Gabriel, Kanikuen

Title

Gabriel, Kanikuen

Subject

Matimekush; portage; visiteurs cris, innus, assimeuat (inuit); lieux de rencontre; fourrure; Sheshatshit; accouchement; deux cultures; chasse; noël en forêt; cartouches; north west river; nain; famine; accident; cimetière ashuanipi; IOC; transmission culture; prospective; Fort Chimo; échange

Description

histoire innue; récit de vie

Creator

Gabriel, Kanikuen (interviewé)
André, Anne-Marie (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Production Manitu inc.

Publisher

Production Manitu inc.

Date

2005

Rights

Production Manitu inc.

Language

Innu

Coverage

Entretien à Lac Waco

Type

récit de vie | oral history

Format

MP4, 58:21 minutes

Original Format

vidéo | video

Transcription

Transcription : Kanikuen Gabriel mak Ann Marie André (2005)
KG : (Je salue) tout le monde. Je suis un Innu, je viens de Schefferville. Ça s’appelle Kaitushkanut. Ça s’appelle Natakamaikan d’où je viens. Je suis né en ’38, le 30 octobre à l’intérieur des terres. Où nous sommes présentement à Schefferville, c’est une distance de 45 milles plus loin (de Schefferville) à l’automne vers la fin du mois d’octobre.
Mon arrière-grand-père était déjà là, ils étaient déjà là avant que je vienne au monde. Par la suite, mon grand-père y était, mon père et moi j’y suis né dans notre territoire. Nous sommes toujours restés là depuis très longtemps, mon arrière-grand-père, mon grand-père, moi et mes enfants y vont. Nous occupons toujours le territoire aujourd’hui.
Quand nous montions dans le bois, je vais parler du temps où on montait. Nous sommes à Mishta-shipit, Uashat. Quand nous montions c’était à la du mois d’août. C’est une distance de 600 milles où nous allons nous rendre. Quand nous sommes rendus à Schefferville, nous continuons notre trajet plus loin, encore 100 milles de voyage.
Voix : Comment ça s’appelle où vous allez ?
KG : Ça s’appelle Tshetishkushu, les Blancs eux nomment cet endroit Champs Doré. Nous étions à Uashat et quand le temps est venu pour monter dans le bois, j’avais très hâte. J’étais tanné, je n’aimais pas ça à Uashat. Vraiment je n’aimais pas ça, j’aimais mieux être en forêt.
Quand nous montions dans le bois à la fin du mois d’août, je sais qu’on ne verra plus un magasin. On ne le verra jamais pendant une bonne dizaine de mois. Pas d’hôpital, pas de médecin où nous serons dans le bois l’hiver.
Parfois quand nous montons dans le bois, (une fois) ma mère était enceinte. Je ne savais même pas, je n’en étais pas conscient (de son état). Parfois, au début du mois de novembre, à la fin du mois d’octobre, quand j’arrive là le soir, (à ma grande surprise) il y a un bébé. On l’avait trouvé dans un tronc d’arbre, disait-on. J’avais comme un regret, j’aurais aimé que ce soit moi qui le trouve. Je regrette que ce ne soit pas moi qui l’ait trouvé. (sourire)
Donc nous y sommes restés. Nous allions à la chasse aux caribous, l’ours, pour qu’il y ait quelque chose à manger pendant l’hiver. Quand on tue une dizaine de caribous, c’est de cet animal qu’on fabriquera des chaussures, avec de la peau fumée, peut-être que l’on visionnera un peu plus tard la fabrication des chaussures. On le suspend dehors, on l’étire, pour faire nos raquettes. Ce seront nos raquettes. On n’a jamais vu de ski-doo, on n’a même pas mentionné qu’il y avait un chemin. L’histoire que je vous raconte date presque de 60 ans, de ce que je me rappelle. On ne verra jamais d’hôpital, ni de magasin. Ce sera seulement le caribou, de la viande et du poisson aussi. Toute l’année, nous vivions que de cela, c’est cela qu’était la subsistance de tous les Innus.
Les Innus étaient partout (dans le territoire). Parfois en hiver, nous voyions des Innus, des Fort Chimo-innuat. Nous les rencontrions. Nous avions vu aussi les gens de Sheshatshit. Tout le Québec, tous les peuples innus se rencontraient. (Un Innu) de Fort Chimo, de Sheshatshit, nous voyions également les Cris, Uapamekushtiku (dans la région de Baie James) aussi les avions vus en hiver. Les Pessamiunnuat (gens de Pessamit) aussi ont été vus. On rencontrait également les gens de Pointe-Bleue (Mashteuiatsh). Tous les peuples innus occupaient le territoire du Québec
KG :Pour les Aissimeuat (Inuit), on savait qu’ils étaient là, mais on ne les a jamais rencontrés c’est ce qu’on disait. On aurait dit qu’ils n’aimaient pas rencontrer les Montagnais. Tous les gens de Mingan, Natashquan on les avait rencontrés. Tous les peuples innus se rencontraient, tous les Innus. (métrage : 5 :26 à 5 :30 on n’entend rien).
Le 25 juin, nous arrivions à Uashat. Arrivés à destination, j’avais déjà hâte de repartir (dans le bois). Je vais parler des activités dans le bois d’une année.
La première chose que je vais raconter, la première fois que nous partons (montons dans la forêt), on veut faire ça vite parce qu’on a peur du gel des lacs, de peur de ne pas arriver à destination dans son territoire. Tout le monde aime, n’est-ce pas, être dans son territoire. Vois les gens de Mingan, Natashquan, Uashat, ils ont hâte d’arriver (dans leur territoire) pour y être. Ils ont peur de ne pas pouvoir arriver à destination à cause du gel.
Quand les lacs sont gelés, ils ne peuvent s’y rendre à destination. Les grands lacs comme Ashuanipi, je me souviens il faisait nuit, on naviguait. Nous avions peur qu’il vente. Parfois les Innus sont pris par le vent. Une fois on racontait que les Innus étaient pris pendant une semaine à cause du vent et qu’ils ne pouvaient pas naviguer. Quand le vent tombait, ils naviguaient dans la nuit afin de se rendre le plus loin possible, avant que le vent reprenne. Tout le monde était à la course pour arriver à destination, pour y rester. Il a très hâte d’arriver, c’est son territoire. Nous restons là toute une année. Après avoir tué des caribous…
