leur a été confié. C’est ainsi que tu dois faire attention à tout ; de l’animal jusqu’à l’arbre. Tout ce que tu vois sur le territoire il faut en prendre bien soin. Aussi, à propos de notre langue innue, la manière que nous parlons la langue vient de la forêt et non de la ville, vraiment de la forêt. C’est compréhensible, le blanc lui quand il se promène dans la forêt, il a tendance à donner son propre nom s’il voit une rivière. Il va nommer la rivière à son nom. Mais ça, ce n’est pas acceptable. On le comprend, mais nous, on ne fonctionne pas comme ça. Nous, on ne donnera pas nos propres noms. On le sait nous que c’est seulement pour en prendre soin. Son nom existe déjà dans notre langue qui s’est maintenu dans le temps. C’est naturel de comprendre que ce nom soit déjà là.

Ce que je vais te dire maintenant...Pour nous, à Piekuakamit et à Mistassini, il n’y a qu’une seule façon de chasser avec respect dans la forêt. Il n’y a pas de différence entre chasseurs. Il n’y a qu’une seule manière de pratiquer la chasse ancestrale. C’est une culture traditionnelle unique, une seule connaissance. Tout ce savoir, par exemple l’utilisation de branches comme point de repère directionnel et de temps est unique et ne s’est pas perdu. Elle vient d’où toute cette connaissance qui vient des innu ? C’est parce qu’il y a toujours eu des Innus sur ces terres.

Comme j’ai dit hier (sous-entendu : à la conférence de Matimekush), j’ai rencontré un vieil Innu quand nous avions chassé à Kaniapishkat. Il s’appelait Shapatesh Ashini. Il est maintenant décédé. Sa femme, la grand-mère est aussi décédée. J’étais tout jeune (sous-entendu : à Kaniapishkat), j’avais senti un étranger s’approcher de moi. Mon père amenait quelqu’un avec lui. Il lui avait offert (sous-entendu : à Shapatesh et à sa femme) de dormir une nuit chez nous (sous-entendu dans une tente à Kaniapishkat sur le territoire de chasse). Puis, mon père s’est mis à raconter : « J’étais allé à Matimekush. J’avais rencontré ce vieux innu (sous-entendu : Shapatesh) et je lui avais parlé ». Le visiteur (sous-entendu : Shapatesh à Kaniapishkat) a alors dit à sa femme : « C’est un Piekuakamiunnu ».

Et là (sous-entendu : à la conférence de Matimekush), ce vieux innu (sous-entendu : Shapatesh) me raconta: « Nous avions chassé à Kaniapishkau et nous avions rencontré des innu de Piekuakamit. ». C’est comme ça que le vieux me raconta (sous-entendu : à la conférence de Matimekush) : « Nous avions vu des Pikuakamiunnut et il y avait un petit enfant ». Je ne lui ai pas dit tout de suite que c’était moi, que c’était nous. Il me racontait tout ce qu’il avait vu. Là, je lui ai dit : « Grand-père, ton histoire avec les Piekuakamiunnut, c’était nous qui avions chassé dans ce territoire ». Il était content de comprendre que c’était nous qu’il avait rencontré dans ce temps-là.

Quelquefois, il arrivait souvent qu’on se rencontre entre innu. Pendant qu’on marche dans la forêt à Piekuakamit, on rencontrait souvent des gens de Mistassini. Quelquefois, on marchait avec eux pendant toute la nuit ou deux jours de temps. C’était toujours comme ça, en chemin on rencontrait souvent des personnes dans la forêt. Quand ils repartaient chacun chez eux, par exemple, à Piekuakamit, avec des gens de Mistassini et des Attikamek, il se formait des mariages homme et femme. C’était comme ça que les alliances se créaient entre nous. Par exemple, nous, on avait de la parenté avec les Mistassini. C’était toute la grande famille de mon grand-père.
C’est pour ça, je pense... Par exemple, quand on voit le innu dans la forêt, c’est à lui la terre, comme le blanc dans son jardin. Par exemple, dans son jardin, le blanc élève des animaux sur sa grande terre et les surveille. Il coupe l’herbe de son champ. Il va tout inspecter et bien maintenir son enclos. Nous les Innus, il n’y a pas de barrière. On a le sentier de portage et il est très visible. L’Innu l’utilise tout le temps. Il sait exactement où il doit aller sur ses sentiers parce qu’il a toute cette connaissance. Aussi disons-le, le blanc va nous enseigner la direction du nord et où se trouve la grande mer. Il nous dira quelle sera la météo. Mais nous, on n’a pas de livre. On suit les enseignements de nos grands-pères. Eux, ils connaissaient le temps parce que les aînés savaient observer les signes avant-coureurs naturels du jour.

