Histoires des arts

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L'atelier

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Gustave Courbet, L'atelier du peintre. Allégorie réelle déterminant une phase des sept années de ma vie artistique et morale, 1854-5

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Le tableau L'Atelier (1854-55) de Gustave Courbet est refusé à l'Exposition universelle de Paris en 1855. En partie en réaction à ce rejet (Barbe, 2005), Courbet loue un espace privé en face de la foire, au 7 rue Montaigne, et engage un architecte pour construire son propre pavillon de fer, de briques et de mortier. Il y présente une exposition privée de ses oeuvres. Les visiteurs doivent payer un frais d'entrée et les toiles sont à vendre; un modèle d'autopromotion tout à fait novateur pour l'époque. L'exposition est accompagnée d'un texte, intitulé Le Manifeste réaliste dans lequel Courbet justifie le prix des œuvres proposées à la vente et aborde différents enjeux qu'il juge importants: l'indépendance de l’artiste, la fonction sociale de l’art, la maîtrise de soi comme garante d'une vision authentique et, bien sûr, le réalisme. Pour Courbet, l’art réaliste est un objectif et il est inhérent à la vision de l’artiste. Courbet croit, en effet, que la vision de l’artiste doit puiser dans la réalité et que ses intentions doivent traduire celles de la société. (Rubin 2007) C'est donc au nom du réalisme qu'il revendique un idéal de liberté.  

Telle une allégorie, les occupants de L'atelier servent à évoquer des idées sur l'art et sur la fonction sociale de la peinture. Dans ce tableau, l'artiste visionnaire est placé au centre et il est occupé à peindre un paysage, une vue d'Ornans en Franche-Comté d'où l'artiste est originaire. Parce qu'il est mis en abyme (il s'agit d'un tableau dans le tableau), le paysage évoque non seulement le lieu de naissance de Courbet, mais également l'idée de la peinture elle-même, son «lieu d'énonciation» (Barbe 2005). 

D'une certaine façon, le nu féminin (inspiré d'une photographie) sert lui aussi d'allégorie de la peinture car le nu féminin fut un sujet de prédilection de la peinture occidentale depuis la Renaissance au moins. Cependant, ici, la femme nue est un simple modèle contemporain. Elle n'est ni Vénus, ni une figure féminine littéraire ou mythologique. Elle se trouve donc «dépouillée du fardeau allégorique» que lui attribuent les innombrables peintres académiques du Second Empire. (Rubin, 2007) Du coup, elle se retrouve dénuée de son pouvoir culturel. Le corps féminin constitue en quelque sorte une toile vierge sur laquelle Courbet peut inscrire sa vision et son autorité, et proclamer son indépendance.

Dans la section de droite du tableau, sont réunis les gens du milieu de l'art, les amis, artistes, écrivains, critiques et mécènes qui appuient Courbet. On y voit: Alphonse Promayet (ami d'enfance et violoniste, fils de l’organiste d’Ornans), Alfred Bruyas, fils de banquier et mécène de Courbet, Pierre Joseph Proudhon, philosophe et ami de Courbet. À côté de Proudhon se trouvent Urbain Cuénot, ami d’enfance, activiste politique et fils du juge d’Ornans, et Max Bouchon, cousin de Courbet, romancier et folkloriste. Légèrement en dessous de Bouchon, on voit Jules Champfleury, écrivain et critique d'art, c'est lui qui rédige le texte du Pavillon du réalisme. Puis, le couple Sabatier, François qui est un critique fouriériste et sa femme la chanteuse Caroline Sabatier-Ungher, mécène de Courbet. Enfin, à avant-plan, un peu à l'écart est assis l’écrivain et critique d’art Charles Baudelaire. (Nochlin, 1995, Rubin 2007). 

À gauche, sont rassemblés les gens du « peuple, les misérables, les pauvres, les riches, les exploités, les personnes qui vivent de la mort. » (Chu, 1996, 121) Un juif sous les traits d’Achille Fould, ministre responsable de l’expansion industrielle sous Napoléon III, un curé sous les traits de Louis Veillot, ultraroyaliste appartenant à la bourgeoisie catholique romaine, à l’arrière-plan trois hommes liés au mouvement insurrectionnel hongrois, Bakounine l'anarchiste russe, une Irlandaise et son enfant qui représentent les îles britanniques et la grande famine irlandaise de 1840. 

Pierre Joseph Proudhon partageait avec Karl Marx l’idée que le travail est le « premier attribut » des êtres humains à la différence des autres espèces vivantes. À ce titre, le travail serait un moyen privilégié de libération des contingences matérielles. Avant sa mort, Proudhon écrit un texte intitulé Sur le principe de l’art et de sa destination sociale (1865). En prenant pour exemple la peinture de Courbet, il y défend l'idée que l’art est la plus haute manifestation du travail humain, celui par lequel on atteint la liberté et la spiritualité. Dans L’Atelier, Courbet semble promouvoir cette fonction sociale de l'art. Placé au centre du tableau, entouré des occupants de gauche et de droite, progressistes et conservateurs, son regard point vers un territoire en devenir et guide les occupants de la scène. On sait que la réalisation de L’Atelier ainsi que la mise en oeuvre des expositions de Courbet sont largement tributaires de la contribution pécuniaire de ses mécènes. Dans ce contexte, on peut penser que les « les idées de Proudhon » sur une théorie universelle de l’art constitue « un antidote (…) au sentiment de dépendance » de Courbet. D'ailleurs, il se représente, ici, élégamment vêtu comme un bourgeois financièrement autonome et non comme un artisan. (Rubin 2007, 149)

 

É.A.Pageot

Voir aussi: https://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/recherche/commentaire_id/latelier-du-peintre-7091.html

 

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