Voix : ?
KG : … c’est à cause de cela que les Innus pouvaient se rencontrer. Il y a un lac où il y a une abondance de poissons.
AMA : Un instant. On s’est dépêché pour venir ici, c’est quoi t’avais dit en dernier ?
KG : Avant le gel (des lacs), le monde se dépêchait pour arriver (dans son territoire). (S’adressant à elle, tu me poseras la question : « Comment se fait-il qu’on pouvait rencontrer d’autres Innus ? » Et je te répondrai.
Voix : Qu’est-ce que tu dis ?
KG : Tu vas me demander (s’adressant à la femme) : « Comment se peut-il que vous ayez rencontré d’autres Innus de Uapamekushtiku, Pessamit ? » (rires)
AMA : Comment ça se fait que vous ayez rencontré d’autres Innus de toutes les origines, gens de Sheshatshit, gens Uapamekushtiku, gens de Natashquan, ?
KG : C’est à cause des animaux. Il y avait plusieurs endroits où il y avait une abondance de caribous. Également où il y a une abondance de poissons. Surtout quand l’Innu avait de la misère, quand il manquait de nourriture, même si ces endroits sont très loin d’où ils sont, l’Innu va y aller. Quand il (Innu) rencontre d’autres Innus de Pessamit, Mashteuiatsh, ce sont ces gens que Pierre Mckenzie avait rencontré. La personne connaît les lieux d’abondance de caribous et c’est pour cela qui y vont eux aussi. C’est à cet endroit qu’ils se rencontrent. Ils pouvaient en tuer et c’est là qu’ils se sont rencontrés. Il y avait toujours une belle ambiance et ils mangeaient ensemble. Il est content que l’autre Innu ait tué le caribou et c’est alors qu’ils mangent ensemble.
Aussi le lac où il y a une abondance de poissons à Kaniapishkau. Il paraît qu’il y en avait en très grande abondance de poissons. C’est à cet endroit qu’on pouvait rencontrer les gens de Mashteuiatsh, Pessamit. Les gens de Fort Chimo aussi y allaient. Cependant, les gens de Mingan n’y allaient pas.
Quand nous, nous allions à Petshissikupau, c’est là que nous rencontrons les gens de Sheshatshiu. Aussi à Patshishetshunau (aujourd’hui réservoir Churchill Falls, j’espère que je ne me trompe pas), on y allait aussi et ce sont les gens de Sheshatshit qu’on rencontrait.
AMA : C’est pour des provisions que vous alliez là ou…?
KG : Le castor valait une très grande valeur autrefois et c’est juste là que se trouvait au Patshishetshunat, Uinnukapau-shipu. Plusieurs Innus de Uashat sont allés là à cause de la valeur du castor. C’est pour cela que l’on rencontre les gens de Sheshatshit, Mingan, Natashquan.
AMA : Ça devait être juste une fois que vous êtes allés là à Patshishetshunat ?
KG : Oui, mais on y est resté plusieurs années. Ce que je raconte, c’était pendant la guerre, à peu près dans les années ’40. On y a rester plusieurs années. On rencontrait les gens de Sheshatshit, Mingan Innuat, Natashquan.
Une fois nous sommes descendus vers Sheshatshit en 49. Nous sommes restés là pendant une année. Nous ne sommes pas descendus à Uashat. Cela ne fait pas longtemps, c’était à la création de la réserve de Mani-utenam. Quand nous sommes arrivés ici (à Uashat), Mani-utenam existait déjà.
AMA : Quand vous étiez à Sheshatshit, vous deviez vivre que du caribou, du poisson ?
KG : Oui.
AMA : Aussi le phoque ?
KG : Quand nous étions à Sheshatshit, il y avait un magasin HBC. L’Innu ne s’intéressait pas du tout au phoque, l’Innu n’en mangeait pas. En tout cas, pour moi, je ne l’ai jamais goûté, je ne l’ai jamais mangé. Ils ne mangeaient que du poisson. Quand nous étions à Sheshatshit, on posait le filet, on ne mangeait que de la truite grise.
AMA : Il y avait aussi le saumon ?
KG : Oui, il y en avait. On dit que, là où sont les communautés au bord d’une rivière, à l’embouchure, c’était parce qu’il y avait du saumon. Tu vas le remarquer qu’il y a une communauté au bord d’une rivière où il y a le saumon. Les Innus cherchent des places pour y rester où il y a le saumon l’été. 12 :45
KG : C’est ce que moi j’ai connu, de ce que je me souviens. C’est de cette manière que nous vivions. Comme je te dis, le magasin on ne le verra plus jamais. Pendant les douze mois, je ne voyais pas de magasin. Pas d’hôpital. Comme l’enfant n’avait pas conscience que sa maman était enceinte et elle a accouché. Comme moi je me souviens un jeune frère ou une jeune sœur est née à l’automne. Après deux nuits, elle… je crois qu’on ne permettait pas à une femme après avoir accouché de bouger beaucoup (aujourd’hui). Ce que je me souviens, ma mère après son accouchement, après deux nuits, nous partions en voyage qui durait deux jours. (Autrefois) l’Innu était très fort à cause de son alimentation, de sa subsistance. Il était vraiment en forme.
On dirait que depuis qu’on demeure dans une maison en bois ronds, la personne tombe malade quand elle prend froid un peu. Quand elle a les pieds trempées, elle tombe malade. Quant à nous, on ne tombait jamais malade (.). Ça n’arrivait pas souvent que quelqu’un tombe malade. Ils (les adultes) aimaient beaucoup et les enfants aussi. Comme moi, j’ai toujours aimé (vivre dans le bois).
À la construction du pensionnat à Mani-utenam, on a beaucoup insisté que j’aille à l’école. Les curés avaient insisté pour que j’aille. Il y avait qu’une personne qui a parlé pour moi pour que je n’aille pas (au pensionnat), c’était mon père. Il ne voulait pas du tout que j’aille à l’école. Comme je connais très bien (la vie) en forêt, il avait peur que j’arrête (de monter dans le bois), que j’aie perdu ce goût de monter (dans le bois), et je n’y suis pas allé. Et depuis ce temps j’aime beaucoup (la vie en forêt).
