Récit de la légende Tshakapesh par Charles Api Bellefleur

Titre

Récit de la légende Tshakapesh par Charles Api Bellefleur

Sujet

légende; rêve; héros; création du monde; origine de la vie; spiritualité

Description

Dans la culture innue, beaucoup de légendes ont réussi à franchir le temps et se retrouvent, encore aujourd’hui, très présentes. Certaines remontent même aux dernières glaciations. C’est le cas de l’histoire de Tshakapesh, une colligation de poésie orale essentiellement axée sur la spiritualité, qui nous présente l’époque où les humains et les animaux partageaient vraiment tout, incluant le mystérieux monde du rêve. Dans cette légende riche en rebondissements, Tshakapesh est le héros à l’origine de la création du monde. Mais c’est aussi un modèle à suivre : il nous enseigne qu'à force de courage, de travail et de persévérance, on parvient toujours à vaincre les difficultés.

Créateur

Bellefleur, Charles Api (narrateur)
Malenfant, Eddy (cinéaste)

Source

Bellefleur, Pelashe (Production Manitu inc. )

Éditeur

Production Manitu inc.

Date

2000

Droits

Production Manitu inc.

Relation

Langue

Innu

Type

audio

Format

Mp4 36 min 37 s

Original Format

parole (audio) | spoken (audio)