Moi par exemple, je ne suis pas très vieux. Depuis un an, je sais comprendre les cris des oiseaux. Je trouve ça étrange et je l’ai dit à un vieux que j’ai rencontré : « Moi là, je comprends le son d’un oiseau quand on l’entend ». C’était à un de mes oncles, assez vieux qui m’a dit : « Tu peux les comprendre ? » J’ai dit : « Oui ». Là, mon oncle m’a dit : « De très loin, tu arrives déjà ». Je ne comprenais pas trop, je me disais que je comprendrais plus tard, mais, l’animal je le comprends. Par exemple, un Innu chasseur sait comment se préparer à la chasse. Les animaux nous donnent des indications. Quand un parent du Innu meurt, l’oiseau vient lui dire. Un oiseau vient annoncer ce qui va arriver. Il vient prévenir ce qui va se passer dans l’avenir. On comprend que cet oiseau existe et qu’il va dire ces choses.

Voilà, ce que je pense du territoire. Les vieux disent constamment que les Innus seront toujours présents sur le territoire. Et comme notre génération, la génération suivante devra aussi aider à transmettre la connaissance innue. Ces temps-ci c’est très difficile, étant donné la présence de toutes ces drogues, de la boisson et du cannabis. L’Innu se perd dans tout ça, il oublie et ne se comprend plus. L’Innu a une façon d’être, mais il peut aussi faire comme le blanc : fumer le cannabis et boire, mais il ne pourra jamais changer sa pensée, le fait qu’il sera toujours un Innu. C’est comme ça, il va devoir chercher à se comprendre s’il s’est égaré sur son chemin.

Par exemple quand on dit quelque chose à un enfant, il se fâche, il va beaucoup se fâcher. On éduque cet enfant pour qu’il ne manque pas de respect à une personne âgée. C’est pourquoi je le dis, tout enseignement vient de la forêt. Et ce mode de vie innu doit demeurer. Si l’enfant sort de la forêt pour aller en ville, il doit conserver et ne pas perdre ce qu’il a appris de sa vie traditionnelle. Beaucoup d’enfants s’égarent dans toutes sortes de choses. Ils regardent des films. Il s’y passe beaucoup de choses. Comme si notre mode de vie n’était plus important. Comme si nos enfants ne se préoccupaient plus de notre façon de vivre. Toutefois, maintenant, ils n’ont plus la même mentalité. Ils cherchent à comprendre leurs grand-mères, la façon dont elles vivaient.

Quand j’étais chef, tout ce qu’on défendait était compliqué. On me voyait tout le temps partout. J’accompagnais tout le temps d’autres Innus. Je voulais croire qu’on pouvait défendre la culture innue, tout ce qui vient de la forêt. Et là, c’est pour ça que je le dis, ça va mieux maintenant. Tout le monde comprend qu’on vit de la même manière, dans l’unité. On connaît l’Innu. Ce n’est pas comme si c’était un étranger qui vient. On se reconnaît entre Innu. Nous savons comment nous sommes dans notre vie. On n’est pas différent. C’est comme ça, c’est comme ça.
Pour ma part, comme je dis, les enfants devraient se rencontrer entre eux pour discuter : « Bon, nos grands-pères...les croyons-nous ? Est-ce vrai que nous sommes innu ? Pourquoi si nous sommes Innu, on ne pourrait pas se soucier de vivre le vrai mode vie de nos ancêtres, de notre grand-père, de nos pères et suivre leur chemin ? » Par exemple, un enfant pendant qu’on l’élève, il doit d’abord apprendre sa tradition innue. Comme ça, il aura un modèle, disons-le comme ça. Et même, s’il va dans une ville lointaine pendant deux, trois ou cinq ans, il reviendra dans la forêt. Il reviendrait, comme si quelqu’un l’appelait, un cri qui lui dit de revenir. Et il retournerait dans la forêt. Et l’enfant qui a appris à vivre en ville apprendra la mentalité du blanc. Ce sera son modèle. Des fois, il ira dans la forêt, mais il n’y restera pas longtemps. Étant donné qu’il aura suivi ce modèle, il sera perdu, il sera perdu.