Je vois aujourd’hui les jeunes suivre les deux cultures. J’en suis content pour eux. Il y a beaucoup d’enfants qui aiment aller à l’école. Il y en a aussi (qui aiment la vie) en forêt. Ils aiment les deux cultures. Et je crois que c’était un bon choix pour eux. Ils n’auront jamais de misère. Une personne qui est attirée par deux cultures ne connaitra pas de misère. Aujourd’hui l’éducation est très importante, car le jeune, il lui faudra un emploi. S’il (le jeune Innu) connaît les deux cultures, cela lui sera d’un grand secours (dans sa vie). Jamais il n’aura de problème.
C’est ce que nous vivions en forêt. Au printemps c’était agréable, car c’était l’arrivée du gibier. C’était un bon temps pour moi, et ce que j’avais aimé le plus c’était le temps de Noël.
AMA : C’était quoi les activités ?
KG : Il y avait toutes sorte de nourriture à Noël. Vois, quand nous montions à l’intérieur des terres, et ça devait être la même chose pour les autres familles, nous laissions nos provisions loin d’où nous étions, à ne plus être capables d’aller les chercher avant le gel. Le gel arrivé, quand Noël était proche, c’est alors que les gens allaient en chercher, leurs provisions qui avaient laissées (en montant). Dans leurs provisions, il y avait la farine, la graisse, le sucre. À Noël, un festin commence. Rien ne manque. Il y a le sucre, la farine, la graisse, le creton. C’était bien l`fun. Il y avait aussi la graisse de caribou. Une belle tablée pour la nuit de Noël. Le lendemain, le dimanche, on continue à festoyer. Parfois l’Innu mange trois fois. Il y avait une grande quantité, à manger de la graisse de caribou.
Comme ce sera la dernière fois que les Innus seront ensemble, ils se parlent longtemps. Celui avec qui on avait parlé longtemps, c’est lui qui viendra manger avec le groupe. À Noël. C’est ce qu’il lui avait dit (de venir) et il est venu.
Quand une famille avait beaucoup d’enfants, elle a failli manquer le temps de Noël. À cause du froid aussi. Arrivé à cet endroit (où il a été invité), on le fait entrer, c’était une grande maison (ou tente), « tu vas dormir ici, tu ne vas pas te tenter », lui a-t-on dit. Le lendemain, tout le monde se met à planter sa tente.
Il y a aussi une tente qui sera agrandie. C’est là qu’il y aura une prière dans la nuit et aussi le festin. Le plus que j’ai aimé, c’est… tu n’es pas encore levé, n’est-ce pas ? On entendait du bruit, il y avait des Innus qui tiraient du fusil. C’était une salutation, on disait (un tir pour) le prêtre, un autre tir, quelqu’un qui disait : « ça c’est pour mon oncle, ma tante». Il y avait beaucoup de tirs. C’était bien l’fun au Jour de l’An. C’est seulement (au Jour de l’An) que les Innus se donnaient des cadeaux. Quand (la personne) venait te saluer, il te dit qu’il te donne soit un sceau de graisse, un sac de farine, 2 lbs de sucre. Aussi tu peux avoir du tissu pour te fabriquer une veste. C’est ce genre de cadeaux qui se donnaient. J’ai beaucoup aimé (ce temps), je regrette que ce ne soit plus comme ça. C’était vraiment plaisant.
C’est ce que j’ai vécu dans mon enfance. C’était plaisant. Il y avait des visiteurs comme les gens de Sheshatshit. Ils étaient beaucoup et passaient Noël avec nous. C’était très plaisant et il y avait beaucoup de monde. Même chose pour le Jour de l’An, il y avait beaucoup de monde. Vraiment plaisant.
Après Noël, vers la fin du mois de janvier, dans le mois de février, le temps change. Chacun partait dans (son territoire). On restait ensemble dans le temps des Fêtes pendant un mois de temps. Parfois deux mois. Et voilà les gens qui partent (dans leur territoire respectif).
Parfois au printemps, les voilà réunis. C’était plaisant aussi à Upashkueshkau (Rivière McPhaden), près de Minaikut. Là aussi au printemps c’était très plaisant. J’oublie par exemple, je ne m’en souviens pas très bien. C’est un lieu de rencontre des Innus. Quand on descend au printemps, nous nous rendons au large, on embarque ensemble, c’est une très grande rivière, aujourd’hui Millage 301, sur le chemin de fer et on restait l’autre bord de la rive.
Il y avait des bernaches et on les chassait. Aujourd’hui il n’y en a plus. Ils ne passent pas par ici. On les chassait une journée, deux jours, on en avait tués une centaine. Un autre festin, beaucoup de nourriture et il en restait beaucoup, de la graisse de caribou. Il y a beaucoup de monde. Après avoir tout mangé, nous voilà à la descente (à la côte). Ç’a pas été long. Pas très longtemps on est rendu à Uashat. (20 :24) C’est tout de ce que je me rappelle. Avez-vous d’autres questions à me poser
AMA : Est-ce que vous étiez longtemps à Mushuau-shipit (Riv. Georges) où il y avait beaucoup de caribous ?
KG : Oui, après avoir tué des caribous. Il y avait des hommes qui partaient là (où les caribous se trouvaient) et quand il n’y en avait pas, ils allaient à une autre place. Il paraît qu’ils en ont tué une trentaine. Arrivés au campement on restait là. Quand il y avait beaucoup de monde, parfois on savait que d’autres familles n’avaient pas tué de caribous, ils n’avaient pas de chance d’en tuer. On allait les trouver et on restait avec elles. Après s’être régaler (du caribou), d’autres hommes partaient pour une autre chasse aux caribous. Ils vont chercher des caribous à d’autres places. D’autres caribous tués. De nouveau, on se rassemble.
