Expériences de violence

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© Lena Hübner, Infographie Typologie des expériences 

En mai 2024, une première série d’entretiens a été menée auprès de 11 femmes racisées provenant de Montréal et de la région d’Ottawa/Gatineau. L'objectif de cette démarche était d'explorer leurs pratiques d’information et leur perception des violences rencontrées lors de l'accès à l'information.

Une deuxième série d’entretiens, en octobre et novembre 2024, avec les mêmes participantes, nous a permis de valider les résultats auprès d’elles, d’approfondir et d’enrichir les analyses, et de nous assurer de minimiser nos propres angles morts par rapport au sujet.

Lors de ces entretiens, les participantes ont partagé leurs expériences et leurs habitudes d’utilisation des médias sociaux, sites web et applications, en guidant la chercheuse principale du projet à travers leurs dispositifs numériques. Elles ont également été interrogées sur l’évolution de leurs pratiques depuis l’adolescence, ce qui a permis à l’équipe de réfléchir à l’influence de certains événements biographiques sur leur consommation d’actualité et leur appropriation des outils numériques.

L'infographie à gauche est une représentation visuelle des résultats sur les expériences de violence, illustrant l'ampleur et la diversité de ces violences, qu'elles aient été vécues ou observées par ces femmes racisées qui s'informent en ligne. Ce travail de visualisation vise à sensibiliser aux enjeux de ces violences informationnelles et à contribuer à la réflexion sur des solutions pour rendre l'accès à l'information plus équitable.

Pour les personnes intéressées à en savoir plus, des explications détaillées et des exemples concrets suivent plus bas. Vous y trouverez également des extraits audio des entretiens pour vous immerger dans les expériences des participantes. Nous avons modifié la voix de ces extraits afin de garantir l'anonymat des participantes. Si vous êtes dans l’impossibilité d’écouter, la transcription est également disponible dans le texte.

Expériences de violence : des technologies aux contenus journalistiques

Les femmes racisées rapportent d'abord des violences liées à la technologie, impossible sans le numérique! Ceci inclut les commentaires haineux, les impacts des algorithmes, ainsi que des vidéos violentes, parfois sans avertissement préalable. Ainsi, une participante (P1, ent. 1, 7 mai 2024) témoigne de son ambivalence par rapport aux vidéos violentes diffusées en direct de manifestations : 

Extrait audio avec voix modifiée. 

«Parce que maintenant il y avait une tendance de de filmer ces interactions de, pour des [...] raisons de sécurité, pour des façons d’éviter les biais, comme une façon aussi de de garder une preuve. Je [...] trouve que c’est quelque chose à [...] laquelle j’ai [...] été exposé beaucoup plus on va dire à la, à partir de l’âge de de 15, 16 ans peut-être. Donc, c’est quelque chose qui invoque beaucoup de, beaucoup de frustration pour moi. Beaucoup, beaucoup de de colère et de tristesse. Parce que l’idée que ces vidéos tellement violentes sont une des seules manières un peu de [...] garder comme une preuve [...] du comportement policier ou du comportement [...] de groupes d’autorité, pour moi, c’est quelque chose qui il est difficile [...] à voir, difficile à [...] interagir avec. Mais une manière de rester informé quand même.»

D'un côté, cet extrait souligne l'importance de ces vidéos pour s'informer sur la réalité des événements sur le terrain. De l'autre, il met en lumière une réflexion critique sur l'impact potentiellement traumatisant de leur visionnement, pouvant engendrer des conséquences significatives sur la santé mentale.

Un résultat inattendu de cette recherche a été l'ampleur des discussions autour des violences liées à l'actualité. Bien que l'étude portait initialement sur les violences numériques, les participantes ont rapidement élargi le sujet pour aborder des formes de violences médiatiques, notamment les biais journalistiques ainsi que la mauvaise ou l'absence de représentation de leur identité dans les médias traditionnels. Une participante, elle-même active dans le milieu culturel, témoigne des défis concrets pour remédier à cette situation. Elle rapporte une conversation avec des collègues sur la difficulté de recruter des personnes issues de la diversité dans le cadre d'une production culturelle, une démarche qui s'est avérée plus longue que prévu. Face à cela, un membre appartenant à la majorité blanche de l'équipe lance : « C'est rendu compliqué d'être blanc. » Estomaquée, la participante reste sans voix. Avec le recul, elle partage la réflexion suivante (P2, ent. 1, 17 mai 2024) :

Extrait audio avec voix modifiée. 

«Je me dis, tu sais, il a vraiment essayé de se justifier : "Oui, mais tu sais, c’est parce que du coup les gens ils le prennent pour un token." Je dis, c’est pas ça que tu voulais dire. T’avais l’air de dire "Oh, ben, tu sais pourquoi on se casse la tête à vouloir mettre de la diversité dans cette [production]-là ?" J’étais comme ben justement, on se casse la tête parce qu’il y a un problème, parce qu’il y en a pas assez. Puis peut-être que justement, il y a un problème de représentation.»

Cet échange met en lumière les tensions et les malentendus qui émergent lorsque les enjeux de représentation sont abordés, soulignant la nécessité d’une prise de conscience et d’un dialogue plus approfondi sur ces questions dans les milieux culturels et médiatiques.

D'autres participantes mentionnent les biais journalistiques qui se manifestent notamment par une couverture inadéquate des enjeux genrés et racisés, comme le traitement médiatique des féminicides ou le contraste entre ce qui est rapporté dans les médias et ce que révèlent des vidéos en direct diffusées en ligne, exposant des angles biaisés.

Enfin, bien que beaucoup moins fréquentes, certaines participantes ont mentionné des violences de nature illégale, telles que la fraude, le harcèlement et les menaces de violence physique.

Québec vs Ontario

Les Franco-Ontariennes font face à des obstacles linguistiques que certaines parmi elles considèrent comme violents. La réduction de l'offre médiatique francophone hors Québec et la prédominance de l'anglais, dont elles témoignent, limitent leur accès à l'information en français. Contrairement aux Québécoises interrogées dans l'étude, elles privilégient souvent les contenus internationaux (comme France 24) ou en anglais et évitent les sources franco-québécoises, qu'elles perçoivent comme déconnectées de leur réalité quotidienne. Cette marginalisation médiatique est donc exacerbée par l'intersection des oppressions de genre, de race et de langue, ce qui renforce leur sentiment d'invisibilisation et complique davantage leur accès à une information représentative et adaptée à leur réalité. Cet aspect mérite d'être exploré davantage et constitue la perspective d'un futur projet de recherche axé sur les liens entre violences et consommation d'actualité chez les femmes racisées francophones en contexte minoritaire. Restez à l'affût!