Grégoire, Rose

Title

Grégoire, Rose

Subject

Sheshatshiu; maison femme violentée; service sociaux Terre-Neuve; intervention; cercle de guérison; discrimination; diabète; médecine traditionnelle

Description

etat de la santé à sheshatshiu

Creator

Grégoire, Rose (interviewé)
St-Onge, Evelyne (intervieweur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Production Manitu inc.

Publisher

Production Manitu inc.

Date

2000

Rights

Production Manitu inc.

Language

Innu

Coverage

Entretien à Sheshatshiu

Type

vidéo | video

Format

Mp4 21 min. 30 s.

Original Format

vidéo | video

Transcription

Evelyne: Kuei Rose, Tu es née à quel endroit?

Rose: Je crois que je suis née ne forêt, je ne suis pas certaine mais je crois c’est aux environs du Grand-Lac.

Evelyne: Pendant que tes parents étaient en campement en forêt?

Rose: Ils étaient surement toujours en forêt.

0:21 Evelyne: C’est à Sheshatshiu (North West River) que tu as grandi?

Rose: Oui!

Evelyne: T’es-tu déjà marié?

Rose: Non, mais j’ai 4 enfants et 2 petits-enfants.

Evelyne: Tes enfants sont déjà grands ?

Rose: Oui, mes enfants sont grands.

Evelyne: Que fais-tu présentement à Sheshatshiu, en quoi consiste ton travail ?

0:48 Rose: J’habite à la maison des femmes violentées, c’est à cet endroit que je travaille. Avant de travailler là, j’ai travaillé pour les Services sociaux pendant 13 ans. Les deux premières années, j’occupais un poste dans le département de l’allocation de l’aide sociale pour les gens n’ayant aucun revenu. Ensuite on m’a donné un poste dans le secteur des soins à domicile. Je devais rendre visite aux aînés, les aider ou bien… les enfants. Je n’ai pas travaillé longtemps dans ce secteur avant d’être transféré à la protection de la jeunesse.
J’ai travaillé longtemps dans ce domaine mais j’avais beaucoup de difficultés. Parfois lorsque je voyais que quelque chose n’allait pas bien aux Services sociaux, je me rendais au Conseil de bande pour leur demander de m’aider par rapport à mon travail.

2:13 Il est parfois difficile de travailler dans sa communauté, surtout lorsqu’un jeune te témoigne qu’il a été mal traité et abusé par une personne, et parfois même par un aîné. C’est à ce moment que je trouve cela difficile, je me pose la question comment je vais agir.

2:36 Evelyne: Tu vas voir le Conseil de bande lorsque tu rencontres des difficultés?

Rose: Oui, je vais souvent les voir. Dans notre bureau, nous avons un livre de procédures à suivre. Lui qui me gère est basé à Terre-Neuve et il ne sait pas ce que les Innus vivent, il ne les voit pas et ne les connais pas. Moi je connais très bien mon peuple. Sa façon de vouloir faire avec les jeunes et les mères n’est pas bonne, cela ne fonctionne pas chez les Innus.

3:17 Evelyne: Est-ce que le protocole du système est suivi, ou celui des Innus?

Rose: Lorsque tu travailles pour les Services sociaux tu dois le suivre le système, toutefois j’y mets beaucoup d’effort et parfois je dévie le système sans approbation. Lorsque j’ai quitté mon emploi, je l’ai verbalisé.

Lorsqu’on m’a donné cet emploi, mes tâches étaient d’aller chez les gens, d’aller laver les planchers, d’accompagner les mères à l’épicerie et de choisir ce qu’elles devaient acheter. Je n’étais pas d’accord et je refusais. Parfois, je rendais visite à un aîné et je lui tenais compagnie et je jasais avec lui afin qu’il se désennuie. Je n’allais pas entrer dans la maison d’un aîné ou d’une aînée et prendre un balai ou une vadrouille et commencer à faire leur plancher, qu’est-ce que l’aîné penserait ? Il croirait qu’il n’est pas important car un Innu est autonome très longtemps et il n’aime pas à ce que quelqu’un d’autre fasse le travail pour lui car il croit qu’on ne l’aime pas.