Cette année-là, je me souviens que c’était un temps difficile, comme ce mois-ci (je crois que c’est au mois de décembre), l’autre mois, on ne pouvait pas aller chercher le caribou, car il était dans la toundra où il n’y avait pas d’arbre. On attendait qu’il fasse beau. On a attendu très longtemps. C’était vraiment un temps difficile, car il n’y avait pas d’arbre.
Aussi en hiver, les Innus allaient magasiner, chercher des munitions et du thé. Il ne fallait pas traîner beaucoup de choses, seulement (des provisions) pour un tobagan. Parfois ils vont chercher du thé à Fort Chimo, et surtout des munitions pour les utiliser au printemps ainsi que du thé et du tabac. Il ne fallait pas qui lui en manque du tabac et du thé, surtout pour les aînés, c’était très important pour eux, pour les Innus. Parfois il se rendent à Nain pour s’approvisionner, aussi à Utshimass-assit (Natuashish), Sheshatshit.
Comme moi, je suis déjà allé à Sheshatshit pour aller s’approvisionner. On est allé chercher des munitions, de la nourriture. Nous avons eu un peu de farine.
AMA : Combien de jours vous a pris pour vous approvisionner?
KG : Nous, nous sommes partis pour Meshikamau, ce n’est pas très loin de Schefferville. Il y avait 7 couchers pour s’y rendre. Pour revenir, 10 couchers. À Sheshatshit, nous restions une semaine. Nous nous installions bien comme il faut et après avoir fait nos bagages, notre équipement, nous partions en traînant notre tobagan. Le plus qu’on amène dans le bois, ce sont le tabac, le thé et les munitions. Afin qu’ils n’aient pas de misère, sa vie en dépend. S’il lui manque des munitions, il ne pourra pas chasser. Il faut bien surveiller ses munitions. Quand ils achètent du thé, ils en achètent beaucoup, car ce sont des buveurs de thé, et il leur en manquait quand même. Quand il en manquait, (les Innus) trouvaient ça très difficile. C’était leur breuvage qui leur était essentiel.
Vois mon père, il buvait du thé très très fort. Tellement qu’il aimait ça, le thé était comme en poudre pour le prendre en poignée, ce n’était pas en sachet. La dernière gorgée qu’il prenait, il prenait aussi les miettes du thé. (rire) Il aimait vraiment le thé.
AMA : Combien de boites de cartouches devait-il en avoir assez ?
KG : Ses cartouches, autrefois par exemple c’était… l’Innu n’en utilisait pas beaucoup. Il faisait très attention. Quand tu entends un Innu tirer, quand tu entends trois coups, il pourrait tuer quatre caribous. Parfois, (les Innus) en tuaient deux par un seul coup. Quand il va tirer une vingtaine de fois, tu es certain qu’il en tue une vingtaine.
Aujourd’hui, les jeunes… savent… quand il lui manque de munitions, il ne fait que se rendre au magasin. Il est sur place. Autrefois, les Innus savaient qu’ils étaient très loin, s’ils ont utilisé toute leur munition, ils n’en auront pas. (Autrefois), ils faisaient très attention à leurs munitions. Ils savaient quand et comment utiliser leur fusil. À chaque fois qu’on tirait, quand on tirait trois fois, tu sais que ce n’est pas pour rien qu’on tire des coups. Ils ne tiraient pas au hasard. Quand (les caribous) étaient loin, ils ne tirent pas dessus. Ça pouvait arriver, mais c’est seulement quand ils manquaient de nourriture, ils font ce qu’ils peuvent, et pourraient en tuer un au moins.
AMA : As-tu déjà eu connaissance de la famine ?
KG : J’ai eu connaissance une fois, mais mon père disait que ce n’était pas vraiment une grosse famine. Il disait : « Nous dans le passé, nous connaissions la famine ». C’est juste cela que j’en ai eu connaissance, mais pas très longtemps. (Pas longtemps après) les caribous avaient été tués. Après en avoir tué, ils sont allés chercher de l’approvisionnement à Nain. Certains vont à Utshimass-assit. Quand ils arrivent, ils apportent beaucoup de choses.
Une fois, assez longtemps quand même, quand ils apportaient de la nourriture, on pouvait tenir un bon bout. On peut manger, de la farine. Moi ce que j’ai beaucoup aimé des biscuits nommés « kautetakushiuti » (je ne sais pas si c’étaient des biscuits Pilot). On les trouvait à Nain et à Utshimass-assit. Les biscuits ont la forme d’un rein. Parfois ils emmenaient deux sacs, trois sacs par personne.
C’était vraiment plaisant. Nous avions vraiment aimé ça, rester dans le bois pendant une année complète, douze mois de temps, tu ne t’en aperçois même pas. C’est sûr c’était difficile quand il manquait de nourriture. Mais…
Ce que l’Innu voulait savoir, où seraient les autres familles. C’est ce qu’ils disaient : « Je serai à tel endroit cet hiver ». Il ne sera pas loin. « Si tu fais une bonne chasse, si vous tuez des caribous, vous viendrez nous voir », ils devaient se dire. Quand l’autre en tuait, on allait les trouver. Tout de suite après, d’autres personnes, surtout les jeunes qui sont en forme, partaient pour une autre chasse. On disait qu’ils avaient tué une trentaine de caribous. Les aînés sont contents de cette récolte. Ils seront corrects, surtout quand il ne fera pas froid.
Ce qui était difficile, c’est ce mois-ci et l’autre mois, cela fait trois mois, n’est-ce pas ? Pendant ce temps, il faut que la nourriture soit prête. C’est très difficile pour quelqu’un qui cherche de la nourriture parce qu’il fait froid. Quand ils ne peuvent pas tuer disons ce mois-ci, décembre, c’est dans ce temps-là que l’on cherchait le caribou. Il nous faudra se soutenir jusque vers la fin de février.
KG : Rendu au mois de mars, là on peut chasser. Le jour s’est rallongé. Il ne fait pas aussi froid.
AMA : Peut-être aussi qu’on pose des pièges, n’est-ce pas ?