Transcription

L’homme dit à sa femme « Viens avec moi chercher de l’écorce de bouleau. »
Ils se rendirent près d’une falaise dont les versants étaient boisés. Ils y croisèrent différentes espèces végétales dont du bouleau.
C’est là qu’ils firent la rencontre de Katshituashku, qui les tua.
Ces gens avaient une fille qui, ayant perdu ses parents, se mit à leur recherche.
Elle aperçut l’endroit où ils avaient été tués par Katshituashku.
Il ne lui restait que son frère cadet. Minuscule, il était enfermé dans l’utérus de sa mère.
Katshituashku, de ses dents, avait détaché de la femme son utérus qu’il n’avait pas mangé.
La fille rapporta son jeune frère au camp et le déposa dans un pot de bois auquel elle fit un couvercle d’écorce de bouleau.
Un peu plus tard, le bébé repoussa soudain le couvercle. Puis, tout d’un coup il s’assit.
Ayant commencé à jouer, il demanda à sa sœur : « Fais-moi un arc et des flèches. »
Elle lui fabriqua un tout petit arc, et il sortit jouer. Son arc se brisa et elle lui en fabriqua un plus gros. Ainsi fit-elle chaque fois qu’il brisait son arc. Si bien qu’elle finit par lui en fabriquer un d’un arbre entier.
Le jeune frère grandissait . Il pensa soudain : « Nous sommes sans parents, nous n’avons ni père ni mère. » Il s’approcha de sa sœur aînée et lui demanda : « Sœur, pourquoi n’avons-nous pas de parents? Pourquoi n’y a-t-il que nous deux et comment se fait-il que notre père et notre mère ne soient pas là? »
Elle répondit : « Comment pourraient-ils être ici puisqu’ils ont été tués par Katshituashku alors qu’ils détachaient l’écorce des bouleaux? C’est moi qui t’ai recueilli. Tu avais été abandonné dans l’utérus, seule chose que Katshituashku n’avait pas mangée. »
« Oui » dit-il.
Et il partit chasser demandant à sa sœur : « Sœur, où est ce Katshituashku ? »
« Ne va pas à sa recherche, sur la colline, près de la falaise où il se tient, lui dit-elle, tu n’en viendrais jamais à bout. »
« C’en est assez, ma sœur, lui dit-il, tu m’effraies! »
Et tout en lançant ses flèches il se dit : « Ma sœur me dit que Katshituashku va me tuer : je n’en crois rien. » Sa sœur l’ayant enjoint de ne pas aller vers Katshituashku, il lui dit : 
« Je vais prendre une autre direction, ma sœur. »
Et il s’éloigna, allant du côté opposé à l’endroit où se trouvait Katshituashku. Ayant échappé à la vue de sa sœur, il rebroussa chemin, se mettant à la recherche de Katshituashku.
Il se rendit au versant de la colline et continua en montant. Il n’était pas encore bien grand. 
Puis il se mit à suivre les pistes de l’ours, allant droit au travers des nombreuses empreintes laissées. Puis, le bois s’épaississant, toutes les pistes convergèrent en une seule dans laquelle il s’engagea.
Ayant atteint le versant de la colline, il se mit à chanter :
Ka-tshi-tu-ashku
na-two-ni-tshiau
no-taw-ka nipeikut
mak na-kau
C’est ainsi qu’il chanta. Katshituashku l’entendit et dit : « Ah! Ah! Mon laissé-pour-compte s’en vient! »
Et il ajouta à l’intention de l’ours noir : « Va le rencontrer. En t’apercevant, il tombera raide mort! » L’ours noir se leva et partit à la rencontre de Tshakapesh.
Celui-ci l’entendant venir se dit : « Ce n’est pas lui. » L’ours noir sortit du bois et demanda : « Que veux-tu? »
« Je cherche Katshituashku, celui qui a tué mon père et ma mère. Ce n’est pas toi que je veux rencontrer et surveille-toi sinon tu verras ce que je peux te faire! Va-t-en chez toi » dit Tshakapesh à l’ours noir.
« À toi Matash, dirent les ours, va le rencontrer. À ton air dangereux, il tombera raide mort! »
Matashau se leva donc et Tshakapesh l’entendant venir se dit en lui-même : « Ce n’est pas celui que je veux. »
À son tour, Matashau sortit du bois et demanda : « Que veux-tu? »
« Retourne chez toi, lui dit Tshakapesh. C’est Katshituashku, celui qui a tué mon père et ma mère, que je veux rencontrer. »
Et Tshakapesh s’adressant aux ours dit : « Prenez garde, car vous verrez ce que je peux vous faire! »
Quand Matashau s’en retourna chez lui, il dit : « Il m’a dit la même chose qu’aux autres. »
Katshituashku dit alors : « Il me met en colère. Il tombera raide mort en me voyant! »