4:23 Je suis allé au bureau-chef à St-Johns et je leur ai dit que je refusais et je leur disais la raison pourquoi. Lorsqu’on me disait d’aller magasiner l’épicerie avec une mère, je leur ai dit que je ne choisirai pas son épicerie et que j’allais l’accompagner et l’aider au cas que les enfants essaieraient de profiter de son argent. Parfois les jeunes veulent s’acheter des objets de marque tels que des souliers qui coutent très cher, ce qui risque de manquer d’argent pour l’épicerie. C’est à ce moment que j’interviens. Je ne peux pas lui dire quoi acheter lorsqu’elle fait son épicerie car elle seule sait ce que ses enfants mangent, elle les nourrit déjà depuis plusieurs années. C’est ce que je disais aux dirigeants des Services sociaux, que j’accompagnerai la mère et que j’interviendrai seulement lorsque la mère aurait des difficultés.

5:21 Rose: J’ai appris plusieurs choses depuis que je travaille pour les Services sociaux, j’ai suivi des formations. Il nous a été ordonné de dénoncer une personne qui maltraitait un enfant, sinon nous allions en justice. J’ai suivi les règles et je l’ai fait plusieurs fois. C’était problématique car les membres de la famille de la communauté entraient dans les maisons afin de soutenir les parents.
Il n’y a jamais eu d’altercations ni de propos injurieux à mon égard. Aujourd’hui je connais très bien le système. Ils ont forcé pour une entente sur un cercle de guérison, et cela fonctionne aujourd’hui. Le juge, l’agresseur et le jeune se rencontrent autour de la table et concluent un règlement ensemble. Dans le passé, aussitôt qu’un homme battait sa femme, ou lorsqu’une personne faisait quelque chose de mal, il allait directement en prison. Cela n’est vraiment pas bon. L’homme ou la femme se fait incarcérer et durant tout ce temps, cette personne commence à réfléchir sans arrêt. Plus il réfléchit, plus que sa colère augmente et à sa sortie de prison, il ne se préoccupe pas de ce qu’il fait car il a déjà été puni pour son crime.

6:49 Evelyne: Tu mentionnes une rencontre autour de la table (cercle de guérison), est-ce que c’est à la demande de l’Innu ?, c’est de cette manière qu’il veut procéder?

Rose: Nos Innus ont entendus parler de cette démarche qui provenait d’ailleurs chez d’autres communautés. Ils sont donc allés voir dans ces communautés pour avoir plus d’informations. Ils ont conclu que cela fonctionnait et ils ont opté de fonctionner de cette façon.

7:13 Je continue à me présenter au tribunal lorsqu’on me demande. Je ne défends pas seulement l’enfant ou la mère, je défends également l’homme. L’homme est très important aussi. Si tu n’accordes jamais d’aide à l’homme et que tu continues a le détester, il ne cherchera jamais à s’aider en croyant qu’il n’est pas aimé et qu’il ne servira jamais à rien. Il faut toujours aider l’homme, et il faut accorder beaucoup plus d’aide à lui car il en a besoin. C’est pour cette raison que je mentionne que je connais beaucoup le système et qu’aujourd’hui je comprends davantage.

7:44 Aujourd’hui à North West River, il y a encore des femmes qui veulent poursuivre en justice ceux qui les ont blessées car ces femmes ont mal. Elles ont été traumatisées soudainement, et elles sont frustrées. Elles prennent les moyens de faire incarcérer les violents. Ce n’est pas le bon moyen. Le bon moyen, c’est « le cercle de guérison ». C’est quand l’homme ou la femme a le privilège de demander un soutien pour régler petit à petit le cas. Cela fait environs 5 mois que j’ai assisté au cercle.

Evelyne: Est-ce la première fois que ça prend lieu?

Rose: Non, cela existe depuis quelque temps.

Evelyne: La personne violente ne commet pas de crime suite à son (procès)?

Rose: Non ce n’est pas ce que je dis. C’est un nouveau processus, nous sommes en mode d’apprentissage. J’aimerais que le gouvernement accorde des fonds afin que les employés puissent profiter de cette subvention pour se perfectionner dans le but d’aider ceux ou celles qui sont agressés et aider les agresseurs aussi. L’homme a peut-être subi les mêmes agressions dans le passé. C’est de là que provient le problème.

9:03 À Sheshatshiu, quel sont les infractions, la violence conjugale? Quel sont les plus grands délits?

Rose: Je crois qu’il y a deux côtés. La femme est violentée mais elle se relève tranquillement. Elles ont encore très peur d’en parler car elles ont peur des familles proches de leur agresseur. S’il pouvait y avoir des colloques afin que les gens puissent comprendre les raisons de ces agressions, je crois que cela pourrait s’améliorer tranquillement. Je ne dis pas que tout est bien depuis les cercles de guérison, toutefois on avance tranquillement.