KG : C’est le temps de poser des pièges dans le mois de mars. Aussi au mois de novembre. On ne pouvait chasser pour des fourrures à l’année, on ne cherchait que pour de la nourriture. C’est dans le mois de mars jusque vers le mois d’avril qu’on chassait. Chasser le renard. Aussi c’est seulement au mois de novembre qu’on pouvait chasser. Et rendu en hiver comme aujourd’hui, on est à la recherche de la nourriture pour la subsistance de l’hiver. C’est ce que je me rappelle. C’était notre façon de vivre. Tout les Innus avaient ce genre de vie.
AMA : En forêt, as-tu eu connaissance des accidents, de mortalité ?
KG : Nous avons vu plusieurs choses arrivées, c’était vraiment difficile. Moi ce que j’ai vu, ce sont des personnes dont leurs canots ont chaviré. En forêt, qu’une personne soit morte de froid, je n’ai jamais vu ça. La seule fois c’est à la descente, des personnes qui sont morts noyées. On a pu sauver une personne, l’autre on n’a pas pu. Un Innu est décédé et il avait beaucoup d’enfants. (Celui) qui était sauvé, lui aussi avait beaucoup d’enfants. Mais au moins il a été sauvé. On a à peine réussi à le sauver. Ça fait vraiment pitié de voir quelqu’un avoir un accident. Celui que nous avons sauvé, on ne voyait que sa tête à la surface de l’eau. Je voyais beaucoup d’eau entrée dans sa bouche. L’autre… Ce qui se passe, l’Innu savait très bien nager, il était No. 1 à la nage à Uashat et c’est lui qui est décédé, parce qu’il a été trop longtemps dans l’eau.
« Il voulait sauver son ami, il ne savait pas trop quoi faire. Il était là à le surveiller, il flottait sur l’eau », disait celui qui était vivant. « Je vais me rendre au rivage », a-t-il dit, « je vais débarquer de l’eau et me rendre à la maison », m’a-t-il dit. « J’ai pitié de toi, toi qui vas mourir », a-t-il dit. Et c’est lui qui est décédé, parce qu’il était longtemps dans l’eau. Il aurait dû y penser, pour débarquer. Les deux seraient en vie. On dit qu’il avait une crampe. Quelqu’un qui a une crampe, c’est comme si on jetait un roc dans l’eau et le voilà s’enfoncer direct dans l’eau. C’est ce que j’ai vu et ce n’est pas du tout agréable d’être témoin de cela.
AMA : Ce qui s’est passé, est-ce qu’on a resté longtemps à cet endroit ou on est parti tout de suite ?
KG : On est parti tout de suite. Celui qui a failli y passer dit qu’il n’aime pas rester là. C’est pourquoi on est parti tout de suite. Il a dit : « Partons en canot ». Et on est parti. C’était triste. Ce sont plutôt les enfants qui font pitié. Parce que leur papa est dans la profondeur de l’eau. Cela fait pitié mais c’est ce qu’il faut faire, (partir).
L’hiver je n’ai jamais eu connaissance que des personnes soient morts de froid ou d’avoir un accident. C’était la seule fois que j’ai vu et je suis content que je n’en ai pas vu d’autre. Mais j’ai entendu plusieurs fois que quelqu’un avait eu un accident. J’ai également entendu quelqu’un mourir de famine. Je n’ai pas vu de mes yeux par exemple.
Quand quelqu’un décédait en forêt, on transportait son corps à Ashuanipit où il y a des sépultures. Toutes les personnes décédées en hiver, on transportait les corps à cet endroit. Ce cimetière est considéré comme béni. Les missionnaires l’avaient béni pour que les personnes décédées y soient enterrées. Ça s’appelle Minishtikutaut à Ashuanipit, l’île qui se trouve dans ce lac.
C’est l’île qui a été bénie. « Vous enterrerez vos corps à cet endroit », disait-on. Le pourquoi on y dépose, à cause des animaux qui ne viennent pas y toucher. (Les Innus) y vont souvent. Mon père y est allé aussi. Il était allé installer des clôtures. Les Innus y vont souvent arranger (ce cimetière). C’est très beau. La dernière fois que j’ai vu (le cimetière) c’était bien installé. On dirait aussi qu’on a mis de la pelouse. C’est une belle pelouse. Sûrement que ce sont des Innus qui se sont occupés de la pelouse.
C’est ce qui s’est passé, c’était agréable ce temps-là. Ça m’arrive de m’ennuyer parfois de ce temps-là, des activités d’autrefois. C’était bien agréable. Moi j’ai bien aimé ça. C’était l’fun, les enfants aussi ont bien aimé. Ils aiment quand on monte dans le bois. Ils aiment la forêt, ils ont hâte d’arriver là-bas, dans leur territoire où ils étaient toujours restés. Prends, moi j’avais très hâte de monter dans le bois. C’est ce qui s’est passé que moi j’ai vécu. J’adorais être dans le bois.
Eddy : Je sais que tu me parlais que tu as travaillé au camp pour la compagnie…
KG : Ok oui, j’ai oublié de raconter.
Eddy : (…..) Réponds à ça mais en Indien.
KG : C’est vrai, j’ai vraiment oublié de raconter ça. Je regrette beaucoup quand je pense à ça.
(Un petit arrêt dans la vidéo)
AMA : Je veux d’abord te demander si on a encore le temps de rattraper ce temps, pour la transmission aux jeunes ?
KG : J’ai vraiment oublié d’en parler. Moi ce que je regrette le plus, ce que moi j’ai réalisé. La compagnie pour laquelle j’ai travaillé, je sais que ça ne m’a rien apporté dans ma vie, c’est ce que moi je pense. C’est compréhensible que pour mes enfants ça les a aidé dans leur vie, ils ont souvent eu de l’argent. Moi ce que je pense, j’aurais dû rester toujours dans le bois. Si je travaillais six mois en été, je serais resté dans le bois l’hiver. C’est ça que je regrette. Cela ne m’a pas du tout aidé. C’était sans importance.
Tout le monde était émerveillé en pensant qu’après trente ans (de travail), je vais vivre avec ça, je vais recevoir beaucoup d’argent », pensait-il. Ça ne valait rien ça. Je vais vous expliquer ce qui arrive avec ça. Quelqu’un qui avait un tel gain, comme moi, j’ai reçu presque 800$ pour avoir travailler tant de temps. Plus tard cet hiver-là, je reçois ma pension de vieillesse au même montant 800$. L’IOC a tout coupé (le montant que j’avais reçu), du gouvernement…