Tshakapesh entendant Katshituashku venir se dit : « C’est sans doute lui qui s’en vient » et il dévala la colline allant enterrer son arc et ses flèches. « C’est certainement ici, au bas de la colline qu’il va me projeter avec son museau quand il m’aura senti » pensa Tshakapesh.
Katshituashku sortit alors du bois.
Tshakapesh était allongé dans le sentier de Katshituashku et faisait le mort. « Est-ce là celui qui veut rencontrer Katshituashku? » dit Katshituashku qui pensa alors : « En m’entendant venir, il est tombé raide mort. »
Et il se mit à donner des coups de pattes à Tshakapesh. « Je souhaite qu’avec son museau, il me lance au bas de la colline » pensa Tshakapesh. Katshituashku le lança alors tout près de son arc et alla rejoindre Tshakapesh qui renouvela son souhait :
« J’espère qu’il me lancera encore une fois » pensa-t-il. Alors Katshituashku recommença à le frapper. Et Tshakapesh se sentant chatouiller sous les bras, se mit presque à rire et Katshituashku le lança juste là où était son arc.
Il sauta alors sur ses pieds, manquant de faire fuir Katshituashku et attrapa son arc.
Katshituashku demanda alors « Que veux-tu? »
« Je cherche Katshituashku, celui qui a tué mon père et ma mère, c’est celui que je veux rencontrer » répondit Tshakapesh.
« Tu ne pourras jamais le tuer, il est très difficile à tuer » dit Katshituashku.
« C’est difficile comme quoi? » demanda Tshakapesh.
« Comme ce mélèze planté là. Voilà à quel point c’est difficile. »
« Ton père a été tué par Katshituashku… vise ce mélèze » dit Katshituashku.
Et Tshakapesh visa le mélèze, le faisant éclater en morceaux. Il manqua de faire fuir Katshituashku. « Ce n’est pas difficile comme ça, comment est-ce? » demanda Tshakapesh.
Katshituashku répondit alors : « Il est dur comme la pointe de cette falaise, voilà! Vise là. »
Alors Tshakapesh visa la falaise qui s’écroula.
Katshituashku s’enfuit alors et Tshakapesh, tout en chantant, dévala la colline à la recherche de sa flèche. On ne sait pas ce qu’il chantait. Même mon grand-père ne le sait pas.
Puis Tshakapesh se dressant visa Katshituashku à la hanche. Celui-ci tomba sur le côté. 
« J’ai enfin vengé mon père qui a été tué par Katshituashku » dit Tshakapesh.
« C’en est assez, tu me tortures » dit Katshituashku.
« Comment peux-tu dire que je te torture? » riposta Tshakapesh. « C’est plutôt toi qui m’as torturé en tuant mon père. C’est ma sœur qui m’a trouvé. C’est toi qui m’as vraiment torturé. »
« Tue-moi immédiatement » dit Katshituashku. Cette conversation achevée, Tshakapesh tua Katshituashku.
Puis il l’ouvrit, le nettoya et le dépeça, cherchant à y trouver les os de son père et ceux de sa mère. Mais il n’en vit aucun. Les cheveux de son père, c’est la seule chose qu’il y trouva.
S’il avait trouvé les os de son père et ceux de sa mère, il aurait pu ramener ses parents à la vie… Il souffla sur les cheveux de son père qui se mirent à bouger.
S’il avait trouvé leurs os, il aurait pu faire revivre ses parents, mais seulement les cheveux… Il lança donc les cheveux de son père dans les arbres. « Ce seront désormais des usnées » décréta-t-il. Puis il se dit en lui-même : « Que devrais-je donc rapporter chez moi? La tête de mon ours, voilà ce que je vais rapporter! Et pour ma sœur? De la viande d’ours, c’est ce que je rapporterai pour elle » se dit-il.
Voilà donc ce qu’il rapporta chez lui. En arrivant, il dit à sa sœur : « J’ai enfin vengé mon père et ma mère qui ont été tués par Katshituashku. »
« Tu es donc allé à la recherche de ce dernier » lui dit-elle.
« En effet, je suis allé à sa recherche, répondit-il. Va voir ma tête d’ours et fais-la rôtir. Et voici, c’est pour toi. Tu feras cuire cette viande d’ours et tu le mangeras. Moi, je vais retourner chasser les écureuils » dit-il. Tshakapesh ne chasse que les écureuils.
Mais celle-ci, tout en cuisant la tête d’ours qui rôtissait de belle façon, en détacha de chaque côté un morceau qu’elle mangea. C’est alors qu’elle se retrouva prise de crampes aux mâchoires, incapable de desserrer les lèvres.
Après son départ, d’où il était, il entendit soudain pleurer sa sœur. 
