Le bordel, espace du regard voyeur ?
Degas consacre plusieurs œuvres au thème des « baigneuses », des femmes prostituées occupées à leur toilette. Elles sont accroupies, recroquevillées, placées dans des angles aigus, offrant peu de distance au regard. Si bien que scruter le corps des baigneuses est rendu difficile. Cet acte de voyeurisme «silencieux » est bien celui du client ou du peintre dont l’accès privilégié au corps féminin nu découle d’une transaction financière.
Le point de vue à partir duquel l’image a été construite est parfois incohérent, c'est le cas d' Après le bain par exemple. Si bien qu’à la distorsion de l’anatomie correspond l'espace disloqué du spectateur. Les corps des baigneuses occupent une très grande portion de l’image forçant l’œil du spectateur à se déplacer à la surface de celle-ci, à suivre le rythme dynamique des lignes hachurées du pastel et des contours brisés. Aussi, comme le suggère Anthea Callen, la mise-en-page, l’organisation spatiale, la pose, et le pastel lui-même convoquent autant le sens de la vue que celui du toucher, de la main qui se déplace à la surface du corps. Or au 19e siècle, regarder à distance est un privilège bourgeois, le toucher et le contact physique sont suspicieux on les associe à la saleté, voire à la maladie, aux couches populaires et aux milieux défavorisés. Dans ce contexte, la «dialectique regard-toucher» chez Degas évoque, à la fois, le désir et la répulsion (Callen 1992, 165).
É.A. Pageot