Histoires des arts

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Les jardins à Giverny

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Claude Monet, Le pont japonais à Giverny

(Vue du pont dans les jardins de Monet à Giverny),1918-1924

Au début de la décennie 1890, Monet entreprend l'exécution d'un projet qui l'occupera jusqu'à la fin de sa vie : la création d'un jardin d'eau, chez lui à Giverny. Ce projet qu'il dessine et conçoit lui-même - et dont il tire plusieurs sujets peints - constitue un véritable univers autonome. En 1891, il reçoit la visite d'un jardinier japonais qui lui inspire la construction des ponts de jardin, tels qu'on les voit ici. (House, 1988)

Le jardin comme motif pictural avait déjà retenu l'attention du peintre à Argenteuil et à Vétheuil. À Giverny, il prend une tout autre envergure, devenant en quelque sorte une extension de la palette du peintre, lequel sculpte ni plus ni moins la nature. Univers construit, le jardin devient, paradoxalement, une abstraction.

Dans ces tableaux des vues du pont japonais, Monet valorise la juxtaposition des couleurs opposées complémentaires, des rouges et des verts, des bleus et des orangés. De tels contrastes forts auraient été jugés de mauvais goût chez les défenseurs de l'esthétique classique; tandis que chez les modernes, en particulier chez les impressionnistes, ils sont valorisés. Fait intéressant, cette prédilection pour les contrastes prononcés et les effets de dynamisme qu'ils provoquent coïncide avec une période révolutionnaire où on milite pour des changements radicaux, où on veut se débarrasser des valeurs traditionnelles. Il ne faudrait pas toutefois conclure à une relation simpliste de cause à effet entre le contexte révolutionnaire et ce revirement de goût!

Une chose est sûre, la rechreche des modernes sur les contrastes est cautionnée par les découvertes récentes de la science: les travaux de Chevreul en France, les recherches de Mengs et de Goethe en Allemagne, celles de Rumford en Angleterre et de Rood en Amérique. (Roque, 2009) Les peintres du 19e siècle prennent connaissance des principes scientifiques sur la couleur par le biais de traités rédigés par les théoriciens des arts, la Grammaire des arts du dessin de Charles Blanc notamment.

Blanc fournit dans ce traité une interprétation personnelle des travaux du chimiste français Eugène Cheuvreul sur la perception de la couleur. Lorsqu’il est Directeur des teintures à la Manufacture royale des Gobelins, Chevreul veille sur la teinture des laines et des soies. Il examine de près les phénomènes optiques et psychologiques de modification apparente des couleurs. Cela lui permet de comprendre que les couleurs complémentaires voisines «paraissent s’éclairer mutuellement», tandis que les couleurs voisines non-complémentaires paraissent plus fades. Un principe qu’il explique dans sa Loi du contraste simultané (1839). (Roque, 2009)

Fort de ces connaissances, Monet privilégie une organisation chromatique de la composition; les couleurs complémentaires organisent l'espace peint. L'absence de linges countours, la touche extrêmement déliée, appliquée par taches larges et les contrastes de couleurs faisant vibrer la surface rendent le sujet peu lisible. L'effet est saisissant, le tableau se rapproche d'un univers pictural non-figuratif où la touche du peintre, la couleur et les effets chatoyants de la lumière deviennent en quelque sorte les principaux sujets.

É.A. Pageot

Les jardins à Giverny