« Je me demande pourquoi elle pleure, pensa-t-il. Ce doit être ma tête d’ours… » Il avait en effet recommandé à sa sœur de ne pas en manger.
Tshakapesh retourna donc chez lui et dit en arrivant : « Qu’est-ce qui ne va pas? »
L’apercevant bouche clouée, il se demanda : « Qu’est-ce que je vais bien faire? »
Puis il prit un bâton dont il se servit pour lui desserrer les lèvres.
« L’ouverture de ta bouche aura la largeur de trois doigts » dit-il.
« Et quand de nouvelles gens naîtront, c’est de la largeur de trois doigts que sera l’ouverture de leur bouche. »
Il desserra donc les lèvres de sa sœur, puis il lui dit : « N’en mange plus. Mange plutôt de cette viande d’ours. »
Puis ayant mangé la tête de son ours, il sortit à nouveau, disant à sa sœur : « Sœur, je m’en vais chasser les écureuils. »
Par la suite, Tshakapesh rêva et il dit à sa sœur : « Sœur, j’ai rêvé que tu m’avais perdu. Ma flèche étant tombée à l’eau, j’étais allé à sa recherche, quand des Katshemeshukunieut m’avalèrent. »
Tshakapesh, sorti un jour tirer à l’arc, ne revint pas.
Sa sœur pensa alors : « Ce doit être ce qu’il m’a dit. »
Elle partit donc à la recherche de son jeune frère.
N’ayant trouvé que son arc, elle se mit à pleurer. Puis ayant séché ses larmes, elle se fabriqua un hameçon et se mit à pêcher.
Sa sœur ayant lancé à l’eau son hameçon, Tshakapesh dit à la truite : « Va chercher l’hameçon de ma sœur. »
Le premier poisson que sa sœur tira de l’eau avait un gros ventre. Puis elle en captura de nombreux autres.
Ayant fini de pêcher, elle se mit à nettoyer ses poissons.
Elle commença par ouvrir le premier qu’elle avait capturé, soit celui qui avait un gros ventre rond. Tshakapesh en sortit disant : « Eh! Sœur, tu m’as presque coupé! »
Puis à nouveau, Tshakapesh s’en alla tirer à l’arc, chassant les écureuils. Il ne chassait en effet que les écureuils.
D’où il était, il entendit soudain des gens percer un trou dans la glace.
« Ma sœur doit les connaître, se dit-il. Je vais donc d’abord retourner auprès d’elle et lui en parler. » Puis il s’en retourna chez lui et dit à sa sœur : « J’ai entendu des gens percer un trou dans la glace. »
« Ne va pas vers eux, dit-elle à son jeune frère. Ils sont à la recherche de castors géants. Et quand quelqu’un se présente, ils lui demandent de tirer le castor et la personne est entraînée dans l’eau par ces castors géants, dit-elle à son frère. Ces castors géants l’entraînent dans l’eau et ensuite ils se moquent de lui. »
« C’est assez, ma sœur, tu m’effraies. Je vais prendre une autre direction, je n’irai pas vers eux. »
Puis il partit se dirigeant du côté opposé à celui où se trouvaient les gens, tout en se disant : « Je ne crois pas ce que ma sœur raconte. Je vais aller les voir. »
Puis il se rendit auprès d’eux. Il arriva au lac son arc bandé. « Un visiteur s’en vient, dirent-ils. Invitons-le à tirer le castor, nous nous moquerons bien de lui quand il sera attiré dans l’eau » se dirent-ils entre eux.
Tout en s’approchant Tshakapesh tirait à l’arc, dessinant des courbes avec ses flèches. Il se rapprochait de plus en plus.
« C’est un jeune garçon, se dirent les gens. Tire le castor de l’eau, lui dirent-ils. Nous allons bien nous amuser de lui quand il sera attiré d’ans l’eau » se dirent-ils entre eux. Ils se mirent à lui préparer la place d’où il tirerait le castor. « Voilà un visiteur, lui dirent-ils. Tire le castor de l’eau. »
« Tirer le castor! répéta Tshakapesh. Je n’ai jamais vu faire cela, pas moi » leur dit-il.
« Surveille bien ce que nous allons faire, lui dirent-ils. C’est ainsi que tu t’y prendras. »
Tshakapesh les observait. Attrapant le castor par le dos, ils le sortirent de l’eau. Ils étaient deux qui s’aidaient l’un l’autre à le tirer. « Voilà ce que tu feras » lui dirent-ils.
« Bien, répondit Tshakapesh, mais je ne vais le faire qu’une fois. »
« Assieds-toi là » lui dirent-ils, quand ils lui eurent préparé un endroit où s’asseoir.
Tshakapesh enleva un peu de neige là où il allait s’asseoir. Il procéda comme il le fallait, se nettoyant une belle place.
Certains parmi les gens se dirent en eux-mêmes : « Il n’est pas bête! »