AMA : Tu étais au même point ?
KG : J’étais au même point. La fois que j’ai travaillé pendant une trentaine d’année, ne m’a rien rapporté. Peut-être que c’est bon pour un jeune de quarante, cinquante ans. Il voit son argent que pour quelque temps. Après soixante-cinq ans, cela n’a aucune utilité. Il a travaillé là pour rien. C’est de ça que je regrette, cela m’a empêché (de monter dans le bois), je pourrais dire. J’aurais pu enseigner aux jeunes, à mes enfants. J’aurais pu leur montrer (la vie) dans le bois. Ils connaissent, ils savent. Mes enfants connaissent (ce genre de vie dans le bois). Nous les emmenions dans le bois les fins de semaine. Nous leurs montrions toujours (la vie) en forêt, comme la nourriture traditionnelle. (C’est en venant avec nous) qu’ils aiment la nourriture traditionnelle. On aurait pu bien leur enseigner et leur montrer la vie dans le bois l’été et l’hiver.
C’était une perte (de temps) quand j’ai travaillé pour l’IOC. J’ai aimé, le pourquoi j’ai aimé, mes enfants ont vu (connu) l’argent. Pour ça, j’ai aimé. Je n’ai jamais connu le bien-être social. Je continue à dire que je regrette, j’aurais aimé mieux rester dans le bois. J’aime tellement la vie dans le bois, car c’est là que je suis né. C’est pour ça que je regrette beaucoup d’avoir travaillé pour rien. Cela n’a pas été d’une importance. L’Innu, ce n’est pas son genre de vouloir se ramasser de l’argent comme un Blanc le fait. Le Blanc travaille pour se ramasser de l’argent, fait son budget pour la semaine pour y arriver et mettre de l’argent de côté. L’Innu ne vit pas comme ça. Quand il reçoit sa paye, il distribue à ses enfants et c’est ainsi qu’il dépense son argent au jour de la paye. Pour le Blanc c’est le contraire, il ne fait pas ça.
KG : Même si son enfant à l’âge de dix-huit ans, il le lui donne, il s’en occupe toujours. Un jeune Blanc à l’âge de dix-huit ans, il doit sortir de chez ses parents. S’il ne veut pas travailler, on dit qu’il doit s’arranger. L’Innu n’agit pas comme ça. L’Innu ne s’habitue pas à ça, car il a vécu dans le bois, car ils subvenaient à leurs besoins ensemble. C’est pourquoi je dis, je regrette beaucoup, on n’aurait pas dû… il y a aussi, je dirais mon patron, mon père avec qui j’ai travaillé, il m’a dit qu’on allait travailler. Vue que l’animal n'avait plus de valeur importante. Ça ne valait pas la peine. Il m’avait dit qu’on travaillerait. Il m’avait dit que c’était un très bon endroit pour travailler, travailler pour l’IOC. C’était une compagnie très importante, riche, qu’il m’avait dit. J’ai alors été d’accord avec lui.
Autrefois, tu ne pouvais désobéir (à tes parents). Aujourd’hui ç’a beaucoup changé. Un jeune ne pouvait désobéir à son père, ni à sa mère. Il faut absolument que tu suives ses ordres. Vois quand il m’a dit qu’on travaillerait, je n’étais pas très enchanté de faire un travail de Blanc. Il fallait que je lui obéisse. Pis ça a finit que j’ai aimé (faire ce genre de travail).
Par exemple, après avoir travaillé, disons un an, on nous a donné un congé. La première fois c’était dix-huit jours, j’ai pu monter dans le bois, aller voir notre territoire de chasse. À chaque année quand nous étions en congé, je pouvais monter dans le bois pour un mois. Après cinq ans de travail, l’IOC nous donnait congé de trois mois. Je suis resté dans le bois pour les trois mois dans notre territoire pour le sauvegarder.
Depuis que je travaille pour cette compagnie, je suis allé voir notre territoire de chasse tous les ans. En vacances, je montais toujours dans le bois.
AMA : Aujourd’hui, qui va surveiller votre territoire de chasse ?
KG : L’Innu doit faire ceci, en tout cas pour moi ce que je vais faire, tout le monde doit penser comme ça, il faut que tu le cèdes à ton enfant. La même chose fera ton enfant, le donner à son enfant. Il faut toujours qu’il y ait une transmission. Notre langue maternelle, il ne faut jamais la perdre. Même chose pour nos territoires de chasse, il faut toujours les céder à nos enfants. Toute activité innue, comme la fabrication des raquettes… J’ai vu un aîné de Mamit fabriquer des raquettes, il doit déjà avoir quelqu’un qui pour la transmission et ainsi de suite. Il ne faut jamais perdre (cette tradition), il faut sauvegarder notre culture. Les jeunes étudiants aussi doivent continuer à sauvegarder la culture.
Dernièrement je suis allé à une communauté Utshimass-assit, nous sommes allés voir ces gens. Il y avait une très grosse tente d’installée, c’était en cercle. Il y avait deux enseignants aînés, les enfants se tenaient tout en cercle, occupaient tout le bord de la tente. Si tu verrais les retailles de bois amassées en tas. Les jeunes recevaient de tous les enseignements possibles comme des raquettes, des tambours, des moulures à fourrure et tout. Si nous ne commençons pas à faire ça, nous allons perdre notre culture, si le jeune n’a pas d’enseignement. L’enseignant ne fait que transmettre son savoir. De toujours continuer, ne jamais abandonner.
La même chose pour notre langue. Il faut qu’elle perdure. Comme moi, je pourrais dire que je ne parle pas le français. Je ne suis jamais allé à l’école. Mais je connais bien ma langue, langue que j’utilise depuis longtemps. Je ne peux pas converser avec un Blanc. Juste un petit peu. Pas très bien quand même, comme les autres. Comme je dis, c’est très bien pour les jeunes qui puissent faire leurs devoirs. C’est très bon, car on aura toujours besoin de ça. Pour l’enseignement que nous avons eu en forêt, cela il ne faudra jamais perdre. Aux étudiants, il faut qu’ils soient très bien instruits de toutes les matières. Il faut que ce soit ça. Le savoir de tout le monde, il faut que ça soit transmis aux jeunes, à ses enfants.