Moi, j’ai vécu d’abord avec mon père dans la forêt. Je lui ai dit: « Père, je pars travailler en ville.» Il m’a dit : « D’accord! vas-y ». Et là, je suis parti travailler en ville. Il m’a dit quand je suis revenu :« Tu as vu ce que c’est d’aller là-bas. Maintenant que tu es allé en ville et que tu as trouvé du travail, tu seras capable de subvenir à tes besoins par ton travail. Et quand il n’y aura plus de travail en ville, tu iras dans la forêt. Ta subsistance est là. Il y a deux façons de subvenir à ses besoins ». C’est comme ça que ça se passe maintenant. C’est comme ça maintenant ! Il y a beaucoup de choses que je pourrais vous raconter. Comment les personnes âgées m’ont beaucoup apportée. Même si je n’ai pas tellement connu mes grands-parents, j’ai beaucoup gagné à écouter les aînés. Parce que je les écoute quand ils parlent. Je garde ainsi un grand respect pour un aîné. C’est comme ça!

Evelyne : Est-ce que toi, tu frappes le teueikan (le tambour) ?

Armand : Moi, non, je n’ai jamais frappé le tambour, mais mon grand-père frappait le tambour. Mais, je serais content d’apprendre tranquillement l’art du tambour. Comment je pourrais dire ça ? J’aimerais bien le comprendre Parfois, je comprends mieux les rêves, ceux qui viennent de la forêt. Je vais les comprendre. Quand mon grand-père frappait le tambour, il jouait que pour les animaux, seulement que pour les animaux. Il ne l’utilisait pas pour autre chose. Mon grand-père avait une grande connaissance. J’aurais beaucoup aimé le connaître davantage. Probablement que je ne devais pas le connaître. Cependant, j’ai acquis tout de même sa connaissance. Sa pensée est imprimée en moi puisque je la pratique. C’est comme ça. C’est très difficile de bien raconté ce qui se passe mais...on le sait bien, l’Innu est très fort, très fort.

À tous les Innus ici, je les remercie. Nous sommes venus en ce lieu et on nous a bien traité. Nous n’avons manqué de rien. On nous a fourni tout ce dont nous avions besoin. Je dis qu’il faut refaire souvent une rencontre entre les aînés. Il y a là beaucoup de savoir innu. S’il n’y avait pas de rencontre entre les aînés, toute la vraie connaissance se perdrait si ça ne se passait pas ainsi. C’est pourquoi je dis...On le ressent ici, combien...en tout cas, moi je le ressens. Je ressens ici quelque chose de grand. Il y a des enfants qui voient l’importance de ça, d’autres pas. Mais moi, je le ressens beaucoup. C’est pourquoi je dis que si on ne refait pas cette rencontre innue, la connaissance des aînés disparaîtra. Ce sera comme l’eau qui s’assèche. C’est ce qui arrivera. Et si on continu, est-ce qu’il y aura d’autres Innus qui viendront ? D’autres Innus qui pourraient s’ajouter, par exemple des personnes encore plus âgées ?

Comme j’ai dit…Par exemple, moi quand je viens à Piekuakamit et que le Conseil de bande me dit : « Armand, c’est loin ». Je ris et je lui dis : « Non, un Innu ne dit jamais " c’est loin ". " Ce n’est pas loin », lui ai-je dit. J’ai dit à l’employé : « Es-tu Innu ? Il me répond : " oui " ». J’ai dit : « Non, je ne crois pas ce que tu me dis. Si tu étais Innu, tu ne dirais pas " c’est loin, c’est loin ". " Ce n’est jamais loin " », lui ai-je dit. Pourquoi demandez-vous tant de terres quand ce sont nos terres ? Et si c’est loin, vous devriez avoir juste une petite terre. Et si ce n’est pas loin, donc nous avons un grand territoire. C’est ça !