Ayant terminé ses préparatifs, Tshakapesh dit : « Très biens, allons-y maintenant. »
Ils donnèrent alors un coup dans la maison du castor et celui-ci en sortit. Tshakapesh l’attrapa vite d’une seule main et le lança sur la neige puis lui asséna un coup. L’un des hommes se fit la réflexion suivante : « Il l’a eu malgré tout sans difficulté. »
Ayant tué un autre castor, Tshakapesh lui passa une corde tout autour.
« Maintenant, il va s’enfuir chez lui » pensa l’un d’eux. Et il tenta de l’arrêter disant : « Ne t’en va pas, attends un instant. Tu vas voir ce qu’on va te faire au moment du partage! On ne te l’a pas donné ce castor! »
« Vous revendiquerez ceux que vous avez vous-mêmes tués, c’est ceux-là auquel vous avez droit! » répondit Tshakapesh qu’un des hommes voulait empêcher de partir.
Et il attrapa ce dernier, lui tordant le bras. Les autres dirent alors : « Laisse-le faire, ce doit être lui, Tshakapesh. Il réussit sans difficulté tout ce qu’il entreprend. Ce doit être lui. »
Tshakapesh transporta ses castors jusque chez lui. En arrivant, il dit à sa sœur : « Sœur, j’ai rapporté des castors! »
« Tu as dû aller là-bas » lui dit-elle.
« Oui, j’y suis allé. Pendant mon absence, fais cuire le castor pour moi » lui dit-il.
Et il retourne à la chasse aux écureuils, il chassait beaucoup les écureuils.
Étant sorti, Tshakapesh entendit des gens gratter des peaux. Il ne se rendit pas à l’endroit d’où venait le bruit se disant : « Ma sœur doit les connaître, je vais aller lui en parler. » Puis il s’en retourna chez lui et dit à sa sœur : « Sœur, j’ai entendu des gens là-bas. »
« C’est Atshenashkueu, la femme du géant cannibale. Elle a deux filles. N’y va pas. La mère est une meurtrière, quand elle voit quelqu’un elle le tue » lui dit-elle.
« C’est assez, ma sœur, tu m’effraies! »
Puis il dissimula aux yeux de sa sœur des plumes d’oiseau des neiges qu’il emporta avec lui. 
« Je vais prendre une autre direction » dit-il à sa sœur.
C’est ce qu’il fit en effet, mais ayant pénétré dans le bois il se dit en lui-même : « Je ne crois pas à ce qu’elle raconte, je vais aller les voir. »
Et il partit à leur recherche, s’en rapprochant de plus en plus. Les filles qui étaient en train de gratter des peaux se mirent soudain à rire. Et Tshakapesh tout en se rapprochant se plantait dans la toison des plumes d’oiseau des neiges.
La mère qui était à l’intérieur entendit rire ses filles. En jetant un coup d’œil dehors, elle aperçut Tshakapesh. « De quoi riez-vous donc mes filles? Riez-vous du jeune homme? »
« Ah! Non c’est un geai, dirent-elles. Il se sauve avec les poils de caribou que nous lui lançons de temps à autre. »
« Pas du tout, vous n’y êtes pas, dit la mère, c’est un homme, il s’est planté des plumes d’oiseau des neiges dans la toison! »
Les filles entreprirent alors de mettre Tshakapesh en garde contre leur mère : « Elle va t’offrir de la graisse humaine, ne mange pas de cette graisse jaunâtre. Nous, nous allons te servir de la graisse que tu pourras manger. » Puis elles firent entrer Tshakapesh chez leur mère. Ils s’assirent tous les trois face à la mère, Tshakapesh entre les deux filles qui lui donnèrent à manger.
Puis Atshenashkueu coupa un morceau de sa graisse jaunâtre qu’elle tendit à Tshakapesh en disant : « Voilà mes filles, s’il veut de cela… »
Les filles dirent alors à Tshakapesh : « C’est de la graisse humaine, n’en mange pas. »
La graisse était moisie.
« Mes filles, dit-elle, je suis fatiguée de la tenir, prenez-la. »
Mais personne ne prit la graisse. « Nous allons avoir un combat de lutte, dit la mère. On verra bien sa force. »
« Ne le tue pas, dirent les filles, nous voulons l’épouser. »
« Je ne vais pas le tuer, je vais seulement me battre avec lui » leur dit-elle. Puis elle revêtit son manteau de combat et attira Tshakapesh à elle, repoussant ses filles.
Tshakapesh pria à son tour les filles de s’écarter et celles-ci le laissèrent aller. « Je ne me battrai qu’une fois » dit Tshakapesh.
« Ne le tue pas » dirent les filles à leur mère.
« Je ne le tuerai pas » assura celle-ci. Et elle commença à se battre avec Tshakapesh, le tirant de côté et d’autre sans difficulté aucune. « Mes filles, dit-elle, il n’est pas gras du tout. Les précédents, eux, l’étaient. » Et elle se mit à balayer le sable qui recouvrait sa pierre où seul du sang demeurait collé.