J’aimerais que les jeunes qui fréquentent l’école présentement, apprennent leur culture afin qu’ils puissent chasser plus tard, à apprendre la culture pour la préserver, notre savoir, notre culture. La pêche, la chasse aux caribous, (la vie) en forêt, faire de la raquette. Il faut toujours préserver tout ça. Il ne faut jamais perdre notre culture.
Nous ce que nous connaissons, ce que nous savons, il faut le transmettre aux jeunes afin qu’ils sachent et qu’ils le pratiquent. Cela doit être ainsi. Se mettre au travail afin de préserver tout notre savoir, notre culture, nos pratiques. Je me promène un peu partout dans les communautés, il y a partout des enseignants, qui enseignent aux jeunes (comment fabriquer) des raquettes, tout, des tambours. Il y a des enseignants partout. C’est bon ça. C’est une bonne pratique, afin que le savoir de l’Innu ne disparaisse pas.
AMA : Que penses-tu de nos petits-enfants qui parlent l’innu-aimun et le français en même temps. Il y en a qui parlent déjà l’anglais et l’innu-aimun ? Comment pouvons-nous aller de l’avant avec ça ?
KG : Moi je dis qu’il faut qu’ils aient nos cartes innues. Il faut les enseigner. Il y en a qui sont vraiment des connaisseurs même ceux qui ne parlent pas l’innu-aimun. Ils suivent ce qui se passe dans les communautés quand même. Quand ils reçoivent ou quand ils ont leurs cartes innues, c’est dans ce temps-là qu’ils cherchent à beaucoup comprendre de la culture innue en forêt. Ils sont très intelligents, on ne pourra pas les mettre de côté. On ne pourra pas leur dire : « Tu n’es pas un Innu, ta mère est une Blanche, un Blanc ». Il ne faut jamais leur dire ça. Il faut faire attention, car c’est quand même une richesse… On va toujours les avoir ces personnes-là, car aujourd’hui ils vivent ensemble les Innus et les Blancs. Il faut aussi leur apprendre… comme ce que nous faisons pour nos enfants, il faut agir aussi de la même manière avec eux.
Par exemple, il y a un jeune ici dans le bois où nous sommes, je suis fier de lui, de le voir combien il travaille fort. Il connaît tout. C’est un jeune innu, son grand-père devait lui montrer pour connaître tout (de la culture innue). Il connaît vraiment tout.
C’est toute un beauté de le voir en activité innue, sa connaissance (de la vie en forêt). Avec les raquettes, il est très habile à marcher avec dans le bois. Vois aujourd’hui, il est parti chasser la perdrix. À mon avis, il ne sera pas mis de côté. Tout le monde aura ce genre de jeune. Il y en a déjà beaucoup. Pourquoi les mettre de côté. Ils aiment eux aussi d’être dans la communauté.
AMA : Je parle des jeunes innus, ceux qui parlent l’innu-aimun et le français, comment on pourrait les rejoindre pour qu’ils parlent seulement l’innu-aimun ?
KG : Il va falloir absolument leur apprendre…
AMA : Ce sont les parents à prendre leur place pour leur enseigner, n’est-ce pas ?
KG : Il faut demander aux parents s’ils vont aimer que leurs enfants apprennent l’innu-aimun, qu’on leur parle en innu-aimun. J’en vois moi aussi des enfants qui ne parlent pas l’innu-aimun. Je ne sais vraiment pas moi aussi. Vois, nous avons nos petits-enfants dont leur père vient du Village Huron. Ces gens-là ne parlent pas leur langue maternelle à Québec. Depuis qu’ils sont avec nous, on leur parle en innu-aimun. Aujourd’hui tous, ils sont vraiment capables de parler l’innu-aimun. Ils parlent comme nous autres nous parlons. Ce n’est pas difficile pour l’enfant d’apprendre une langue. Pourvu que le parent dise : « Il faut que tu parles l’innu-aimun ». Dans pas long, ils réussiront à acquérir leur langue innue.
C’est comme ça par exemple, si on ne leur apprend pas la langue, quand ils auront des enfants avec des Blancs, c’est sûr que l’enfant de parlera pas du tout la langue innue. Si nous voulons garder l’innu-aimun, il faut absolument leur apprendre la langue innue. La même chose pour les descendants qui auront des enfants, à leur apprendre la langue innue. Si vraiment nous voulons garder notre langue innue, notre culture.
Ce qui va arriver, on voit que plusieurs de nos aînés sont partis, ceux qui nous ont enseignés. C’est pourquoi je dis qu’aujourd’hui qu’il nous faut perpétuer (notre culture), ceux de notre génération, pour enseigner à nos jeunes innus. Il faut continuer à transmettre notre culture. Nos vrais connaisseurs innus (de la culture) sont presque tous partis. Comme moi, mon père est décédé. Cela fait trois ans. Il faut que je garde tout ce qu’il m’a enseigné, sa langue maternelle, son savoir, ses activités traditionnelles. Ce qu’il a montré aux jeunes. Il faut que je garde tout ça pour transmettre cela aux jeunes. Si je meurs, qu’il y ait déjà quelqu’un pour poursuivre (ce chemin du savoir).
Nous, nous avons une pourvoirie, ce n’est vraiment pas pour nous autres, nous l’agrandissons. Aujourd’hui nous pourrons accueillir vingt-quatre personnes. Ce n’est pas pour nous autres, moi et ma femme avançons déjà en âge. Ce n’est pas pour nous, le pourquoi que nous travaillons très fort (sur ce projet). Je m’en fous de l’argent.
KG : … quand ils auront des enfants, ils seront des purs Blancs. Ça va vraiment être difficile de leur parler en innu. N’est-ce pas ?
AMA : Oui. Une grosse perte dans la mémoire.
KG : On ne pourra jamais les arrêter les jeunes qui parlent les deux langues. Ils ne pourront jamais changer. C’est la langue… n’est-ce pas ?
AMA : Oui.
