Le bain. Mary Cassatt féministe?
Née à Pittsburgh, fille riche banquier, Mary Cassatt. Elle étudie à Pennsylvania Academy of Fine Arts (Académie des Beaux-arts de Pennsylvanie), première institution artistique au monde à accepter des élèves féminins. À ce moment, la formation des élèves féminins est cependant restreinte à la copie d’après moulages antiques. Déterminée à acquérir un statut professionnel, Cassatt part pour l’Europe. Elle visite les musées en Italie, en Espagne et en France. Elle expose au Salon de 1874 et se lie d’amitié avec Degas, avec qui elle partage son goût pour le dessin. Elle soutient le galeriste Durand-Ruel en achetant des toiles impressionnistes. Elle conseille les collectionneurs Newyorkais et agit comme véritable l’ambassadrice de l’impressionnisme en Amérique.
En 1882, sa sœur Lydia tombe gravement malade. Cassatt endosse la responsabilité des affaires domestiques et se trouve, dès lors, davantage occupée à la maison. Cet univers lui inspire nombre de scènes de bain. Ces thèmes ne sont pas nouveaux, mais l’approche de Cassatt est unique et contraste avec les images traditionnelles de la féminité à laquelle on associe la maternité. Souvent, les portraits de maternité privilégient les mères entourés d’enfants dodus dans un décor cossu. L’image idéalisée de la mère attentionnée et de ses bébés heureux et en santé est un paradigme de la société bourgeoise, Madame Charpentier et ses enfants (1878) de Renoir en est un bon exemple.
Chez Cassatt, les personnages occupent la quasi-totalité de l’espace de l’image. À l’instar des scènes de bain de Degas (voir à ce sujet, l« Espace du bordel »), la composition est audacieuse et la ligne d’horizon est haute. The Child's Bath et dans la gravure The Bath, version japonisante du thème, situant les personnages dans un espace comprimé, un espace psychologique intime et, à la fois, restreint dans « isolement ». (Pollock 1988, 63).
Le jeu des mains, les visages se frôlant dans un raccourci inusité, le rapport de réciprocité et de proximité des corps démultiplient les points de contacts entre la femme et l’enfant. L’image semble structurée à partir d’une expérience phénoménologique qui convoque autant le sens de la vue que celui du toucher et des textures (65). Les motifs du papier peint et de la commode à l’arrière-plan ainsi que ceux de la moquette procurent à l’image une certaine planéité qui invite l’œil à parcourir l’image à sa surface.
La gravure intitulée Woman Bathing affiche une rigueur formelle. L’importance et la finesse du dessin, la mise en page et l’épuration des formes sont fortement inspirées des gravures japonaises en vogue en 19e siècle. Cassatt doit sa connaissance de l’art japonais, en partie, à l’impressionnante collection d’estampes de sa grande amie Louisine Havemeyer, activiste politique et militante pour le suffrage féminin.
Les femmes qui posent pour Cassatt pour les scènes de bain sont des domestiques. Ces images incarnent la division sociale du travail et le rapport de classes au sein même de l’espace domestique. (Pollock 1988, 56) C’est bien grâce à son appartenance à une classe sociale aisée que Cassatt a accès à la nudité partielle de la jeune femme. L’image incarne ce rapport de pouvoir. Toutefois, la pose du modèle, penché et vu de dos, échappe à la logique de marchandisation du corps que l’on retrouve ailleurs, chez Manet Un bar aux Folies-Bergère ou chez Renoir, La loge par exemple (à ce sujet, voir la section Espace du théâtre).
É.A. Pageot