« Ne le tue pas » supplièrent ses filles.
C’était en effet sur cette pierre qu’elle avait l’habitude de projeter ses victimes. « Je ne vais pas le tuer » dit-elle. Et elle saisit à nouveau Tshakapesh mais cette fois, elle fût incapable de le soulever. « Eh! Eh! mes filles, il est gras » dit-elle.
Tshakapesh faisait exprès pour se faire lourd. Elle s’essaya de nouveau à le soulever mais échoua à le mouvoir ne fut-ce qu’un tout petit peu.
« Pour une fois, je vais la battre » dit Tshakapesh. Et il ajouta, s’adressant aux filles : « Qu’est-ce que je devrais faire à votre mère? Si elle est pour vous manquer, je ne vais pas la tuer, mais je le ferai si vous n’êtes pas pour la regretter. »
« Nous en serions très heureuses » dirent les filles.
Et elles se saisirent de tisonniers avec lesquels elles se mirent à frapper leur mère aux jambes.
« Laisse-moi aller, dit-elle à Tshakapesh. Elles me mettent en colère. »
« Non, ne la lâche pas, supplièrent les filles, elle nous tuerait. »
« Enlevez-vous de là » dit Tshakapesh. Et il la saisit, la souleva pour la projeter assise sur sa pierre, et la tua. « Allons chez moi, dit-il aux filles. Ma sœur est seule tout le jour, vous allez rester avec elle. »
Rendu chez lui, il dit à sa sœur : « Sœur, j’ai ramené des femmes, ainsi tu ne t’ennuieras plus, tu auras de la compagnie. »
« Tu dois avoir tué leur mère » lui dit-elle.
« C’est elles qui m’ont dit de la tuer, elles m’ont dit de le faire » dit-il.
« Tu n’aurais pas dû » ajouta-t-elle.
« Elles m’ont dit de le faire. Et puis tu auras des amies » riposta-t-il.
Puis Tshakapesh épousa l’une des filles.
Il sortit de nouveau disant : « Je m’en vais chasser les écureuils. Restez avec ma sœur. » Là où il était, il entendit des gens jouer à la balle. « Ma sœur doit les connaître, je vais lui en parler » pensa-t-il. Et il s’en retourna chez lui. « Ma sœur, dit-il, j’ai entendu des gens là-bas. Ils jouaient à la balle. »
« Ne va pas vers eux, lui dit sa sœur. Ils jouent à la balle avec une tête d’ours. Ce sont des Mishtapeuat, et quand quelqu’un vient à eux, ils lui lancent la tête d’ours qui les mord. »
« Sœur, tu m’effraies, dit Tshakapesh. Je prendrai une autre direction. Regarde-moi m’éloigner. »
Il prit en effet une autre direction mais quand il eut pénétré dans la forêt, il se dit : « Je ne crois pas ce que raconte ma sœur. Je vais aller les voir. » Et il se rendit vers les gens.
Il y avait un bel éclairci là où ils jouaient à la balle. Tshakapesh en remarqua un qui était très habile. Il était très rapide pour attraper la tête d’ours même quand on le lançait fort loin et il relançait aussitôt. « Il est très habile, constata Tshakapesh. J’aimerais bien pouvoir le capturer, ma sœur pourrait en faire son mari. J’espère qu’ils vont lancer la tête de mon côté » souhaita-t-il.
C’est ce qui arriva en effet. Ils lancèrent la tête juste là où se tenait Tshakapesh. Quand celui qu’il voulait attraper s’approcha de lui, il l’empoigna en lui disant : « Allons-nous en chez moi. Tu épouseras ma sœur, elle est toujours seule. »
Ils tentèrent d’empêcher Tshakapesh en lui disant : « Laisse-le tranquille. »
« Vous êtes tous des hommes, leur dit Tshakapesh, vous pouvez continuer à jouer à la balle, vous prenez-vous pour des femmes? » Et Tshakapesh l’attrapa et lui tordit le bras, sans quoi il n’aurait pas pu le ramener chez lui. L’homme se plaignait.
« Ne vous attaquez pas à lui, ce doit être Tshakapesh. Il réussit sans difficulté tout ce qu’il entreprend » se dirent-ils les uns aux autres.
Et Tshakapesh s’éloigna avec celui qu’il ramenait. « Allons chez moi, dit-il à ce dernier. Tu épouseras ma sœur aînée, elle est seule. »
Arrivé chez lui, Tshakapesh dit : « Sœur, je t’amène un homme pour te marier, à toi qui t’ennuyais toujours. »
« Tu as dû aller voir les gens » lui dit-elle.
« Oui, j’y suis allé, répondit Tshakapesh. Maintenant, tu épouseras cet homme et moi qui allais toujours seul chasser les écureuils, j’aurai de la compagnie » ajouta-t-il. Et ils continuèrent à vivre au même endroit pour longtemps, ne s’occupant qu’à chasser les écureuils.