9:58 Evelyne: Est-ce que le peuple aiment cette façon de procéder?

Rose: Il y en a quelques-uns qui aiment cela, et il y a encore certaines personnes qui vont directement au tribunal car certains ne comprennent pas encore. J’ai souvent été agressé, de mon jeune âge jusqu’à l’âge d’environs 19 ans. C’était un chauffeur de taxi, un Anglais que j’ai poursuivie en cours. Nous avons été jusqu’à la cour suprême, où il y a douze membres du jury.
J’ai de la difficulté à croire qu’un anglais puisse se prendre en main. Je serais plus osé d’être assise en face d’un Innu et de lui parler. Pas ce chauffeur de taxi. Je l’ai poursuivie en justice pour quelque chose qui s’est passé il y a très longtemps lorsque j’avais environs 18 ans, il m’avait agressé. S’il n’avait pas été un Anglais, je n’aurais pas eu à le poursuivre en justice car si je lui aurait proposé de s’asseoir et discuter des gestes qu’il a commis envers moi, il n’aurait jamais accepté. Il plaidait que j’avais menti, toutefois le juge a cru à ma version. Le juge lui a accusé de trois charges d’agressions. Dans la communauté, nous avons encore beaucoup des cas d’abus sexuels, des agressions sexuelles ainsi que la violence physique et psychologique envers les femmes.

12:06 Les femmes marchent tranquillement et retournent dans la même routine. Je crois que la raison pourquoi elles retournent est due à la honte qu’elles ressentent, et le fait qu’elles ont peur des membres de la famille de leur conjoint. Elles ne comprennent pas encore qu’elles peuvent régler leur cas dans le cercle de guérison ou bien de s’asseoir en face de son conjoint pour qu’elle puisse être bien dans son corps.

Evelyne: Est-ce que les Innus se sentent bien?

Rose: C’est très difficile de se sentir bien dans les communautés car la minute que quelqu’un a quelque chose de bien ou un peu d’argent ,tout le monde lui saute dessus. Un Anglais ou un allochtone qui a son propre magasin n’est pas traité de la même façon. Cet anglais possède son magasin ici à Sheshatshiu, il habite ici depuis très longtemps, Blake. Je n’ai jamais entendu un Innu faire un commentaire à son égard, il se fait beaucoup d’argent. Tandis que si l’Innu avait son propre magasin, il rencontrerait beaucoup de difficultés. C’est pour cette raison qu’il y a beaucoup de haine, et que nous n’allons pas très bien.

13:31 Rose: Hier lors des discours des Chefs, cela m’a plus fait mal au cœur car ils ne parlent que pour le paraître, seulement pour faire plaisir aux gens. Leurs paroles ne proviennent pas de leur cœur, ils choisissent le bon moment de parler durant les activités communautaires et ils savent que les gens sont heureux. Je ne crois pas à leurs discours.

14:09 Quelles sont les maladies les plus courantes à Sheshatshiu? Les maladies cardiovasculaires, diabète ?

Rose: Je connais beaucoup qui sont diabétiques mais aujourd’hui il semble avoir plusieurs autres sortes de maladies. Beaucoup de maladies cardiovasculaires, de cancer, de maladies transmises sexuellement chez les jeunes. La cause d’après moi est le manque d’activités physique.
Je me souviens en partie de mon passé en forêt avec mes parents. Ils ne restaient jamais en place, ils n’avaient jamais assez de temps. C’est seulement au coucher du soleil que la porte se fermait pour aller se reposer pour la nuit. Aujourd’hui nous vivons très aisément, nous avons de l’eau courante, nous possédons plusieurs choses mais en même temps cela nous détruit. Nous avons des dettes et cela nous fait mal psychologiquement tandis qu’eux n’avaient pas de dettes pour se procurer des choses. Je regarde aujourd’hui mes petits-enfants, un de 4 ans et un de 3 ans, ma fille achète ce que je n’ai jamais eu dans ma jeunesse. Elle achetait un costume de bain qui lui a couté 38$. J’aurais voulu lui dire de ne pas lui acheté, que c’était trop dispendieux, c’était trop tard, elle l’avait déjà payé. Ma fille était triste et semblait être fâché disant que le costume de bain lui avait couté cher. Je ne pouvais lui demander pourquoi elle l’avait acheté car je veux qu’elle comprenne par elle-même, pour qu’elle puisse réfléchir. Je ne la réprimande pas, je ne fais que l’écouter.