C’est pour ça que je dis merci à tous les vieux Innus de les connaître un peu mieux. Je suis reconnaissant de connaître tout ça. Par exemple, il y a longtemps...Je vais te raconter une chose. Un jour, on a campé loin dans la forêt. On était plusieurs, soient mes oncles et ma grande famille. On était probablement onze Innus avec leurs femmes et leurs enfants. Comme je dis, il y avait un vieil Innu dans les premiers temps où nous campions dans la forêt, bien avant notre grand départ. Il y avait une rencontre entre les aînés, ils discutaient. Ils disaient : « Où est cet animal ? Où est le caribou ? Les graines rouges où seraient-elles ? » Pareillement pour le castor, tout ça, ils se le racontaient. Puis, en suivant le coucher du soleil, ils discutaient de la direction à prendre pour cheminer sur la rivière qu’ils nommaient en innu. Et par où ils vont aller pour se rendre de l’autre côté, vers le soleil.

Après une semaine, oui après une semaine, ils savaient comment ils allaient partir pour leur voyage. On était plusieurs personnes. Il y avait environ 20 canots. C’était notre façon de ramer, on ramait tous ensemble. Et alors, il arrivait là un guide qui disait :« C’est là-bas que vous devrez manger cet après-midi ». Il savait bien quand nous allions repartir, comme d’habitude. Au loin, à notre arrivée, il y avait un autre guide Innu qui disait : « Plus loin là-bas, par-delà les monts de Kaniapishkau, c’est nous qui étions là les derniers ». Avant que nous nous séparions et partions chacun de notre côté, il y avait encore une autre rencontre d’une journée. Ils discutaient, étant donné que Noël était proche, où serait la prochaine rencontre. Ils se mettaient d’accord à cet endroit-là. Et là, ils savaient compter le nombre de jours pour arriver à ce rassemblement attendu par tous.

Puis, on se préparait à partir pour la chasse. On prenait tout ce dont nous avions besoin. Des graines rouges qu’on avait récoltées pour faire de la confiture que ma mère avait mise dans de grosses bouteilles. Mon père avait aussi tué un castor qu’il avait bien arrangé pour le festin de Noël. Puis, quand Noël approchait, on se remettait en marche pendant trois jours pour retourner voir la parenté. Et à notre arrivée, un vieux guide était déjà là. Il vérifiait où nous allions installer notre campement. Il supervisait en donnant les directives. Il disait aux personnes âgées où elles devaient s’installer. Chaque innu qui arrivait, était placé au bon endroit pour que tout aille bien.

Et ensuite on plaçait la grande tente. Si un seul Innu manquait à l’appel, tous les hommes partait à sa rencontre. Parfois, ça pouvait durer deux jours. Il était possible que cet homme soit tombé malade à l’automne. Qu’il n’était pas capable de poursuivre le voyage. Qu’il ne pouvait peut-être plus bouger. Ils allaient le chercher à deux jours de marche. Les Innus ne dormaient pas. Même la nuit, ils marchaient pour le retrouver. Il recherchait sans cesse cet homme. Et quand il le trouvait, il l’emmenait au campement. Là, c’était la fête au campement pour les aînés. Nous, les enfants, on jouait sans se faire embêter. Ils ne s’occupaient pas de nous. De son côté, le guide animait à chaque jour tous les jeux pour les aînés afin de les amuser.

Le dernier jour avant le départ commençait le festin. Nous nous préparions à manger le castor. Et là, l’os du castor, ici le fémur, vous savez il est énorme. Et par rapport à la tête du fémur, c’était ceux qui conduisaient le groupe qui le mangeaient et la tête aussi. Et là, l’os proche du fémur (sous-entendu : le bassin) était offert à tous les hommes qui étaient ici pour qu’ils cherchent cet os. Parce que c’est assez difficile de trouver cet os avec son pouce. Mais pas comme ça... mais c’est vraiment avec son pouce qu’ils devaient le trouver. Parce que cet os est fait fort. C’est pour ça... on voulait montrer du respect à l’homme. Car, il était vaillant pour ramer dans les rapides. Il devait être habile de ses mains pour affronter les rapides. La tête du fémur représentait la bonne pensée. Elle s’apparente à la pensée. Et là avec l’os de la tête du fémur, tu devais viser le trou de l’os collé au fémur (sous-entendu : le bassin). Si la pensée était bonne en gardant les yeux fermés et que ça tombait dans le bon trou, ça voulait dire que la pensée de la personne était bonne. Comme s’il voyait. Pourtant la personne avait les yeux fermés.