Tshakapesh chassait les écureuils avec son beau-frère quand soudain il entendit des gens qui se balançaient. « Je me demande bien qui ils sont, se dit-il. Nous ne devons pas aller chez eux, dit-il à son beau-frère. Allons d’abord en parler à ma sœur, elle doit savoir de qui il s’agit. »
Et ils retournèrent chez eux.
« Sœur, dit Tshakapesh, nous avons entendu des gens qui se balançaient… »
« N’y va pas, lui répondit sa sœur. Ces gens-là se balancent sur une escarpolette installée au-dessus des chutes. Les cordes sont attachées de chaque côté à des escarpements rocheux. Au bas des chutes, en plein milieu, ils ont une marmite remplie d’eau bouillante. Et quand quelqu’un monte sur la balançoire, ils coupent la corde de façon à ce que la personne tombe dans la marmite. »
« Arrête ça, ma sœur, tu m’effraies. Cesse de m’assommer avec cette histoire! Nous n’irons pas, nous prendrons une autre direction. Regarde-nous nous éloigner. »
Et ils prirent en effet une autre direction. Tshakapesh emportait avec lui son contenant de graisse et de plumes d’oiseau des neiges qu’il avait pris soin de dissimuler aux yeux de sa sœur. C’est ce qu’il cachait. « Allons à leur recherche, allons voir ce qu’ils font » dit-il à son beau-frère. Et ils se mirent à la recherche des gens. Arrivés tout près, Tshakapesh dit : « Nous approchons. Ils vont nous inviter à nous balancer. Toi, n’y va pas, moi j’irai. Tu me surveilleras pendant que je me balancerai. Et quand ils couperont la corde et quand je tomberai dans la marmite, tu n’auras qu’à surveiller mes plumes d’oiseau des neiges. Quand l’eau, en bouillant, dessinera des cercles, tu verras flotter mes plumes. C’est alors que j’ouvrirai mon sac de graisse de façon à ce qu’elle remonte en surface. Dis aux gens de s’asseoir tout près de la marmite pendant que je me balancerai. Et quand tu verras mes plumes en surface, dis-leur qu’ils verront bientôt la graisse apparaître. »
Tshakapesh ayant fini de donner ses instructions à son beau-frère, tous deux s’amenèrent auprès des gens dont ils étaient déjà tout proches.
« Voici des visiteurs! dirent les gens. Venez vous balancer. »
« Comment pourrions-nous aller nous balancer, dit Tshakapesh, nous n’avons jamais vu faire personne! »
« Voilà ce que vous ferez, surveillez-nous bien » dit l’un d'eux. Et quelqu’un commença à se balancer au-dessus des chutes, allant très vite sous l’élan que lui donnaient deux hommes placés chacun d’un côté de l’escarpolette. « Vous voyez ce que vous aurez à faire? » leur dirent les gens.
« Oui, je vais y aller moi. Pour un tour seulement, je vais y aller » dit Tshakapesh. Et il alla s’asseoir sur l’escarpolette et commença à se balancer. Sous l’élan des poussées qu’on donnait à sa balançoire, il allait très vite. C’est alors qu’ils coupèrent la corde, et que Tshakapesh tomba dans la marmite en plein centre de la rivière. Les gens, à ce moment, se dirigèrent vers leur marmite et le beau-frère de Tshakapesh se mit à surveiller les plumes d’oiseau des neiges. Soudain, elles apparurent en surface.
« Asseyez-vous tout près de votre marmite, leur dit-il, la graisse va apparaître sur l’eau. Vous la recueillerez. »
Et ils s’approchèrent près de leur marmite, s’assoyant tout autour. C’est alors que Tshakapesh ouvrit son contenant de graisse. Celle-ci commença à fondre… Puis il se dressa et renversa la marmite, en répandant l’eau bouillante tout alentour. Puis il la monta sur la colline, une petite colline qu’il y avait là, et commença à se débarrasser de sa toison. Il s’épila le corps complètement ne conservant que cheveux, cils et sourcils.
« Quand de nouvelles gens naîtront, décréta-t-il, ils n’auront que des cheveux. C’est ainsi qu’ils seront. » Autrefois, les hommes devaient être tout poilus.
« Viens, allons chez nous » dit Tshakapesh à son beau-frère. Il avait froid, n’ayant plus de toison.
Ils s’amenèrent au camp et Tshakapesh dit à sa sœur : « Sœur, ils nous ont fait bouillir dans l’eau. Nous sommes allés nous balancer. »
« Pourquoi êtes-vous allés là? » reprocha la sœur.