16:10 Rose: Un personne à parfois de la misère à dire non. Lorsque qu’une personne te demande telle chose et que tu lui donne, en entrant à la maison tu ne te sens pas bien, tu es triste. Tu décides alors d’en parler avec ton époux et c’est à ce moment que les problèmes surviennent.
Je ne sais pas comment ça se passait autrefois en forêt, lorsqu’on accueil des gens dans notre demeure. Il y a des mécontentements, les enfants ne s’entendent pas, il n’y a pas assez de nourriture, le parent n’a pas acheté suffisamment de nourriture, c’est encore à ce moment que débute les chicanes et la haine entre chacun se fait sentir.

16:57 Evelyne: Aujourd’hui lorsqu’on tombe malade, nous allons consulter un médecin et nous prescrit des médicaments. Est-ce que les Innus se servent encore des remèdes traditionnels ?

Rose: J’en connait plusieurs qui s’en servent encore. Je crois qu’Élisabeth pourrais vous en parler d’avantage car je sais qu’elle se sert toujours des remèdes traditionnels. Elle part souvent en avion pour aller s’en procurer en forêt. Elle en ramasse, en donnes aux autres à ceux qui ne peuvent aller s’en chercher. Cela rend une personne heureuse lorsqu’elle reçoit des choses. Je ne peux vous parler de la vie en forêt car je n’y m’y connais pas trop. Je ne voudrais pas vous mentir.

17:47 Evelyne: Ceux que tu connais qui se servent des remèdes traditionnels dans la communauté!?

Rose: Beaucoup d’aînés s’en servent encore. Les jeunes y croiraient tranquillement si on leur en parlait. Lorsque tu prends le temps de parler à un jeune, il te respectera. Un jeune ne demande que de se faire respecter et se faire écouter.

18:26 Evelyne: La culture est-elle en perte aujourd’hui ?

Rose: Oui, nous en perdons beaucoup, et j’ai remarqué que c’est votre cas aussi.
Je regarde mes petits-enfants et aucuns d’eux ne parlent la langue Innue. S’ils apprenaient la langue avec d’autres jeunes, ils ne tarderaient pas à apprendre. Mes enfants commencent présentement à apprendre à leurs enfants.
Je crois que la perte de notre langue ainsi que de notre culture est quelque chose qui nous nuit fortement. Avec toute ma culture que j’ai perdue, il m’arrive parfois de me sentir nulle. Je vire en rond ne sachant pas vers où aller. Souvent lorsque nous sommes dans une tente, je demande aux ainées, à ma soeur ou à une amie, ce que je dois faire en entrant dans la tente.
À quelle heure je vais manger ? Qu’est-ce que je dois faire par après ? Dois-je me laver le visage ? Est-ce que je dois serrer les couvertures ? C’est comme si je n’étais pas intelligente et je manque de confiance en moi-même. J’essaie quand même d’être forte dans mes pensées car je sais que je possède d’autre connaissances et que j’ai beaucoup d’acquis. Je ne me fais pas confiance dans la culture innue car je ne m’y connais pas. Elisabeth a beaucoup d’acquis, mais elle en a moins dans les sujets que je connais. Je me place dans deux côtés différents. J’aimerais que tous les jeunes finissent leurs études, qu’ils soient fier de leur vie. Moi, je crois qu’il serait profitable pour leur développement mental, ça serait une aide favorable pour leur bien.

20:23 Evelyne: Quelle message aurais-tu à donner aux jeunes ?

Rose: Mon message serait de leur dire qu’aujourd’hui il est difficile de marcher tel que c’était auparavant mais qu’il faudrait toutefois qu’ils s’accrochent à la culture de leurs grands-parents car ils ont vécus beaucoup de misère en les élevant et que c’est grâce aux grands-parents que ces jeunes existent aujourd’hui. De ne pas avoir honte de notre culture. Dans le passé tu ne voyais pas un Innu en état d’ébriété, de flâner en public, de tomber n’importe où. Aujourd’hui nous sommes rendus à ce point car nous avons perdu notre identité, ces jeunes doivent écouter les conseils des autres car nous sommes riches à notre façon et nous avons des grandes valeurs, il faut simplement les suivre !


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Citation

Grégoire, Rose (interviewé), St-Onge, Evelyne (intervieweur), and Malenfant, Eddy (cinéaste), “Grégoire, Rose,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, accessed November 24, 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/344.

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