Histoires des arts

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Images de scandale

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Edouard Manet, Déjeuner sur l'herbe, 1863

 

 

Le célèbre Déjeuner sur l'herbe de Manet et son Olympia, deux tableaux de 1863, ne sont pas des scènes de bordel. Ces oeuvres ont néanmoins provoqué un scandale lorsqu’elles ont été montrées publiquement. Ce n’est pourtant pas la nudité des modèles qui faisait problème, après tout l’histoire de l’art occidentale recèle de nombreux nus féminins! D'ailleurs, les nus de Manet sont directement inspirés d’œuvres canoniques et louangées par la critique d'art et le public du 19e siècle. La disposition des personnages du Déjeuner sur l’herbe provient, en effet, d’une gravure de Raimondi (1515-1517) racontant le jugement de Pâris lors des noces de Thétis et de Pélée, un épisode tiré de la mythologie grecque. Victorine Meurend (le modèle féminin nu chez Manet) et ses deux compagnons masculins reprennent la pose qu’adoptent les trois dieux assis dans la marge gauche de la gravure de Raimondi. Le sujet bucolique est, quant à lui, inspiré du Concert champêtre du Titien. 

 

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Edouard Manet, Olympia, 1863

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Titien, Vénus d'Urbino (d'Urbin), 1538, 

Olympia rappelle, quant à elle, les grandes odalisques plus contemporaines, celle d’Ingres (1858), de Delacroix (1847) ou de Jalabert (1842). Le tableau de Manet s’inscrit aussi dans la longue tradition du nu féminin inaugurée par l’Olympia du Titien (parfois attribuée à Giorgione). Certes Manet a modifié ou éliminé certains détails : le chien, symbole de fidélité, est remplacé par un chat, le regard d’Olympia est direct et non mièvre, Laure, la servante d’origine africaine, est ramenée à l’avant-plan. Il reste que les références iconographiques à des œuvres canoniques montrent l’importance que revêt la copie des maîtres antiques pour Manet. (Goldstein 1996, 128). Cette méthode de travail était une étape centrale à la formation académique car on croyait qu’elle permettait à l’apprenti de pénétrer l’esprit des grands maîtres. Manet, qui est aujourd’hui considéré comme le premier peintre moderne, ne se situe donc pas en rupture totale avec la tradition.

À la différence des maitres anciens toutefois, Manet rejette toute rhétorique transcendante. Victorine Meurend et Laure ne sont pas idéalisées, elles ne sont pas des Vénus, mais des femmes contemporaines reconnaissables. Qui plus est, Olympia renvoie vraisemblablement à la courtisane d’Alexandre Dumas dans La dame aux camélias. Dépouillées de leur aura mythologique, Victorine, Olympia et Laure appartiennent non pas à un espace mythique, mais à un monde contemporain, à une temporalité et à une classe sociale spécifiques et concrets. (Pollock 1999, 294) Du coup, l’érotisme de ces deux tableaux pouvait être associé à la prostitution, aux mœurs légères et au mauvais goût. Cela choque la critique de l'époque, comme le remarque Émile Zola avec sarcasme dans son texte sur Manet dont voici un extrait: « J'ai revu également l'Olympia, qui a le défaut grave de ressembler à beaucoup de demoiselles que vous connaissez. »  (Mon Salon, 8 mai 1866) Bien qu'Olympia ne puisse pas être située dans un lieu spécifique reconnaissable, le critique Jean Ravenal l'associe au café Paul Niquet près des Halles (L'Époque, 7 juin 1865). Or, à l'époque, ce café avait la réputation d'être un véritable lieu de perdition. (Pollock 1988, 75) 

É.A. Pageot

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