« Nous sommes allés les voir et ils nous ont dit de nous balancer. Moi, j’y suis allé et ils ont coupé la corde, me précipitant dans la marmite » raconta Tshakapesh.
Il avait la peau complètement nue, sauf sur la tête, les cheveux, et en plus cils et sourcils. On lui fabriqua des vêtements et il partit chasser.
« Ne m’accompagne pas, dit Tshakapesh à son beau-frère, je vais aller seul. »
Et il partit chasser les écureuils. Soudain ayant lancé sa flèche en direction d’un écureuil qui grimpait à toute allure dans une épinette blanche, celle-ci resta accrochée à l’arbre. Il grimpa alors pour la chercher. L’ayant atteinte, il souffla sur l’épinette blanche. Il pouvait entendre le sifflement de l’écureuil grimpant dans l’arbre.
Soudain, plus rien.
« Je me demande… »
« Comment c’est là-haut » pensa-t-il. Puis il se remit à grimper. Ayant rejoint l’écureuil, il souffla de nouveau sur l’épinette blanche. L’écureuil sifflait tout en montant, Tshakapesh pouvait l’entendre… Mais soudain, plus rien.
« Je me demande bien comment c’est là-haut » pensa encore Tshakapesh. Et il se remit à grimper, atteignant l’écureuil. Il souffla de nouveau sur l’écureuil et sur l’épinette blanche. L’écureuil grimpait toujours et Tshakapesh put l’entendre traverser de branche en branche. Puis, tout d’un coup, plus rien.
« Je me demande comment c’est là-haut » pensa-t-il.
Et soudain, il arriva vraiment sur une nouvelle terre. Il alla s’y promener, en faisant le tour. Il remarqua des traces toutes fraîches, quelqu’un avait dû se promener par là. Il y avait des pistes d’écureuils allant dans toutes les directions. Le sol portait des traces de nombreux passages.
Tshakapesh retournant sur ses pas s’aperçut qu’on venait tout juste d’emprunter ses traces. « Je me demande qui c’est » pensa-t-il.
Et il alla installer un collet, puis s’éloigna de l’espace piétiné. Soudain, pendant qu’il marchait, l’obscurité se fit.
« Je me demande ce que c’est. Ce doit être mon collet là-bas » pensa-t-il. Se précipitant pour voir à son collet, il aperçut le soleil s’y débattant. Il commença par lancer un écureuil pour couper le collet. Mais l’écureuil brûla. Il lança alors une souris pour rompre son piège… C’est la dernière qu’il lança, la musaraigne du Labrador, qui réussit à couper son collet.
Et il fit jour à nouveau.
« J’ai presque tué la terre » pensa Tshakapesh. Et il redescendit, s’en retournant chez lui. « Nous allons demeurer là, il y a quantité d’écureuils » pensa-t-il. Et il poursuivit son chemin.
Rendu chez lui, il dit à sa sœur : « Sœur, j’ai trouvé une terre là-bas. Nous allons aller y vivre. » Et c’est là que le jour suivant, ils s‘amenèrent. Quand ils furent arrivés à l’épinette blanche, Tshakapesh leur dit : « Il y a beaucoup d’écureuils là-bas. »
Son beau-frère monta d’abord le premier, puis ce fut la femme de Tshakapesh, sa sœur et enfin Tshakapesh qui venait derrière.
« Je vais monter par derrière, leur dit-il, ainsi quand vous tomberez pris de vertige, je vous rattraperai. » Pris de vertige, ils tombèrent en effet et Tshakapesh les rattrapa, de sorte qu’ils purent se rendre.
Tshakapesh se dit alors : « Je me demande ce que je vais faire avec cet arbre. Si les nouvelles gens qui naîtront se promènent dans les alentours, ils verront cet arbre et tenteront d’y grimper. Je vais de mon souffle, le retourner à sa taille normale. » 
Ainsi il souffla sur l’épinette blanche qui redevint telle qu’elle était auparavant.
Et Tshakapesh dit aux autres : « Allez là où vous devez aller, chacun de vous. Moi, je vais rester sur la lune. »
Et il installa sa soeur sur l’étoile du matin, c’est là qu’il la plaça.
« Voilà où tu resteras » lui dit-il. Quant à son beau-frère et à sa femme, ils habitèrent chacun une étoile.
Fin

Fichiers

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Citer ce document

Bellefleur, Charles Api (narrateur) et Malenfant, Eddy (cinéaste), “Récit de la légende Tshakapesh par Charles Api Bellefleur,” Confluence Premiers Peuples / First Peoples Confluence, consulté le 11 novembre 2024, http://omeka.uottawa.ca/confluence-premierspeuples-firstpeoples/items/show/407.