Intimité, domesticité
Française née à Bourges, Berthe Morisot est la fille du préfet Cher et de Marie-Joséphine Cornélie Thomas, arrière petite nièce du peintre Jean Honoré Fragonard. Avec sa sœur Edma, elle débute sa formation par des cours de dessin auprès de Joseph Guichard. Elle copie les œuvres du Louvre et se lie d’amitié avec Jean-Baptiste-Camille Corot (1796-1875). Paysagiste chevronné, Corot peint en Normandie, en Provence, en Bourgogne et travaille souvent en plein air. Soucieux de traduire des atmosphères et des ambiances, il en vient à sacrifier les détails topographiques. Un choix esthétique qu’on retrouve également chez Morisot dans une facture extrêmement audacieuse pour l’époque.
Véritable pilier du groupe des impressionnistes, Morisot est la seule femme à participer à la première exposition de ce groupe d’artistes indépendants qui délaisse le Salon officiel de 1874. Ce groupe, qui deviendra les impressionnistes, se constitue en coopérative n tant que la Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs, graveurs etc. à capital et personnel variables et se réunit du 15 avril au 15 maidans l’atelier du photographe Félix Nadar, situé au 35, boulevard des Capucines. D’autres artistes féminins se greffent ultérieurement au groupe, Marie Bracquemond- Eva Gonzales et Mary Cassatt. Cependant, Morisot est la seule à participer à chacune des expositions des impressionnistes et c’est elle qui met sur pied la dernière. Elle est, à cet égard, le membre le plus actif du groupe et, de fait, elle joue un rôle clé dans son organisation professionnelle. En dépit de son engagement actif dans le milieu professionnel artistique, la reconnaissance de son apport à l'art moderne et à l'impressionnisme peine à venir. Son travail est parfois l'objet de railleries sexistes.
Les déplacements de Morisot dans l’espace public demeurent contraints et définis par son statut de femme bourgeoise. Aussi, plusieurs de ses œuvres ont pour thème des aspects de la vie, de la routine et des rituels quotidiens de la vie à la maison. À l’instar de Mary Cassatt, les modèles de Berthe Morisot sont le plus souvent des membres de sa famille qui sont accessibles (sa mère, ses soeurs Yves et Edma, sa fille Julie, son conjoint Eugène Manet. C'est le cas du le tableau, La lecture on l'on voit Madame Morisot et Edma. Outre les membres de sa famille, les femmes prolétaires qui sont employées comme boniches ou nourrices lui servent également de modèle. À cet égard, plusieurs scènes domestiques incarnent des rapports de pouvoir fondés sur l’appartenance de classe, et témoignent du privilège dont jouit Morisot dans son milieu de vie.
Cherchant à traduire en peinture les effets dynamiques et changeants de lumière, Morisot opte pour une touche très déliée, révélant du coup, le travail et les gestes du peintre. Elle racle la surface de la toile et diminue l’importance de la ligne contour ce qui rend floues les limites des plans, des objets et des corps (Un intérieur à Jersey). La technique impressionniste de Morisot se situe parfois à la limite de l’iconicité. L’aspect de non fini et de spontanéité ainsi obtenu est radicalement antinomique à la tradition académique qui, elle, exhorte les peintres à utiliser une touche lisse qui efface en quelque sorte le processus manuel au profit de l'unité narrative de l'image.
É.A. Pageot