Et là, la tête du castor était mangée jusqu’à l’os. Une fois le festin terminé, on prenait la tête du castor. On la lançait et elle tombait au sol d’une certaine façon : soit la personne racontait une légende, soit elle racontait un fait réel. C’est ça ! Et les femmes aussi de leurs côtés s’amusaient entre elles. Et là quand les hommes et les femmes s’amusaient ensemble, on attachait cet os du fémur pour le suspendre à une corde. Et puis cet os se balançait. Après, on fabriquait des petits bâtons qu’on lançait en visant l’os du fémur. Ça, c’est très drôle. Le dernier joueur a de la difficulté à viser l’os, il veut tellement atteindre l’os. C’est là que tout le monde s’amusait à se taquiner entre eux. C’est vraiment ça que je dis qu’il se passait dans la forêt quand nous on se rencontrait en famille.
Et puis là, après le festin du jour de l’an, le plus vieux des aînés tirait des coups de fusil. Il le faisait au jour même de la nouvelle année. Un coup pour remercier des bienfaits de l’année qui nous avaient tant apportée et un coup pour la nouvelle année pour que tout aille bien. On se souhaitait que tout fonctionne correctement pour la nouvelle année. Et là, les aînés veillaient pour la nuit et s’amusaient en discutant. C’est ça que j’ai vécu avec les vieux, c’est ce que j’ai ressenti. C’est pour ça que je dis qu’il ne faut pas perdre cela, ne pas perdre cette façon de célébrer.

Quand on repartait ensuite pour la chasse, les i Innus discutaient du prochain retour à Piekuakamit. Nous devions faire une rencontre afin de nous assembler par deux groupes pour s’accompagner pour le retour. On ne rencontrait pas tout de suite d’autres Innus. C’est seulement au mois de juillet que nous sortions de la forêt, c’est ce que mon père faisait. Plus vers le milieu du mois de juillet, on revenait à Piekuakamit. Mais, mon père n’y restait pas longtemps. C’est ça.

Evelyne : Quand tu t’es marié, est-ce qu’on t’a choisi une femme?

Armand : Non, mais avant c’était ce qu’on a voulu me faire. Et mon père a dit : « C’est parce que… » Il avait un grand respect pour moi. Il ne voulait pas que je le quitte pour me marier. Je n’ai pas cherché à savoir ce qu’ils se disaient. Mon père a discuté avec le vieil Innu, le père de la fille que j’aurais pu marier. Finalement, ils n’ont rien dit. « C’est à lui de se choisir la femme qu’il aimera » qu’il a dû dire à ce vieux. Je n’ai pas eu de difficulté. C’est moi qui ai choisi ma femme. Quand j’ai marié ma femme, je la connaissais depuis moins d’un mois. J’arrivais de loin, je travaillais aux États-Unis. Quand je suis arrivé, en moins d’un mois je l’ai mariée. J’ai dû lui dire que je ne voulais pas me marier. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas vécu longtemps…La raison est que...
Evelyne : Est-ce que tu as pris une femme de Piekuakamit ?

Armand : Oui à Piekuakamit. Mais, je pense que j’ai dû l’ennuyer. Je n’étais pas souvent à la maison. J’étais toujours parti dans la forêt chasser. Et puis, quand je suis devenu chef, c’est à ce moment-là qu’elle a dû trouver ça plus difficile. Et pour la forêt, je n’ai pas été capable d’y aller plus souvent et d’y emmener ma femme. Dans la famille de ma femme, ils étaient contents d’être ensemble. Mais moi, on ne m’a pas éduqué comme ça. Nous partions tout le temps. Nous étions de grands voyageurs. C’est comme ça pour nous.

Evelyne : Combien as-tu d’enfants ?

Armand : Sept. J’en ai sept, quatre filles et trois garçons.

Evelyne : As-tu des petits-enfants ?

Armand : Ils sont toujours dans la forêt. D’ailleurs, toutes mes filles sont mariées avec des Innus. Un de mes petits-fils est devenu Mishtashiniunnu (un Innu de Mistassini). Il est à Mistassini. C’est ça. Je veux tout le temps leur enseigner de ne pas oublier le territoire de leurs ancêtres. Par exemple, un de mes petits-fils, c’est lui qui sera responsable quand il sera grand. Je l’ai déjà nommé. C’est lui qui guidera sur le territoire de grand-père. Mon petit-fils s’appelle comme le nom de mon grand-père. Étienne est son nom. C’est comme ça que s’appelle mon petit-fils.

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Citation

Germain, Armand (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), and Malenfant, Eddy (cinéaste), “Germain, Armand,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed November 21, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/341.

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