Rosa Bonheur à l'hippodrome. Enjeux identitaires
Fille du peintre Raimond Bonheur, Rosa Bonheur (1822-1899) fut l’un des peintres animaliers et l’une des femmes peintres professionnelles les plus renommés du 19e siècle. Lorsqu’elle expose au Salon de 1848, elle remporte le premier prix ce qui lui vaut des commandes gouvernementales.
Dans les années 1850, elle s’intéresse à des sujets ruraux en réaction à son aversion pour Paris où elle a grandi. Elle lit des livres de zoologie. Elle fait une analyse détaillée de ses observations dans les abattoirs qu'elle visite et auxquels elle n’a accès qu’en se travestissant. En 1859, elle devient propriété d’une résidence à la campagne de Fontainebleau. Ses voisins sont l’empereur Napoléon III et sa famille. Elle jouit du mécénat de l’aristocratie du Second Empire avec qui elle partage son goût pour la campagne et certaines sympathies politiques. L’impératrice Eugénie lui confère la légion d’honneur. Bonheur est la première femme à le recevoir.
Longtemps ignorée par les historiens de l’art, on la range souvent parmi la légion des peintres conservateurs, incapables de saisir les enjeux contemporains modernes. La relecture de son travail montre qu’elle offre, en fait, un modèle visuel moderne, progressiste, voire subversif, du corps féminin. (Saslow 1992)
Son ambitieux tableau Marché aux chevaux de Paris, dont la composition témoigne de son admiration pour Théodore Géricault, est une représentation du marché de chevaux de Paris. L’éleveur situé au centre de l’image, coiffé un béret noir et d'une blouse bleue est un autoportrait. La pose de trois-quarts est, en effet, dérivée de celle que l’on adopte lorsqu’on se regarde dans miroir pour faire un autoportrait. - On sait que Bonheur a vécu pendant 40 avec une autre femme Nathalie Micas, de qui elle parlait comme « sa femme ». Après la mort de Bonheur, Nathalie vécut avec une jeune artiste américaine Anna Klumpke qui devint son héritière.
L’adoption de conventions vestimentaires masculines constitue ici une appropriation des prérogatives masculines et crée une identité visuelle proto-lesbienne. Cette stratégie de « travestissement » permet de mieux saisir la radicalité de l’apport de Bonheur à la tradition picturale.
É.A. Pageot