KG : Si on ne s’occupe pas de ceux qui ne parlent pas l’innu-aimun maintenant, quand ils auront des enfants, on ne pourra rien faire, ce seront de pur Blanc. Ça va déjà être rendu très loin.
Eddy : Ton plus beau souvenir de chasseur de caribous.
KG : La fois que j’ai été heureux c’est quand mon père a tué des caribous, on manquait de nourriture, il avait tué dix-huit caribous. Cela je vais m’en rappeler tout le temps. On avait presque manqué de nourriture. Un, deux jours seraient passé et c’est là qu’on aurait connu la famine. Quant il a tué dix-huit caribous, c’est cette fois-là que j’ai été le plus heureux dont je me souvienne. J’y pense très très souvent. C’est dans ma mémoire. Deux jours plus tard, je me demande ce qui serait passé, c’est à ça que je pense des fois.
Si vous avez d’autres questions. Moi il me semble que j’ai tout dit ce que j’avais à dire. Si vous avez d’autres questions, je suis prêt à vous en parler de ce que je me souvienne. J’aimais beaucoup écouter les gens dans le temps des magasins. Mais il n’y a plus de ces gens qui auraient pu en parler. J’ai pu apprendre des autres gens qui en ont parlé. Les histoires peuvent venir de n’importe où.
AMA : Il n’y a pas une histoire du magasin de Petshissikupat ?
KG : Certain qu’il y a une histoire sur ça, J’ai toujours entendu mon grand-père en parler. Il paraît que ça venait de Sheshatshit, les gros bateaux se rendaient jusqu’à Upatshishetshunat. C’est de là qu’on utilisait des petits bateaux. En hiver c’était en traîneaux tirés par des chiens jusque vers Petshissikupat. Tout l’été, les Innus étaient là n’est-ce pas ? L’été, pour fabriquer des canots, ils descendaient à Mishta-shipit. Ils s’en retournaient de Uinipeku-paushtiku. Ils allaient chercher des écorces de bouleaux pour fabriquer des canots. Ça leur prenait trois semaines de voyage pour trois jours de travail là-bas. Ils les avaient mis en paquet comme en ballot. Ils les ont embarqués pour les emmener à Petshissikupat. C’est l’été que l’on fabriquait des canots. Ils vont très loin pour chercher des écorces de bouleaux. C’est ce que racontaient les aînés.
Vois (le lac) Kanishtutamupan, pas loin de Petshissikupat. Il paraît que c’est là qui demeurait celui dénommé Kanishtutamupan. C’est un Anglais, un contremaître ou un agent. Il devait être deux. Celui dénommé Kanishtutamupan, il arrivait à comprendre l’innu-aimun, d’où vient son surnom. Il se rendait là en traîneau tiré par des chiens. Napessiss (Joseph André de Schefferville) m’a montré l’endroit où vivait Kanishtutamupan (feu celui qui comprend). Il dit c’est ce qu’on racontait, il ne l’a pas vu lui-même. Le magasin je le vois en photo. Quand j’ai vu la photo, ça faisait déjà soixante ans qu’il était fermé. Le toit était défoncé. L’entrepôt était à part. Un autre bâtiment, ça c’était pour les cercueils. C’est là qu’on devait déposer les corps. Je vois la photo et j’ai vu où il était situé. Tu devais voir toi aussi (s’adressant à Anne-Marie André).
AMA :Oui.
KG : Les aînés m’ont montré l’endroit où était situé le magasin. Et l’on déménagé à Fort Mckenzie, Kanitshishekakamau. Les gens de Fort Chimo l’été faisaient de la livraison. On utilise toujours les gros bateaux. Les autres magasins, je ne m’en souviens plus. Il y en avait un à la charge de Minaikut. Le marchand était Bastien Mckenzie. Un autre à la décharge de Ashuanipi, le marchand était Comiss, Napetshiss (Côme Pinette), tu dois le connaître (s’adressant à Anne-Marie). C’est lui qui avait la charge de ce magasin. Il y avait un autre magasin aussi à Meshikamat, Pashteu-(.). Mon père me l’a montré où il était situé. On voit le vestige de ce magasin, on voit le bois comment c’était installé. C’est une histoire très ancienne, ça doit faire une cinquantaine d’années. Aujourd’hui il est sous l’eau après avoir inondé Petshissikupat. C’est de ce que je me souviens et ce que l’on a raconté. Ce que nous disons quand nous regardons le site, l’emplacement a été bien choisi. C’est un beau lac. Il y a l’animal, le poisson. Un bon poisson. On le pêche très souvent. La même chose pour la perdrix. Quand il n’y en n’a pas beaucoup, on pouvait quand même en avoir à Petshissikupat.
À Pakuanipanan, (le lac) Shamanipan, Y paraît, c’était un dénommé Jean-Marie qui a découvert (ce lac) où il posera le filet. C’étaient les activités des Innus en hiver. Ils chassaient les perdrix, ils en ramassaient et les vendaient (au gérant) du magasin. Quand ils attrapaient des appâts, ils les vendaient au marchand. En échange, ils recevaient de la nourriture, la farine.
Quand les Innus venaient et qu’ils manquaient de nourriture, le marchand leur donnait les poissons pris et les appâts. (Le marchand) avait ramassé beaucoup d’appâts, beaucoup de perdrix et il en donnait aux Innus qui venaient et qui manquaient de nourriture jusqu’à épuisement.
Parfois mon grand-père disait que quand il lui manquait de provisions, la farine. Alors on partait pour aller s’approvisionner à Sheshatshit et ramener tout ça dans le bois. L’été en canot et l’hiver par des traîneaux à chiens pour transporter de la nourriture. C’est ce que racontaient les aînés. Les Innus qui se rapellent de ces magasins n’y sont plus. Ce sont seulement des histoires qu’on a entendues, mais pas de très loin quand même.

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Gabriel, Kanikuen (interviewé), André, Anne-Marie (intervieweur), and Malenfant, Eddy (cinéaste), “Gabriel, Kanikuen,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed September 23, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/339.

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